Il faut conforter la production européenne de biocarburants qui ne menace ni l'environnement ni la sécurité alimentaire

13 juin 2017
Nicolas Rialland, responsable bioéthanol à la Confédération Générale des planteurs de Betteraves (CGB)


L’Union européenne s’est fixé des objectifs ambitieux en matière d’énergie et de climat à l’horizon 2030 : une part minimale de 27 % d’énergie renouvelable dans sa consommation finale d’énergie et une réduction de 40 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à celles de 1990. Ce dernier objectif correspond à l’engagement pris par l’UE dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat (COP 21) entré en vigueur à l’automne 2016.

Fin novembre 2016, la Commission européenne a présenté le paquet réglementaire « Energie propre en 2030 », soit son projet de feuille de route européenne pour la période 2020-2030 en matière d’énergie et de climat. Cet ensemble de textes doit désormais être examiné puis discuté avec le Conseil et le Parlement européens. Y figure notamment la proposition de « directive énergie renouvelable II » qui établit spécifiquement le cadre réglementaire en matière d’énergie renouvelable pour la période 2020-2030, notamment pour le secteur des transports.

Ce secteur représente 20,8 % (hors aviation et transport maritime) du total des émissions de GES de l’Union européenne en 2014 (28,5 % en France) et devra participer significativement à l’objectif de réduction de GES pour 2030 pour maintenir un équilibre des efforts entre chacun des secteurs, notamment pour l’agriculture qui ne peut compenser les autres secteurs. On pouvait donc s’attendre à une proposition volontariste de la Commission européenne dans ce secteur.

Or, il n’en est rien. La Commission européenne a présenté un texte dénué d’ambition qui propose de :

  • réduire la part minimale d’énergie renouvelable dans les transports en 2030 par rapport à ce qu’elle sera en 2020, 
  • réduire drastiquement la contribution des biocarburants conventionnels au bouquet énergétique des transports, sans arguments fondés,
  • tout miser sur un fort développement des biocarburants avancés aux maturités technologique, logistique et économique incertaines à ce jour.
Au-delà du manque d’ambition dont elle fait preuve, la proposition de la Commission n’est pas compréhensible à plusieurs égards.

En premier lieu, elle est imprégnée d’un dogmatisme radical à l’encontre des biocarburants conventionnels que rien ne justifie. Qui peut encore considérer que cette bioénergie serait responsable d’une hausse significative des prix agricoles au regard des cours actuels des céréales, des oléagineux ou du sucre ? Comment peut-on dire sérieusement que la production européenne de bioéthanol et de biodiesel menace la sécurité alimentaire mondiale ? 

Quant à la question complexe des changements indirects d’affectation des sols (CASI, ou ILUC en anglais) induits par les biocarburants issus de cultures alimentaires et la prise en compte en terme d’émissions de gaz à effet de serre, elle a déjà donné lieu à un débat européen de près de trois ans à l’issue duquel un compromis politique a été trouvé : la directive dite « CASI » adoptée en 2015 en introduit un plafonnement à 7 % de la contribution de ces biocarburants à l’objectif de 10 % d’énergie renouvelables dans les transports en 2020. 

Ce compromis peut être considéré comme un point d’équilibre entre l’application du principe de précaution et les nombreuses incertitudes scientifiques qui caractérisent l’estimation de ce phénomène.

En l’absence de nouveaux éléments marquants en la matière, on peut donc se demander pourquoi la Commission revient sur ce compromis laborieux en proposant une baisse drastique de la contribution maximale des biocarburants de première génération de 7 % en 2020 à 3,8 % en 2030, et à quel titre elle entend imposer à chaque Etat membre la conduite à tenir en matière de biocarburants conventionnels dès lors que leur plafonnement ne comporte aucune obligation de recourir à cette solution.

En second lieu, la proposition de la Commission donne un dramatique signal d’incertitude et même de désinvestissement de la bioéconomie qu’elle a pourtant contribuée à lancer avec la Directive biocarburants de 2003.

En effet, la majeure partie des biocarburants de première génération consommés en Europe est  issue de sa propre agriculture, innovante, qui produit plus et mieux, dans le cadre d’une politique agricole commune (PAC) prenant en compte la protection des sols, la biodiversité, les enjeux agronomiques et environnementaux. Les filières biocarburants contribuent ainsi à la sécurité alimentaire et aux préoccupations environnementales, participent à la décarbonation du secteur des transports routiers, accroissent l’indépendance énergétique de l’Europe, améliorent l’indépendance protéique de l’élevage européen en réduisant la part des tourteaux de soja importés et répondent aux nouvelles demandes en matériaux biosourcés dans le cadre d’une bioéconomie créatrice d’emplois et d’activité économique dans les territoires ruraux.

Les développements intervenus au cours des dernières années n’ont eu ni de conséquences significatives sur les équilibres de productions au sein du secteur agricole, ni d’impact déterminant sur les coûts d’approvisionnement alimentaire. Par ailleurs, les enquêtes  montrent un soutien très majoritaire des citoyens européens aux politiques en faveur des biocarburants.

Enfin, les filières européennes de biocarburants de première génération représentent aujourd’hui 16 milliards d’euros d’investissements et 220 000 emplois attachés, directs et indirects, dans l’agriculture, l’industrie et les services.

Dès lors, pourquoi provoquer à dessein l’attrition de ces jeunes filières au moment où la compétitivité économique des biocarburants devient optimale (investissements initiaux amortis en grande partie) et leur bilan environnemental  optimisé (investissements dans des sources d’énergie renouvelables telle que chaudière à biomasse ou géothermie, optimisation des procédés industriels) ?

Dans ces conditions, il est bien illusoire de croire que les acteurs de ces filières investiraient dans la production de biocarburants avancés qu’ils sont pourtant les mieux à même de développer. La proposition de la Commission européenne en matière d’énergie renouvelable dans les transports doit être revue en profondeur par le Parlement et le Conseil européen, afin notamment de fixer dans ce secteur un objectif obligatoire d’au moins 15 % d’énergie renouvelable par Etat membre d’ici 2030 et de maintenir une contribution possible de 7 % des biocarburants de première génération, s’ajoutant à la trajectoire des biocarburants avancés pour atteindre ce plafond. Ce n’est pas en cédant à certaines attaques démagogiques contre le bioéthanol et le biodiesel européens qu’on luttera efficacement contre l’insécurité alimentaire et le dérèglement climatique.    


 


1 commentaire(s)
En brulant, les biocarburants émettent autant de CO2 que n’importe quel autre combustible. Cependant, le carbone ainsi relâché n’est pas du carbone fossile. Il vient d’être retiré de l’atmosphère par la plante qui l’a produit, de sorte que, à l’échelle de l’année (pour les cultures annuelle) ou du siècle (pour les arbres), le bilan est nul.
L’histoire ne s’arrête pas là cependant : car si l’on n’avait pas cultivé de biocarburants à un endroit donné, on aurait cultivé autre chose, qui aurait retiré de l’atmosphère une quantité analogue de CO2. Mais le carbone correspondant aurait été stocké dans un «puits de carbone» (l'humus du sol, ou peut être, après beaucoup de transformations, un massif calcaire). Dans ces conditions, le bilan devient franchement négatif, et les biocarburants ne contribuent que de façon négligeable et temporaire à la réduction des émissions de GES. Leur seul titre à être qualifiés de "vert" est le préfixe «bio» qui fait illusion. Sans doute aussi ont ils le gros avantage, en évitant de bruler des combustibles fossiles, de ne pas nécessiter l’abandon du moteur à explosion, ce qui évite bien des remises en question. Cependant, à partir d’un calcul de coin de table, il est facile de voir que pour satisfaire à partir des seuls biocarburants les besoins des transports mondiaux en énergie , il faudrait trois ou quatre fois les surfaces cultivables de la planète: cela n’est évidement pas possible, de sorte que, en dépit des apparences, la «solution biocarburants» aux émissions de gaz à effet de serre n’en est pas une. .. Il est vrai que l’introduction des biocarburants en doses homéopathiques dans les carburants traditionnels est tout à fait réalisable sans entraimer la moindre chance de catastrophe immédiate sur la sécurité alimentaire mondiale: cela donne un air de respectabilité aux carburants traditionnels, et permet donc de ne rien changer à rien tout en donnant l’impression d’un activisme débordant. C’est pourquoi les biocarburants sont tellement en vogue auprès de tant de politiciens peu soucieux du long terme. Mais est-ce de cela que nous avons besoin ?
Ecrit le 20 juin 2017 par : Jean-Marc Boussard jmarc.boussard@orange.fr 3384

Votre commentaire :
Votre nom :
Votre adresse email ne sera vue que par FARM :