Echanges agricoles : des indicateurs ambigus

30 septembre 2019

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM



Importer moins. Exporter plus. Parmi tous les arguments avancés en faveur de la modernisation de l’agriculture africaine, ceux relatifs aux mauvaises performances des échanges agricoles reviennent fréquemment. Il n’est pas normal, dit-on souvent, que l’Afrique importe autant de produits alimentaires ; elle doit produire plus pour nourrir sa population. Et il paraît évident qu’elle n’exporte pas assez, parce que pour beaucoup de produits, notamment alimentaires, ses agriculteurs ne sont pas compétitifs sur les marchés mondiaux.

Baisse des importations, augmentation des exportations : en réalité, ces indicateurs sont ambigus. Une hausse de la valeur des importations alimentaires n’a rien de préoccupant si elle s’effectue à un rythme moins rapide que celui de la consommation ; autrement dit, si la part de marché des produits étrangers dans le « panier de la ménagère » africaine diminue. Quant aux exportations, leur augmentation peut traduire non pas une meilleure compétitivité de l’agriculture mais une langueur de la demande intérieure, incapable d’absorber l’ensemble de la production, ce qui n’est pas un signe de progrès. Enfin, du point de vue de l’emploi, une hausse modérée des exportations peut être préférable à une croissance plus soutenue, si dans le premier cas elle concerne surtout des produits transformés.

Plus que le montant des importations et des exportations agricoles, deux indicateurs nous semblent pertinents pour évaluer la réussite des politiques menées par les pays africains en matière, respectivement, de compétitivité de l’agriculture et de sécurité alimentaire. Le premier est le solde des échanges agricoles. Il renseigne sur la capacité du secteur agricole à compenser, par ses exportations, les achats de produits agricoles à l’étranger. Ce n’est pas le cas de l’Afrique considérée globalement, du moins pour les produits alimentaires (produits de la pêche inclus) : en 2018, ses exportations de denrées ont atteint 43,1 milliards de dollars contre 66 milliards de dollars pour les importations, soit un déficit de 22,9 milliards de dollars[1]. Et ce déficit est structurel, comme le montre le graphique ci-dessous.


Solde des échanges de produits alimentaires et non- alimentaires de l’Afrique, 2008-2018

Source : FARM d’après Cnuced

Le second indicateur a une signification plus large : il mesure la somme du solde des échanges de produits alimentaires et du solde des échanges de produits non-alimentaires. Si cette somme est durablement positive, alors le pays concerné n’a pas à s’inquiéter outre mesure d’un déficit éventuel de sa balance commerciale alimentaire. C’est simplement qu’il s’est spécialisé avec succès dans d’autres produits et parvient, grâce à son insertion dans les échanges, à assurer sa sécurité alimentaire. Là encore, telle n’est pas la situation de l’Afrique qui, outre le déséquilibre persistant de son commerce alimentaire, a enregistré en 2018 un solde négatif de 34,9 milliards de dollars pour les échanges d’autres produits, entraînant un déficit de sa balance commerciale de 57,8 milliards de dollars. Ce déficit est lui aussi structurel, le solde des échanges de produits non-alimentaires étant négatif depuis 2014.

Bien entendu, l’appréciation de la compétitivité de l’agriculture et de la sécurité alimentaire ne saurait se réduire à des critères commerciaux. Encore faut-il se fier à des indicateurs pertinents si l’on aborde ces deux questions sous l’angle des échanges.


 


 

[1] Ces chiffres concernent le commerce de l’Afrique avec le reste du monde, hors échanges intra-africains. Source : Cnuced.

6 commentaire(s)
je pense qu'il convient de distinguer
Sub saharienne et l'afrique du nord et dans l'afrique sub saharienne : la zone EURO (13 pays) et la zone non euro;
Ecrit le 30 septembre 2019 par : texier ph texierph@gmail.com 3784

Merci pour cette description de la situation qui a été très bien conclue, soulignant que l’analyse doit intégrer d’autres paramètres que les seuls soldes monétaires imports/exports. De mon point de vue, il s’agit aussi et surtout (en plus des 2 critères) de considérer la part significative des variables subjectives telles que les préférences alimentaires, les dynamiques des modes de consommation, les réelles marges de manœuvres des populations dans leurs actes d’achat et de consommation, le modèle agricole rêvé par/pour les agriculteurs, etc. Croiser tous ces paramètres permettra de dépasser le discours, quoique valide, de « l’Afrique doit produire pour nourrir sa population ». Car, comme c'est le cas d'autres secteurs, les secteurs agricole et alimentaire africains n’ont pas pu suivre le changement de culture et de perception qui sont déjà calées sur les standards internationaux. C'est un fait aujourd'hui en Afrique. Au-delà de la compétitivité économique, c’est la performance globale du secteur à couvrir la demande (disponibilités), répondant par ailleurs aux critères subjectifs des utilisateurs de ces produits, qui doit être questionnée. Pour provoquer enfin, je me demande si cela vaut le coup d’évaluer ou de parler de compétitivité quand on sait d'emblée que tous les critères sont structurellement restés dans le rouge.
Ecrit le 1 octobre 2019 par : Yacoubou ISSAKA 3785

Merci pour cette description de la situation qui a été très bien conclue, soulignant que l’analyse doit intégrer d’autres paramètres que les seuls soldes monétaires imports/exports. De mon point de vue, il s’agit aussi et surtout (en plus des 2 critères) de considérer la part significative des variables subjectives telles que les préférences alimentaires, les dynamiques des modes de consommation, les réelles marges de manœuvres des populations dans leurs actes d’achat et de consommation, le modèle agricole rêvé par/pour les agriculteurs, etc. Croiser tous ces paramètres permettra de dépasser le discours, quoique valide, de « l’Afrique doit produire pour nourrir sa population ». Car, comme c'est le cas d'autres secteurs, les secteurs agricole et alimentaire africains n’ont pas pu suivre le changement de culture et de perception qui sont déjà calées sur les standards internationaux. C'est un fait aujourd'hui en Afrique. Au-delà de la compétitivité économique, c’est la performance globale du secteur à couvrir la demande (disponibilités), répondant par ailleurs aux critères subjectifs des utilisateurs de ces produits, qui doit être questionnée. Pour provoquer enfin, je me demande si cela vaut le coup d’évaluer ou de parler de compétitivité quand on sait d'emblée que tous les critères sont structurellement restés dans le rouge.
Ecrit le 1 octobre 2019 par : Yacoubou ISSAKA issaka.yacoubou@gmail.Com 3786

.....et des balances trompeuses:
- Produire pour exporter et importer pour manger, double danger, ce n'est pas comme expédier un excédent et acheter des compléments, petits risques. - La balance commerciale est à détailler entre matières premières (agri-aqua-sylvicoles), denrées alimentaires, boissons et aliments, et à éclairer de celles des services, équipements et finances liés. Evidence ? certes, pourtant rare dans Paris ! Ce qui ouvre à bien des commentaires....ambigus.
Ecrit le 1 octobre 2019 par : jm bouquery 3787

"Double fardeau", "indicateurs ambigus",....
Il y a un an, Bertrand Hervieu nous redisait ici la "désarticulation" de notre monde agricole. N'est ce pas devenu le maître mot de notre univers, de l'alimentation, des échanges, des sociétés, des continents, l'image de fonte de nos banquises, d'émiettement fractal de nos habitudes ? Nous faisant presque regretter le cycle des dominations et des empires, des affrontements et des dislocations ? Non plus "changer de paradigme" mais en abandonner le confort ? Entrer en désarticulation sans perdre espoirs ?
Ecrit le 4 octobre 2019 par : jm bouquery bouquery@noos.fr 3788

Un an après, deux ans plus tard, le "crash test" de la pandémie. Relative résilience de l'Afrique sub-Sahel ?
Ecrit le 23 septembre 2020 par : jm bouquery 3925

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