Les surfaces disponibles pour l'agriculture : un nouvel éclairage

3 septembre 2019

Jean-Christophe Debar et Abdoul Fattath Tapsoba, FARM



Les résultats de l’étude[1] présentée par trois chercheurs allemands à la 27ème Conférence européenne sur la biomasse, à Lisbonne, en mai dernier, méritent une large diffusion. Ils jettent en effet un nouvel éclairage sur la surface qui peut être exploitée pour l’agriculture, dans chaque région, dans des conditions soutenables sur le plan environnemental, c’est-à-dire en préservant les forêts et les habitats à forte valeur écologique, ainsi que les « zones sous contraintes naturelles » impropres à la culture ou l’élevage en raison du climat ou de leur topologie.  

Les auteurs de l’étude, qui travaillent au Bauhaus Luftfahrt e. V.[2], près de Munich, ont utilisé des données géospatiales à haute résolution - jusqu’à 15 secondes d’arc[3] - pour estimer les superficies dévolues à différents types d’utilisation du sol (eaux continentales, forêts, zones de peuplement ou artificialisées), ainsi qu’aux habitats protégés et aux zones « trop froides, trop sèches ou trop pentues » pour y pratiquer une agriculture pluviale. La différence, dans chaque région, entre la surface terrestre totale et les surfaces occupées par ces différentes catégories, compte tenu des doubles comptages, correspond à la superficie disponible pour une activité agricole durable sur le plan environnemental. Globalement, 3 729 millions ha soit 27 % de la surface de la planète sont mobilisables à cet effet. Les régions qui concentrent la majorité des surfaces disponibles pour l’agriculture, en tenant compte des contraintes écologiques, sont l’Afrique subsaharienne (21 % du total), l’Asie de l’Est (15 %), l’ex-URSS (12 %) et l’Amérique du Nord (11 %) (tableau).

Répartition de la surface terrestre par type d’utilisation du sol et selon les contraintes écologiques, par région (millions d’hectares)
 


1/ Différence entre la surface totale et les autres types d’utilisation du sol. La somme de tous les types d’utilisation du sol est supérieure à la surface totale car certaines catégories se chevauchent
Source : F. Riegel et al., op. cit.
  

Les informations fournies par les satellites sont, selon les auteurs, « d’une profondeur et d’une qualité sans précédent ». Le contraste qu’elles offrent avec les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, qui font généralement référence, est d’autant plus frappant. D’après la FAO, en effet, 4 886 millions ha étaient exploités pour la culture et l’élevage en 2013, chiffre très nettement supérieur à la surface que les chercheurs allemands considèrent comme disponible pour l’agriculture en respectant l’environnement. L’écart entre les deux chiffres provient essentiellement du fait qu’une grande partie des zones sous contraintes naturelles – et, à un moindre degré, une portion des habitats protégés - sont utilisées comme pâtures pour le bétail[4]. Un tel écart s’observe dans toutes les régions ; ainsi, en Afrique subsaharienne, la FAO estime la surface agricole à 958 millions ha alors que l’étude évalue la superficie disponible à 797 millions ha. En revanche, les données de la FAO et de l’étude sont très proches, dans toutes les régions, en ce qui concerne l’étendue du couvert forestier.

L’étude du Bauhaus Luftfahrt est riche d’implications pour les politiques agricoles. Si l’on prend sérieusement en considération les contraintes écologiques, le potentiel de terres encore non exploité pour l’agriculture apparaît, dans la quasi-totalité des régions, comme nul ou en tout cas très faible. Certes, des ouvrages d’irrigation peuvent être réalisés dans des zones sous contraintes naturelles, pour lever l’obstacle de la sécheresse, mais ces aménagements ont des coûts non négligeables et posent des risques environnementaux, comme la salinisation des sols et l’épuisement des nappes phréatiques. L’augmentation de la production agricole requise pour nourrir la population mondiale en expansion devra donc provenir essentiellement d’une intensification durable, autrement dit d’un accroissement des rendements rendu possible par des pratiques respectueuses de la fertilité des sols et de la santé de l’homme, des plantes et des animaux.


 

[1] Florian Riegel, Arne Roth et Valentin Batteiger, “Global assessment of sustainable land availability for bioenergy and food production”, 27th European Biomass Conference and Exhibition, 27-30 May 2019, Lisbon. 

[2] Le Bauhaus Luftfahrt est, selon son site Internet, « un think tank multidisciplinaire » soutenu par quatre compagnies aérospatiales, dont Airbus, ainsi que par le ministère bavarois de l’Economie, des Médias, de l’Energie et de la Technologie. Il emploie environ cinquante personnes, qui travaillent sur la question des transports, en particulier aériens, « selon une approche holistique qui conjugue les aspects techniques, économiques, sociaux et écologiques ».

[3] Selon Wikipedia, une seconde d’arc correspond approximativement à la taille apparente d’un ballon de basket-ball situé à 50 km.

[4] A titre d’exemple, selon les auteurs de l’étude, la FAO évalue la surface agricole en Arabie saoudite à 173 millions ha (comprenant essentiellement les zones désertiques utilisées comme pâtures par les nomades), alors que l’étude estime la superficie disponible pour l’agriculture comme nulle, « en raison de sévères contraintes d’humidité »


6 commentaire(s)
Bonjour à tous.
La déduction faite dans l'article me semble hâtive, du fait qu'elle porte sur des données non présentées dans l'article, notamment la part de la superficie disponible pour l'agriculture déjà exploitées trouvée dans l'étude de Florian Riegel, Arne Roth et Valentin Batteiger (2019). Le tableau présenté ne contient pas cette information indispensable pour déduire que "le potentiel de terres encore non exploité pour l’agriculture apparaît, dans la quasi-totalité des régions, comme nul ou en tout cas très faible". Aussi, il y a-t-il erreur dans le classement des superficies de terres encore disponibles pour l'agriculture. Après l'Afrique subsaharienne qui dispose de 21,4% des terres disponibles pour l'agriculture, c’est plutôt l'Amérique latine et Caraïbes avec 18,8%, avant l'Asie de l’Est (15,2%) et CEI et Etats baltes (12,5%). Merci.
Ecrit le 3 septembre 2019 par : Dr Emile N. HOUNGBO enomh2@yahoo.fr 3769

Bien évidemment, on pourra toujours chipoter sur quelques chiffres, mais ces ordres de grandeur semblent réalistes. En revanche, il ne faudrait pas tirer trop de conclusions pratiques de ce travail. Il faudrait se souvenir de l'échec de Thomas Robert Malthus, qui s'était lancé dans le même type d'investigations, et dont les prédictions se sont révélées complètement fausses en dépit du talent du personnage (qui n'était pas n'importe qui !) et du soins qu'il avait apporté à son travail...(il s'était beaucoup attaché à savoir ce sui se passait non seulement en Angleterre, mais aussi en Chine ou en Russie !).
En particulier, une solution possible serait la "machine de Barjavel" : Cet auteur de science fiction a imaginé un appareil merveilleux : A une extrémité, on l' alimente en hydrogène, carbone, azote et quelques autres éléments. A l'autre bout, il en sort un merveilleux beefsteak-frite (l'auteur écrivait en 1943 à Paris, un temps et un lieu où le beefsteak-frite était le comble du luxe) servi dans les meilleures brasseries de St Germain des près. La chose est théoriquement possible, même si, évidemment, la mise au point finale n'est pas pour demain. Il faut espérer que la machine en question ne tiendra pas trop de place (chez Barjavel, elle se trouve dans le sous-sol de la brasserie, ce qui est raisonnable). Mais elle n'aura pas besoin de sol cultivable, dont le problème de la rareté sera résolu. En tout cas, on peut sûrement encore attendre des merveilles de la recherche, de sorte que toutes ces inquiétudes sur les disponibilités en terre et en ressources de tout genre pourraient bien ne pas être trop justifiées. Et même, peut être que les hommes de l'an 3000 se moqueront de nous comme nous nous moquons des terreurs de l'an mille, et des auteurs des sottises proférées (et commises !) à l'époque...
Ecrit le 3 septembre 2019 par : J.M. Boussard 3770

AgricultureS, élevageS, eauX, forêtS, productions, cueillettes, services, paysages, contraintes, innovations,....
Vivement l'Agence Internationale des Surfaces Utiles.
Ecrit le 4 septembre 2019 par : jean-marie bouquery 3771

Cet article est basé sur une amproche satellite qui est bien insuffisante pour caracteriser les zones intermediaires qu'il s'agisse effe tivement des zones de paturage de landes ou de savane arborée. Decidement l'agronomie de terrain est dépassée par le virtuel. Cordialement.
Ecrit le 4 septembre 2019 par : Jamet 3773

Cher M. Boussard,
Votre développement m'a beaucoup intéressé. Il m'a en plus inspiré et me pousse à rappeler que suite à la théorie malthusienne de 1798, celle de Boserup (1970) est venue prouvée que malgré la rareté des terres, la production alimentaire avait augmenté dans son contexte, parce que ce n'était pas vrai partout en Afrique. La famine et autres effets négatifs que prévoyait Boserup en situation de forte pression foncière n'étaient donc pas évidents. J'ai soutenu ma thèse de doctorat particulièrement sur ce sujet. J'y ai pu, pour réconcilier Boserup et Malthus, démontrer que le taux de pauvreté chronique en milieu agricole est un déterminant critique de l'exploitation positive ou non de la rareté de terres. Cela m'avait amené à indiquer de veiller particulièrement sur le niveau de bien-être des producteurs agricoles pour qu'ils puissent développer leurs génies à l'avantage de la satisfaction des besoins alimentaires et agricoles des populations. C'est ce que vous insinuez en envisageant ce que feraient et penseraient de nous les hommes de l'an 3000. Merci pour cet éclairage. Ma thèse est disponible en ligne: <https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00680042/document> Dr Emile N. HOUNGBO Agroéconomiste Maître de Conférences à l'Université Nationale d'Agriculture, Bénin
Ecrit le 5 septembre 2019 par : Dr Emile N. HOUNGBO 3774

Très beau travail.
Il serait intéressant de compléter le tableau par d'autres colonnes donnant pour chaque ensemble géographique: - La population résidente, actuelle et prévisible en 2050 - La valeur énergétique de la production agricole et forestière obtenue. - Le potentiel de ressources en eau, pluviométrie et mobilisables pour l'irrigation Bonne poursuite
Ecrit le 7 septembre 2019 par : Dominique PETER Agro sans Frontière et ASFHIA dominpeter@orange.fr 3775

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