Assurance indicielle : il faut des normes de sécurité minimales sur la qualité

17 novembre 2017
Michael Carter, directeur de Feed the Future Innovation Lab for Assets and Market Access (https://basis.ucdavis.edu/i4) et professeur d’économie de l’agriculture et des ressources naturelles à l’université de Californie, Davis


Version française (traduction FARM). En bas de page, vous pourrez lire le texte original, en anglais, de Michael Carter.
You'll find the original text in English after the French version.


Il n’est pas possible de discerner à l’œil nu le potentiel génétique et la qualité d’une poignée de semences de maïs. Il en va de même avec une police d’assurance indicielle. Cette police paiera-t-elle des indemnités si la culture échoue, au moment où l’agriculteur a le plus besoin de protection ? Ce faisant, protègera-t-elle l’investissement du producteur et évitera-t-elle à sa famille de devoir se colleter avec les coûteuses conséquences d’un sinistre ? Comme celle des semences de maïs, la qualité de l’assurance indicielle est un trait caché.

 

A cause de ce problème de trait caché, on a instauré, dans tous les pays, des normes de certification pour les semences de maïs et des autres cultures. Pour obtenir la certification, les firmes semencières soumettent leurs semences à des tests pour évaluer le taux de germination et les rendements après germination. Grâce à cette certification, les agriculteurs savent ce qu’ils achètent et peuvent investir avec confiance, tant que la contrefaçon sur les semences n’enraye pas ce dispositif.

Ironiquement, il n’existe pas de normes de qualité équivalentes pour l’assurance indicielle, bien que celle-ci soit une technologie plus complexe, ou du moins plus exotique, pour les producteurs de maïs et les autres agriculteurs. Ce problème est d’autant plus important que l’assurance indicielle vise seulement à couvrir les pertes dues à des risques corrélés qui touchent simultanément la plupart des agriculteurs, comme la sécheresse. Elle ne protège pas l’agriculteur contre les pertes idiosyncrasiques ou spécifiques à sa situation individuelle. En outre, même pour les risques corrélés, la plupart des indices d’assurance ont un certain degré d’imperfection, dans la mesure où parfois ils ne déclenchent pas d’indemnités même quand tous les agriculteurs de la zone couverte par l’assurance subissent des pertes.

Le fait qu’un contrat échoue à déclencher les indemnités prévues n’est pas anodin. Sans assurance indicielle, le pire qui puisse arriver à un agriculteur est une perte totale de récolte. Avec une assurance indicielle défaillante, le pire qui puisse arriver est encore pire : l’agriculteur peut avoir payé une prime d’assurance, subir une perte totale de récolte et ne recevoir aucune indemnité. Un indice d’assurance faiblement corrélé avec les pertes de l’agriculteur fonctionne plus comme un billet de loterie que comme une assurance : il indemnise avec la même fréquence, que l’agriculteur enregistre ou non une perte de récolte.

Dès lors, comment dire si un contrat d’assurance ressemble plus à un billet de loterie ou s’il fonctionne vraiment comme une assurance, avec tous les avantages escomptés ? En d’autres termes, comment mesurer la qualité d’une assurance indicielle ? Fait notable, les caractéristiques qui déterminent la qualité d’une assurance indicielle sont très similaires à celles qui déterminent la qualité des semences, avec une différence importante. L’équivalent d’un test de germination, pour un contrat d’assurance, est la probabilité que le contrat ne déclenche aucune indemnité lorsque l’agriculteur subit une perte. L’équivalent d’un test de rendement est le montant espéré de l’indemnité (ou la distribution des indemnités) lorsque des indemnités sont versées. Ces deux facteurs sont mesurables lorsque l’on dispose de données historiques sur l’indice et sur les résultats économiques des agriculteurs. 

Une considération finale, concernant la qualité de l’assurance indicielle, est la valeur relative de l’argent que l’agriculteur reçoit ou non lorsqu'il subit un sinistre. Les individus achètent une assurance parce que l’argent, après un sinistre, est rare et a plus de valeur qu’en temps normal. Dans le langage des économistes, l’assurance, qui déplace l’argent du temps normal aux temps difficiles, a une valeur parce que les individus sont averses au risque. Si les individus diffèrent par leur aversion au risque – c’est-à-dire dans le surcroît de valeur qu’ils confèrent à l’argent dans les temps difficiles – toute mesure de l’assurance indicielle doit prendre en considération cette valeur conditionnelle de l’argent. Un contrat qui ne germe pas et ne déclenche pas d’indemnité quand l’individu subit des pertes sévères et a le plus besoin d’argent est de moindre qualité qu’un contrat qui indemnise l’agriculteur quand sa situation est vraiment mauvaise et qui ne déclenche pas d’indemnité en cas de perte modérée. Un principe semblable s’applique au montant de l’indemnité versée par l’assurance selon le niveau de perte de l’agriculteur.

Nous disposons ainsi de trois éléments pour définir une norme de qualité de l’assurance indicielle. Les deux premiers éléments sont mesurables objectivement par le biais de données, alors que le troisième – le surcroît de valeur que l’agriculteur confère à l’argent dans les temps difficiles, par rapport aux temps normaux - est une caractéristique subjective qui varie selon les personnes en fonction de leur aversion au risque. L’économie comportementale mesure depuis longtemps l’aversion au risque des individus et si la mesure de cette aversion varie dans une population (selon la proposition de bon sens que certaines personnes attachent plus de valeur à l’assurance), nous proposons de construire une norme de qualité de l’assurance indicielle pour un agriculteur type qui a un niveau moyen d’aversion au risque.

Heureusement, les outils analytiques standards de l’économie nous permettent, à partir des trois éléments considérés (taux d’échec, taux d’indemnité, niveau d’aversion au risque), de construire une mesure du « prix de réserve ». Le prix de réserve représente simplement le montant maximum qu’un individu peut payer pour le contrat d’assurance sans le mettre en situation plus défavorable que s’il n’achetait pas l’assurance et était confronté aux risques agricoles sans être assuré. Une norme minimale de sécurité (NMS, en insistant sur « minimale ») est que le prix de marché de l’assurance ne doit pas dépasser le prix de réserve.

Un contrat ne respectera pas la NMS s’il fait défaut fréquemment, en particulier lorsque l’agriculteur subit des pertes sévères. Notre analyse d’un contrat fondé sur un indice de précipitation, en Afrique de l’Ouest, a montré qu’il ne respectait pas la NMS quel que soit son niveau de prix au-dessus de la « prime de risque pure » (la prime pure est l’indemnité espérée dans le cadre d’un contrat d’assurance ; l’assurance est bien sûr toujours vendue à un prix supérieur à la valeur de la prime pure). Au contraire, nous avons montré que plusieurs contrats fondés sur des indices de rendements régionaux ou sur des indices de croissance de la biomasse dérivés d’observations satellitaires respectaient la NMS tant que l’assurance n’était pas vendue à plus de 40-50 % au-dessus de la prime de risque pure.

Il faut noter que la logique économique de la NMS s’applique même si l’assurance est subventionnée. Si le prix de marché du contrat d’assurance (même s’il est payé par l’Etat) dépasse le prix de réserve qu’il a pour l’agriculteur, le raisonnement économique indique que ce dernier gagnerait à recevoir directement, chaque année, un transfert égal au montant de la prime, plutôt que d’être indemnisé (quand c’est le cas) au titre d’un contrat de mauvaise qualité.

Alors, que faire ? Le problème croissant des semences de contrefaçon (emballées pour ressembler à des semences certifiées) est instructif. Les firmes semencières privées, les Etats et même les bailleurs de fonds internationaux essaient de résoudre ce problème précisément parce que les semences de contrefaçon chassent les bonnes, de sorte que les agriculteurs n’investiront plus dans les technologies non certifiées, ce qui induira pour eux, comme pour l’ensemble de l’économie, une perte importante. Nous sommes confrontés au même risque sur le marché de l’assurance : en l’absence de certification fiable et effective, les mauvais contrats chasseront les bons, au détriment de tous.

Pour que l’assurance indicielle puisse réaliser l’énorme potentiel de rentabilité qu’elle montre dans les essais contrôlés randomisés, les secteurs privé et public doivent travailler ensemble à la création de normes de certification. La norme NMS que nous proposons repose sur les éléments clés nécessaires à la détermination de la qualité de l’assurance indicielle. Nous disposons maintenant d’un outil de calcul (relativement) simple pour évaluer la NMS à partir de données historiques sur les résultats économiques des agriculteurs et la performance des indices. Il est temps de prendre au sérieux la qualité de l’assurance indicielle et de lever les obstacles pour que cet important instrument de marché puisse s’épanouir. 


Original English version


SMS: We need a Safe Minimum Standard for Agricultural Index Insurance Quality

It is impossible to look at a handful of maize seeds and discern their genetic potential and quality. The same is true when holding an index insurance policy document.  Will that policy yield payouts when crops fail and the farmer most needs protection? Will it protect her investment and allow her family to avoid costly coping?  Like maize seeds, quality for index insurance is also a hidden trait. 

Because of this hidden trait problem, countries throughout the world have certification standards for maize and other seeds.  To attain certification, seed companies submit their seeds to test for germination failure rates and yields conditional on seed germination. Because of certification, farmers know what they are getting, and can invest in confidence, as long as seed counterfeiting is not a problem.

Ironically, there are no equivalent quality standards for index insurance, even though index insurance is a more complex, or at least a more exotic technology, for maize and other farmers.  This problem is especially important because we know that index insurance is intended to only cover losses covered by correlated risks that affect most farmers in the same time, such as drought.  It will fail to protect the individual farmer who has idiosyncratic or individual-specific losses.  In addition, most insurance indices have some degree of imperfection even for losses due to correlated risks, meaning that they will sometimes fail to trigger payments even when losses hit all farmers in an insurance zone.

Contracts that fail to pay are not a trivial matter.  Without index insurance, the worst thing that can happen to a farmer is a total crop loss.  With failure-prone index insurance, the worst thing that can happen gets worse: the farmer can have paid an insurance premium, have a total crop loss and receive no insurance payment.  An insurance index that is weakly correlated with farmer losses functions more like a lottery ticket (paying off with the same frequency when the farmer has a loss as when they don’t) than insurance. 

How then can we tell whether an index insurance contract is more like a lottery ticket?  Will it function as a true insurance with all its attendant benefits?  In other words, how can we measure index insurance quality?

Interestingly, the characteristics that determine index insurance quality are very similar to those that determine seed quality, with one important difference.  The index insurance equivalent to a germination failure test is the probability that the contract fails to pay off at all when the farmer experiences a loss.  The equivalent to a yield test is the expected payment (or distribution of payments) that occurs when a payment happens.  Both of these are measurable given historical data on the index and on farmer outcomes.

The final consideration that affects index insurance quality is the value of money to the farmer when a payout occurs or fails to occur.  Individuals buy insurance because money is worth more to them when times are hard and money is scarce and therefore worth more than in normal times.  In economist language, insurance that moves money from normal times to bad is valuable because individuals are risk averse.  While individuals differ in how risk-averse they are—that is, in how much more valuable money is to them in bad versus normal times—any measure of index insurance quality needs to take this conditional value of money into consideration.  A contract that fails to germinate and make any payment when the individual has suffered severe losses and needs money most has a lower quality than one that pays off when things are really bad for the farmer, but fails only in the case of modest losses.  A similar principle applies to amounts that the insurance pays off depending on the farmer’s loss level.

We thus have three building blocks to construct an index insurance quality standard.  The first two are objectively measurable with data, while the third—how much more money is worth to the farmer in bad times versus good—is a subjective characteristic that varies across people depending on their degree of risk aversion.  The field of behavioral economics has long measured individuals’ risk aversion and while measured risk aversion varies across a population (reflecting the commonsense proposition that some people value insurance more than others), we propose constructing an index insurance quality standard for a typical farmer who has average levels of risk aversion.

Fortunately, standard analytical tools of economics allow us to take our three building blocks (failure rate, payment rate and level of risk aversion) and construct a “reservation price” measure.  The reservation price is simply the maximum amount an individual could pay for the contract without making him or herself worse off compared to not purchasing the insurance and facing agricultural risks uninsured.  A Safe Minimum Standard (SMS, with the emphasis on minimum) is that the market price of the insurance be no more than the reservation price. 

A contract will not meet the SMS if it fails frequently, especially when the farmer has experienced severe losses.  Our analysis of a rainfall-based contract in West Africa shows that it failed the SMS at any price above the “pure risk premium” (the pure premium is the expected payouts under an insurance contract; insurance is of course always sold at a mark-up above that pure risk premium).  In contrast, analysis shows that multiple area yield and satellite-based, biomass growth index contrasts passed the SMS as long as the insurance was not marked up by more than 40 to 50 percent above the pure risk premium.

It is important to note that the economic logic of the SMS is the same even if the insurance is subsidized.  If the market price (even if paid by the government) exceeds the reservation price the farm would have for the insurance, then the economics say that the farmer would be better off if given the premium every year as a straight cash transfer rather than being given payments from a low-quality contract when they occur.

So what is to be done? The increasing problem of counterfeit seeds (that is, seeds that are packaged to look like certified seeds) is instructive.  Private seed companies and governments and even international donors are trying to fix this problem precisely because they know that bad (counterfeit) seeds will drive out the good, and that farmer investment in an uncertified technology will collapse, making the farmer and the overall economy worse off.  We face the same risk in the insurance market: absent reliable and enforced quality certification, bad contracts will drive out the good, making everyone worse off. 

If index insurance is to reach the enormous cost-effective potential it has shown in randomized controlled trials, the private and public sectors must come together to create certification standards.  Our proposed SMS standard captures the key elements needed to determine index insurance quality.  We now have a (relatively) simple spreadsheet tool that can calculate the SMS when given historical data on farmer outcomes and index performance.  It is time to get serious about quality and open the door to allow this important market tool to flourish. 


 


1 commentaire(s)
Pour mon grand-père paysan (1910-1945) l'aversion au risque c'était:
- au minimum la réserve d'un an de semences, de 2 ans de vin et de 6 mois de cochon salé pour les ouvriers; - au maximum le stockage d'une récolte moyenne de blé (principale vente) et, en cas de bonne série météo, l'extension de l'exploitation sur des terres avec des risques différents. Hello to prof. L.Garoyan
Ecrit le 23 juin 2018 par : j-m bouquery 3595

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