Agriculture et sécurité alimentaire : la France entre commerce
et développement

15 mai 2017
Sébastien Abis, directeur du Club Déméter et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)


La France se distingue dans le monde par son ouverture, son respect des différences et sa sensibilité aux enjeux de développement par-delà les frontières hexagonales. Le rang de la France dans les relations internationales s’explique pour beaucoup par cette capacité à écouter les attentes de partenaires étrangers et à proposer des activités de coopération pour répondre à des besoins concrets qui concernent l’amélioration des conditions de vie des populations. Si ce rang est assurément mis au défi par l’émergence de nouvelles puissances, cela ne signifie pas pour autant que le rôle de la France s’étiole irréversiblement et que notre pays ne serait plus en mesure de jouer sa propre partition dans les affaires stratégiques internationales.



L’agriculture, maillon-clé d’une stratégie sécuritaire globale

Incontestablement, notre pays n’a pas les moyens de tout faire. Il a également besoin de retrouver une certaine «lisibilité» à l’international, en adoptant une stratégie cohérente avec ses valeurs, ses intérêts et ses potentialités. Une telle clarification devient nécessaire pour que plusieurs axes politiques se complètent et se confortent mutuellement. Cela implique d’accepter de choisir, ou du moins de prioriser, les secteurs d’activité et les zones géographiques dans lesquels l’action de la France s’avère appropriée. L’agriculture se situe au cœur de ce double débat portant à la fois sur la souveraineté nationale et le rôle de la France dans certaines régions du monde. Activité essentielle à la vie des êtres humains, qui entretiennent quotidiennement un rapport étroit et privilégié à la nourriture, l’agriculture constitue aussi l’un des piliers de notre économie et l’un des marqueurs de nos territoires. Bien que l’urbanisation de la population et que la tertiarisation des emplois se poursuivent, l’agriculture et l’agroalimentaire représentent ensemble le premier secteur économique français, ce qui correspond à près de 3,5 millions d’emplois directs et indirects, 3 à 4 % du PIB et 60 milliards d’exportations en moyenne chaque année.

Il s’agit aussi, à travers ces secteurs, de la question ô combien déterminante de la vitalité des territoires ruraux ou périurbains. C’est souvent l’agriculture et le tissu d’entreprises structurant les filières (production, transport, transformation, distribution, etc.) qui génèrent de la croissance et créent de l’emploi dans ces territoires dits « périphériques » alors qu’ils sont au contraire éminemment stratégiques ! Nourrissant les populations et les villes, assurant l’entretien des paysages, cultivant la diversité agricole de la France, ces acteurs agricoles et ces territoires ruraux sont parties prenantes des enjeux relatifs à la souveraineté nationale et économique.

La filière agro-alimentaire, un enjeu national

Comment notre pays pourrait-il envisager de construire son avenir en tournant le dos à ses mondes agricoles et ruraux ? Moins d’agriculture demain, c’est potentiellement moins de sécurité dans notre pays. Il faut donc à la fois préserver une politique agricole ambitieuse mais également redonner de la confiance aux acteurs de ce secteur qui souffrent parfois d’un sentiment d’abandon ou de mépris de la part de certaines franges de la société. Alors qu’ils ne cessent d’adapter leurs pratiques pour répondre aux exigences des transformations environnementales, les agriculteurs ne sont pas toujours reconnus à la hauteur des missions qu’on leur assigne. Or, rien n’est possible en agriculture sans un véritable contrat de confiance entre les pouvoirs publics, la population et ses agriculteurs. Entreprises à part entière, les exploitations agricoles peuvent-elles avancer à reculons ? Éléments structurants de notre sécurité nationale, les filières agro-alimentaires ne mériteraient-elles pas davantage de reconnaissance quand on s’interroge sur les atouts de notre puissance ? L’agriculture reste donc un enjeu national de première importance. Elle constitue également un axe stratégique pour l’action de notre pays à l’extérieur. Et ce pour deux raisons qui sont complémentaires.

Premièrement, le secteur agricole et agro-alimentaire génère chaque année des excédents commerciaux. Peu de familles de productions peuvent en dire autant en France. Grâce aux vins et spiritueux, aux céréales, au sucre ou aux semences, sans oublier la myriade de produits de terroir qui viennent garnir le panier à l’export, notre pays demeure l’une des principales puissances agricoles de la planète. La taille de la France s’amplifie sur un planisphère quand le curseur est placé sur le poids de l’agriculture et des productions alimentaires.

L’agriculture au service de la « diplomatie économique »

D’où le deuxième point vis-à-vis de notre action extérieure permettant de répondre aux attentes de certaines régions du globe : en contribuant aux équilibres alimentaires mondiaux, la France assure une responsabilité en matière de paix et de stabilité. Beaucoup de pays, notamment en Méditerranée et en Afrique, souffrent de déficits agricoles chroniques ou en croissance, que catalysent la pression démographique, les changements climatiques et les instabilités géopolitiques. Ce commerce avec la France en matière alimentaire doit être appréhendé objectivement. D’autant plus que par-delà les échanges, notre pays, au niveau des pouvoirs publics, des collectivités, des associations ou des entreprises, participe aux dynamiques de développement local pour accompagner la recherche, la formation, l’organisation de filière ou l’amélioration logistique.

Cet assemblage entre commerce et développement représente d’ailleurs un trait spécifique dans l’action de la France. S’il n’est pas parfait et peut évidemment être optimisé, cet assemblage est stratégique pour promouvoir notre diplomatie économique. Il trouve sa plus forte pertinence dans notre coopération avec la Méditerranée et l’Afrique. L’agriculture et l’agro-alimentaire offrent en effet l’illustration idoine d’un secteur favorable à l’économie française et à nos intérêts nationaux tout en étant essentiel à notre influence dans le monde. Nous sommes dans une période marquée par le retour de logiques de puissance dans l’économie pour asseoir des stratégies géopolitiques. Climat relativement stable, ressources naturelles, espaces et façades maritimes, savoir-faire capitalisés dans le temps, structuration de la profession, innovations permanentes, coexistence de plusieurs modèles de production, cadre de gouvernance porteur d’avenirs : autant d’atouts pour l’agriculture en France, pour sa sécurité nationale et la contribution de notre pays aux équilibres alimentaires mondiaux.

 

Texte adapté de la contribution de Sébastien Abis à l’ouvrage Repenser la souveraineté face à la mondialisation… et inversement, publié par la revue Préventique, l’Académie de l’Intelligence Économique et le Cercle Interuniversitaire, avril 2017

2 commentaire(s)
Sympathique ! Un peu d'hagiographie économique ne peut pas faire de mal.
L'essentiel est là, avec nos 3,5 millions d'emplois dans le système alimagraire. Et avec notre Cognac, notre Champagne, notre Bordeaux, notre blé à pain, notre malt, nos broutards, nos semences nous exportons du bonheur, de la culture, du savoir-vivre, du passé partagé et du futur de projet, de l'humain plus que de la matière; de la valeur plus que de la monnaie. France traiteur, facteur de Potlatch, de liberté. jm b
Ecrit le 15 mai 2017 par : j-m bouquery bouquery@noos.fr 3343

Bon anniversaire. 4 ans déjà. La balance se dégrade, certains le déplorent, d'autres risquent de la casser.
A bientôt Monsieur Abis.
Ecrit le 15 mai 2021 par : jm bouquery bouquery@noos.fr 4006

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