L'agriculture africaine n'a pas encore décollé

18 avril 2017

Jean-Christophe Debar, directeur, FARM



Selon les dernières données du département américain de l’Agriculture (USDA), le rythme de croissance de la valeur de la production agricole en Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, est resté stable depuis dix ans, malgré les engagements des chefs d’Etat et de gouvernement d’investir davantage dans l’agriculture. Plus inquiétant, la hausse de la productivité globale des facteurs, dans ce secteur, a fortement ralenti. 



Le service de recherche économique de l’USDA a récemment actualisé sa base de données sur la productivité internationale de l’agriculture[1]. Cet outil est très précieux : il fournit, pour plus de 170 pays et les principales régions du monde, des statistiques historiques sur l’évolution de la productivité globale des facteurs (PGF) - indicateur clé de l’efficacité de la production agricole[2] - et de ses principales composantes (surface exploitée, nombre de personnes travaillant dans l’agriculture, quantité d’intrants utilisées, etc.). Les données disponibles couvrent la période 1961-2013.

Les chiffres de l’USDA pour l’Afrique subsaharienne[3] ne prêtent pas à l’optimisme. La valeur de la production agricole a certes augmenté de 38,5 % en dollars constants, entre les périodes 2001-03 et 2011-13, mais cette hausse est quasiment identique à celle observée entre 1991-93 et 2001-03. Ainsi, l’engagement qu’ont pris les chefs d’Etat et de gouvernement africains à Malabo, en 2003, de renforcer l’investissement public dans l’agriculture ne s’est pas encore traduit par une accélération de la croissance du secteur. Il est vrai que sur la période 2008-14, seuls 5 pays africains sur 54 avaient atteint l’objectif de Maputo de consacrer au moins 10 % des dépenses publiques à l’agriculture et au développement rural.   

Selon nos calculs, la croissance de la productivité du travail agricole, mesurée par la valeur produite par adulte travaillant dans l’agriculture, a légèrement fléchi depuis dix ans : elle a atteint 9 % entre 2001-03 et 2011-13 contre 10 % entre 1991-93 et 2001-03 (tableau). Deux éléments expliquent ce ralentissement : d’une part, la hausse du rendement global par hectare s’est tassée, malgré une modeste expansion des superficies irriguées ; d’autre part, la surface disponible par actif agricole a continué de diminuer. En effet, depuis le début des années 2000, la surface exploitée pour l’agriculture, en Afrique subsaharienne, a progressé moins vite (+ 24 %) que la population active agricole (+ 27 %).

Estimation de la productivité du travail agricole en Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) 

  Moyenne
1991-93 
Moyenne
2001-03
Moyenne
2011-13
1. Valeur de la production agricole par hectare ($ 2004-06)   524  599  671
2. Surface exploitée par actif adulte agricole (ha)  1,09 1,05 1,02
(2) x (1) = Productivité du travail agricole ($ par actif adulte agricole)  571 629 684

Source : calculs de l’auteur d’après USDA


Mais l’élément le plus préoccupant est le ralentissement de la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF). Sur la période 2004-13, la PGF dans l’agriculture, en Afrique subsaharienne, a crû à un taux annuel moyen de 0,5 %, près de trois fois moindre que celui enregistré pendant la décennie précédente (1,3 % entre 1992 et 2003) et nettement inférieur à celui observé en Inde (2,5 %), en Chine (3,3 %) et dans les pays à revenu élevé (1,7 % en moyenne). Or la hausse de la productivité est un déterminant majeur de l’évolution du revenu agricole. Il faudrait augmenter fortement la PGF agricole, en Afrique, pour sortir le continent de la pauvreté et réduire les inégalités de revenu qui s’amplifient entre les villes et les campagnes : rappelons que trois quarts des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, au sud du Sahara, travaillent dans l’agriculture. Pour décoller, ce secteur a plus que jamais besoin de capitaux privés et de vigoureuses politiques publiques.

 


 

[1] United States Department of Agriculture, Economic Research Service, International Agricultural Productivity,
www.ers.usda.org/data-products/international-agricultural-productivity/

[2] L’augmentation de la production agricole résulte de la combinaison de deux éléments : la quantité de facteurs de production (terre, capital, travail) mobilisée et l’amélioration de l’efficacité avec laquelle ces facteurs sont utilisés, grâce au progrès technique et organisationnel ou suite à une meilleure qualification de la main d’œuvre. C’est ce second élément que mesure l’évolution de la productivité globale des facteurs (voir FARM, Notes No 7, juillet 2013).     

[3] Les données pour l’Afrique subsaharienne ne comprennent pas l’Afrique du Sud. 


8 commentaire(s)
Contribution succincte:
l'analyse de l'USDA ne confirme que tout ce que tout le monde sait déjà: des performances agricoles insuffisantes dans les pays cités. certains éléments méritent quand même attention: 1- la notion de pauvreté sous le seul angle financier a largement montré ses limites opérationnelles 2- la notion de productivité agricole a été remise en cause quand il s'agit de l'agriculture familiale dominante en Afrique subsaharienne. La productivité globale de l'exploitation familiale rend mieux compte de la complexité de ces types d'exploitations; Pour peu qu'on s’intéresse à leur accompagnement 3- les questions de fond ne sont pas posées et c'est à ce niveau que toutes les stratégies mondiales se montent et se démontent. COMMENT EN EST ON ARRIVE A CETTE SITUATION? QUELLES SONT LES FACTEURS DÉTERMINANTS DE CETTE SITUATION? QUELLES SOLUTIONS DURABLES METTRE EN OEUVRE? je pense modestement que la solution classique que l'on sert est: i) augmenter les rendements et les productions agricoles; 2) accepter et faciliter les investissements privés étrangers; et vous ne serez plus pauvres. Dans cette lutte pour le profit du Kapital, les multinationales de agro-industrie et la grande distribution tirent les ficelles. Il est temps, et la COP 21 l'a montré que l'on accepte que la voie n'est pas " la course à la productivité conventionnelle" (motochimisation disait Débouvry). Quelqu'un disait quelque part que " ce que les africains veulent....c'est que l'on ne les empêche pas de se développer"...".
Ecrit le 19 avril 2017 par : NGOM MAR mar_ngom@yahoo.fr 3311

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt cet article qui traite un sujet intéressant et vital pour l'Afrique: l'évolution agricole, à travers notamment la croissance de la productivité agricole et de la productivité globale des facteurs. En effet, malgré la croissance démographique qui réduit la superficie exploitée par actif agricole en Afrique subsaharienne, la productivité agricole ne s'améliore pas. En réalité, le principal goulot est l'organisation du secteur agricole qui rend les agriculteurs plus pauvres que les acteurs des autres secteurs de l'économie africaine. Vous avez affirmé à juste titre : "trois quarts des personnes vivant dans l’extrême pauvreté, au sud du Sahara, travaillent dans l’agriculture". Tant que ce visage perdurera, on n'aura pas les investissements technologiques nécessaires pour améliorer la productivité globale des facteurs et la croissance agricole. C'est ce que j'ai essentiellement développé dans mon livre intitulé "Pauvreté chronique et évolution agricole en milieu rural africain", paru vers fin 2016 aux Editions Universitaires Européennes. Le défi est donc comment organiser autrement le secteur agricole africain de manière à réduire au minimum le taux de pauvreté chronique au sein des producteurs ? J'ai amplement développé les notions de "pauvreté chronique" et de "pratiques agricoles de conservation (améliorantes)" dans ce livre qui peut être utile aux lecteurs intéressés.
Ecrit le 19 avril 2017 par : Dr Emile N. Houngbo enomh2@yahoo.fr 3312

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Ecrit le 19 avril 2017 par : smithg27@gmail.com 3313

Très juste analyse. L'Afrique ne met pas assez l'accent dans la formation et le renforcement des capacités. L'agriculture n'est pas un secteur facile, c'est trop complexe et suppose de connaissances poussées par toutes les parties concernées par son développement. L potentiel est là, mais les politiques s'en accaparent à des fins politiciennes.
Parmi les facteurs de production, la faiblesse du capital et la faible productivité du travail, constituent les principaux défis à relever, il y'a des soulutions, mais ceux qui font les politiques agricoles ont des agendas autres qui ne militent pas pour le développement et la lutte contre la pauvreté.
Ecrit le 19 avril 2017 par : KANE ABABACAR ababacar_55@hotmail.com 3314

En Afrique de l'Ouest, le secteur agricole, malgré la réduction des surfaces cultivables, le choc climatique, etc pouvait tirer profit de la dermographie galopante, avec un vaste marché dans l'espace UEMOA étendu à la CEDEAO. Malheureusement la libre circulation des biens n'est pas encore une réalité.
Un second point qui me semble important, c'est l'organisation du monde rural et surtout les organisateurs de producteurs(Plates formes Ouest africains et nationaux). Aujourd'hui encore, la grande majorité des producteurs de nos pays sont en dehors de ces organisations paysannes qui pourtant sont les principaux interlocuteurs auprès des gouvernements. Ces organisations discutent avec les gouvernements des problèmes du monde agricole (accès au marchés, au matériel agricole, semences, engrais, renforcement de capacités, etc.). Actuellement les opportunités sont gérées au niveau des OP. Mais comme beaucoup de producteurs sont en dehors de ces OP, ils n'en profitent pas et c'est bien dommage
Ecrit le 19 avril 2017 par : Françoise frbibiane@gmail.com 3315

C'est dommage que certains fassent des affirmations qui sont loin de la réalité; y compris certaines souces statistiques "fiables". La vérité que les femmes et les hommes de terrain peuvent confirmer est que la l'écrasante majorité des producteurs sont dans des organisations agricoles et les plateformes. Toutefois, il est bon de remarquer que ces organisations n'ont pas le dynamisme adéquat et la gouvernance adéquate pour que le sentiment d'appartenance s'exprime "naturellement". Il s'agit là d'un des grands défis à relever par ces organisations. En tout cas en Afrique de l'Ouest, ces plateformes sont représentative et SIGNIFICATIVE. Leurs missions ne doit pas être confondues avec celles des organisations de base ou organisations intermédiaires comme les coopératives, etc. Ces plateformes sont aujourd'hui des régulateurs importants, des contrepoids dans la gouvernance agricole...ce sont des alliés significatifs de la société civile dans la gouvernance de nos ressources naturelles, et de nos politiques agricoles. Accompagnons ces paysannes et paysans, ces ruraux à mieux faire car leur citoyenneté et leur engagement à la souveraineté sont un sacerdoce...Une littérature fournie (dont celle de la recherche) existe sur les organisations agricoles et sur leurs dynamiques depuis au moins les années '70.
Ecrit le 21 avril 2017 par : NGOM MAR papmar@yahoo.fr 3316

La mise en comparaison objective de quelques indicateurs simples mais universels est toujours éclairante et contribue à la compréhension de la réalité. Le caractère très agrégé des indicateurs utilisés (par exemple la productivité globale des facteurs pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne) m'amène à faire quelques commentaires:
- n'y a-t-il pas des évolutions très contrastées à l'intérieur du continent africain entre diverses régions ou zones ? J'intuite que les zones ayant connu ces dernières années ou décennies des histoires politiques agitées, avec des guerres civiles destructrices, une instabilité empêchant une pratique normale de l'agriculture, ont une productivité globale des facteurs n'ayant rien à voir avec celle de zones en paix. Le redécollage de la Côte d'Ivoire depuis la fin de l'instabilité politique des années 2000 en est une illustration assez frappante ; sans avoir les chiffres sous les yeux, j'imagine que la PGF de la Côte d'Ivoire de 2015 est très nettement supérieure à celle de 2000-2010. - Contexte politique et existence de conflits ne sont évidemment pas les seuls facteurs déterminants de la productivité, et il en existe bien d'autres. A ce titre, la "chute" de l'article plaidant pour plus d'investissements privés et de politiques publiques me paraît être un raccourci très hâtif, dû sans doute au format même du texte qui ne permet des analyses plus fouillées. - L'agriculture africaine souffre dans sa majorité d'un déficit de financement, et tant les investissements privés que les politiques publiques volontaristes vont dans le sens d'une réduction de ce déficit. J'y rajouterais une réorganisation de la fiscalité interne des Etats africains (capacité à financer une politique publique, efficacité des exonérations fiscales aux capitaux étrangers, ....) trop souvent négligée dans les débats sur le financement du développement en général, sur le financement de l'agriculture en particulier. Dans tous les cas, merci pour cette possibilité d'échange.
Ecrit le 24 avril 2017 par : Vincent Ribier vincent.ribier@cirad.fr 3317

C’est une juste analyse et tant que le producteur ne sera en mesure de jouir de sa production parce qu’il doit toutes les fois les bradés, il n’y aura jamais de décollage ni de réduction de la pauvreté. En plus des deux défis cités par KANE ABABACAR moi j’ajoute celui de permettre aux producteurs de pouvoir fixer le prix de sa production. On dit que la terre ne ment pas certes ,mais ce n’est valable que pour les grands producteurs qui ont les moyens d’emblaver une grande superficie et qui disposent aussi des moyens de stocker ses produits sans subir de pression financière avant le déstockage.
Ecrit le 25 avril 2017 par : HOUNKPATIN Aubierge estellehounkpatin@gmail.com 3318

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