Comment mesurer et améliorer l'impact climatique des programmes de développement agricole ?

28 novembre 2016
Louis Bockel, Expert principal en analyse des politiques, Responsable de l’équipe EX-ACT, FAO


Près d’un quart des émissions totales de gaz à effet de serre (GES), soit 10 à 12 Gt équivalent CO2 par an, proviennent de l’agriculture, de la forêt et du changement d'affectation des terres. Agir sur ce secteur peut permettre d’atténuer sensiblement le changement climatique. De nombreuses options techniques sont disponibles et peuvent être déployées immédiatement[1] :

  • réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2) grâce à la réduction de la déforestation et de la dégradation forestière, l’adoption de pratiques agricoles plus durables (réduction du travail du sol, gestion intégrée des intrants et de l’eau, etc.) ;
  • réduire les émissions de méthane (CH4) et d’oxyde nitreux (N2O) via l’amélioration des systèmes d’élevage (notamment la gestion des effluents) et une gestion plus efficiente des systèmes d’irrigation rizicoles et des intrants ;
  • stocker le carbone par l’utilisation de pratiques agricoles adéquates, l’amélioration de la gestion des pratiques forestières, l’afforestation et la reforestation, l’amélioration des pâtures et la restauration des sols dégradés.


Figure
1: Exemple de système agroforestier en Afrique, source : FAO

Des investissements importants sont nécessaires pour soutenir la transition mondiale vers une agriculture à faible émission de carbone et résiliente au changement climatique. Au-delà des fonds publics, la mobilisation des investisseurs  privés sera essentielle pour atteindre un changement significatif, transformationnel, avec des impacts durables sur toutes les économies[2].

La mise en œuvre des politiques publiques dans le secteur agricole se fait à travers un ensemble d’incitations et de réglementations destinées à influencer les acteurs dans leurs choix stratégiques en matière d’orientation et de transformation des activités de production. A travers le financement du secteur agricole, on dispose ainsi d’un ensemble d’outils pour inciter au changement, promouvoir de nouvelles pratiques agricoles plus durables, moins polluantes, réduire les externalités négatives (pollution de l’eau) ou appuyer les externalités positives (fixation de carbone dans le sol ou la biomasse, biodiversité).

Dans le cadre du changement climatique, il s’agit par exemple de l’accès aux :

  • fonds climat pour les projets publics,
  • taux bonifiés et subventions pour les investissements privés fixateurs de carbone,
  • paiements de services environnementaux aux producteurs pour des pratiques agro-écologiques ou climato-intelligentes ou renforçant la résilience aux chocs climatiques,
  • fonds de garantie ou d’assurance climat, ou encore
  • obligations labellisées « climat ».

Ces outils permettent d’accompagner la création de partenariats public-privé et donc de mettre en place un véritable effet de levier pour des pratiques climato-intelligentes.

Pour s’assurer que les programmes/projets d’investissement public en agriculture et au titre de l’aide au développement, ainsi que les investissements privés, sont identifiés et conçus pour optimiser leur impact en termes d’adaptation et d’atténuation du changement climatique, il faut pouvoir les évaluer sur ces critères. Depuis 2015, cette évaluation ex-ante sur l’impact carbone est devenue un préalable obligatoire à l’approbation des projets d’investissement notamment dans l’agriculture et les forêts.

Grâce aux données de coefficients carbone et aux méthodologies d’analyse du bilan carbone publiées par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la FAO a pu développer l’outil EX-ACT[3] (Ex-Ante Carbon-balance Tool) dès 2009. Il s’agit d’un système d’évaluation qui fournit des estimations ex-ante de l’impact des projets, programmes et politiques de développement agricole et forestier sur le bilan carbone. Celui-ci se définit comme le bilan net de toutes les émissions de GES, exprimées en équivalent CO2, émises ou séquestrées lors du projet. Il correspond ainsi à la différence entre un scénario « avec projet » et un scénario « sans projet » ou scénario de référence.

Prenons l’exemple du Plan Maroc Vert (PMV), qui illustre parfaitement la convergence entre politique et financement de l’agriculture dans le cadre de politiques « vertes » influant à la fois sur l’atténuation du changement climatique et sur l’adaptation à ses effets. Un zoom sur la filière oléicole y dévoile une stratégie à grande échelle d’expansion et d’intensification de cette filière par l’installation de 440 000 ha de nouvelles plantations d’olivier, la réhabilitation de 300 000 ha de plantations existantes et l’équipement de 136 000 ha de vergers en micro-irrigation.

Dans ce cas, le Crédit Agricole du Maroc (CAM) agit comme intervenant principal car il distribue non seulement le crédit, mais aussi les subventions (350-600 euros/ha pour les nouvelles plantations, 80-100 % du coût d’installation du système d’irrigation…). L’investissement global pour la filière sur la période 2009-2020, au titre de ce partenariat public-privé, s’élève à 2,7 milliards d’euros dont 0,8 milliard financé par l’Etat (33 %).

L’impact de ce programme d’investissement en termes de bilan carbone a été estimé à 61 millions t CO2 séquestrées sur 20 ans, soit en moyenne 3 millions t CO2 d’atténuation par an. L’essentiel provient des nouvelles plantations d’oliviers qui permettent de fixer 56 millions t CO2 et la réhabilitation de plantations existantes à hauteur de 6,7 millions t CO2. Cet impact compense les émissions annuelles de gaz à effet de serre d’un pays comme Madagascar (3,08 millions t CO2/an). 

 


Figure 2 : une oliveraie marocaine[4]

L'adaptation au changement climatique et l'atténuation de ses effets ayant pris une importance majeure dans les priorités des gouvernements, il devient nécessaire de mesurer les performances climat de tout projet d’investissement public en matière d’atténuation des émissions de GES et de capacité d’adaptation au changement climatique. La mobilisation croissante des fonds climatiques dans le cofinancement des investissements publics et privés de développement  conduit ainsi les bailleurs de fonds et les banques à mettre en place progressivement des systèmes de suivi-évaluation des impacts du changement climatique. Cela assure une meilleure orientation des investissements et une concrétisation des avantages attendus de telles actions[5].

Le secteur de l’agriculture, de la forêt et du changement d’affectation des terres peut ainsi contribuer de 20 à 60 % au potentiel d’atténuation des émissions de GES d’ici à 2030. Pour accroître cet objectif, il faut une forte mobilisation des institutions de développement agricole qui financent le secteur et fournissent l’appui technique aux producteurs. Dans le cadre de partenariats public-privé, la transition vers de nouvelles pratiques d'atténuation pourrait demander de nouvelles formes de crédit, de gestion de risque ou mécanismes d'assurance, des fonds ciblés de développement agricole, s’inscrivant comme les outils d’une politique sectorielle incitative comme dans l’exemple du Plan Maroc Vert.

 La COP22 a été une étape clé pour mobiliser des partenariats public-privé dans le secteur agricole africain. En ce sens, l’initiative « Triple A » (« Adaptation de l’Agriculture Africaine ») proposée par le Maroc constitue un premier pas vers la mise en œuvre de mesures conjuguant l’amélioration de la productivité agricole, le stockage du carbone dans le sol et la lutte  contre la sécheresse, afin d’aider le continent le plus touché par les changements climatiques.


 

[1] Bockel, Schiettecatte, Grewer, & Bernoux. (2015). Guide rapide pour l’utilisation de l’outil Ex-Ante Carbon-balance Tool (EX-ACT) pour les secteurs agricoles et forestiers. Roma: FAO IRD World Bank.

[2] Smallridge. (2012). The Role of National Development Banks in Intermediating International Climate Finance to Scale Up Private Sector Investments. Inter-American Development Bank IDB Discussion Paper.

[3] http://www.fao.org/tc/exact/ex-act-home/en/

[4] Source: http://www.plan-it-fez.com/wp-content/uploads/2013/07/olive-trees-1024%C3%97768.jpg

[5] Bockel, Vian, & Torre. (2016). Towards Sustainable Impact Monitoring of Green Agriculture and Forestry Investments by NDBs: adapting MRV Methodology. Roma: AFD FAO.

 


2 commentaire(s)
Ces initiatives sont les bienvenues. Il serait toutefois aussi utile de se pencher sur les pertes post-récolte dues à un mauvais entreposage et à un transport déficient, notamment à cause d'une chaîne du froid insuffisante dès l'exploitation agricole.Le bénéfice environnemental dû à l'économie de ressources à production finale équivalente est considérable (travaux IIF, FAO, Deloitte.....).
Ecrit le 2 décembre 2016 par : Coulomb d.coulomb@iifiir.org 3153

The Atlas Mountains is the country where the existence of a splendid afterlife is undoubtedly agreed upon. The Bouguemez valley & M'goun , nicknamed ‘Happy Valley’ for the purported disposition of its inhabitants, remains by all accounts Morocco’s most stunning high-altitude destination besides the Toubkal National Park , which would usually be mobbed with trekking-minded tourists at summer times. The Bouguemez Valley is, on the other hand, described as “the best-kept secret in Morocco.”www.climbingtoubkal.com
The Bouguemez valley resembles the secluded mountain kingdom of the travellers’ imagination. The land is intensely cultivated in precise geometric patterns that form intricate mosaics on the fertile valley floor. Scattered here and there are clusters of fortified houses made from the same red clay that they rest on and stacked like blocks turned out from a child’s sand bucket.
Ecrit le 22 août 2017 par : Imlil Treks fouryoulan@gmail.com 3433

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