Comment améliorer l’offre semencière en Afrique de l’Ouest et du Centre ?

13 septembre 2016
Philippe Massebiau, chef de projet Politiques et marchés à FARM


Face à la nécessité d’augmenter les rendements des cultures et la productivité du travail agricole en Afrique, les semences, intrant crucial pour l’efficacité des systèmes de production, suscitent une légitime attention. Le constat est sans appel : à l’inverse des pays développés voire émergents, plus de 80 % des semences utilisées en Afrique de l’Ouest et du Centre sont des semences paysannes, c’est-à-dire issues de la sélection massale. Celles-ci sont majoritairement échangées, données ou vendues par l’agriculteur dans son environnement proche. Ces semences présentent des avantages mais ne permettent souvent de dégager qu’une valeur ajoutée limitée. En outre, leur préservation peut être menacée en cas de crises climatiques ou sanitaires et de conflits. Dès lors, comment mettre en place une offre semencière appropriée, adoptable à grande échelle  par les agriculteurs africains ?

Cette question a fait l’objet d’un forum électronique et d’un atelier de travail organisés par la fondation FARM et le Centre ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricoles (CORAF/WECARD), respectivement en mars-avril 2015 et juillet 2016. Les recommandations issues de ces réflexions ne sont pas encore publiées, mais quelques pistes d’action se dégagent.

Malgré la mondialisation croissante des échanges et des régimes alimentaires, il est important de distinguer la spécificité du contexte et des systèmes agraires africains, comparés à ceux des pays émergents ou développés. Le faible pouvoir d’achat des agriculteurs, le manque de connaissances des systèmes de production paysans par les acteurs des filières semencières et les capacités réduites des services publics (notamment en matière de recherche, de certification et de contrôle) imposent de  réorienter le modèle de production semencière.

Du fait, en particulier, de la prédominance des petits producteurs familiaux, de l’extrême diversité des conditions du milieu,  l’élément clé de ce changement est la prise en compte fine des systèmes de production paysans dans la sélection variétale, grâce à la recherche participative. En effet, au-delà du potentiel de rendement, la qualité d’une variété se mesure par sa capacité à accroître la production au moindre coût (c’est-à-dire à optimiser la valeur ajoutée nette[1]) et par son adaptation à un contexte socio-économique (itinéraire technique des systèmes de culture, valeur nutritionnelle des produits, utilisation, etc.) et pédoclimatique (climat, ensoleillement, pression des ravageurs, texture des sols, nutrition minérale, etc.) spécifique. Les critères de sélection des variétés doivent être établis par la recherche, en étroite concertation avec les communautés paysannes à travers des organisations de producteurs agricoles (OP) structurées. Ce modèle de recherche participative a par exemple été suivi, au cours des années 2000, entre deux organismes de recherche (le CIRAD[2] et l’INERA[3]) et une OP burkinabaise (l’UGCPA-BM[4], partenaire de la fondation FARM depuis 2008) pour la sélection de nouvelles variétés de sorgho.

En ce sens, il est nécessaire que les pouvoirs publics contribuent au renforcement des capacités et des responsabilités des OP au sein des filières agricoles, notamment sur le volet semences (sélection, formation/conseil, production, stockage de proximité, emballage, certification, commercialisation). Cela permettrait de mettre en place des subventions sur les semences plus cohérentes (subventions monétaires plutôt qu’en nature afin de donner la possibilité au producteur d’acheter la variété de son choix, versées directement à l’agriculteur ou transitant par les OP) et ce dans le cadre d’une politique agricole systémique, visant à créer un environnement économique plus stable pour les producteurs, grâce notamment à des protections douanières, des assurances contre les aléas climatiques et des dispositifs de gestion des risques de prix.

Pour organiser les filières semencières dans le but de favoriser leur efficience et leur efficacité, il serait également utile de créer ou renforcer :

- des plateformes d’échange et d’innovation régionales intégrant des informations relatives aux variétés disponibles (catalogue recensant les lieux de production, les itinéraires techniques, les types de sols, etc.), aux marchés, aux aspects règlementaires et aux politiques de soutien ;
- des cadres de concertation multi-acteurs nationaux (comme celui existant déjà au Ghana) au niveau des interprofessions, associant représentants des producteurs, de la recherche, des entreprises semencières, des institutions financières et des organismes publics. Ceci permettrait de dresser le  bilan offre/demande des semences (production, stocks, échanges, taux d’utilisation, etc.) pour la saison écoulée et de préparer la campagne suivante ;
- des banques de semences pouvant conserver l’ensemble des variétés commercialisées (paysannes et industrielles) afin de disposer d’une palette la plus large possible en cas de crise (sécheresse, inondations, conflits, etc.) et pour la sélection de nouvelles variétés à partir de celles présentant des caractères jugés pertinents. Il est important que ces variétés soient à la disposition des producteurs et parfaitement référencées.    

Un fonctionnement efficient des filières semencières requiert un accompagnement public performant en matière règlementaire, de certification et de traçabilité. Même s’ils existent sur le papier, les certificats d’obtention variétale (COV) peinent à trouver leur place en Afrique, faute de moyens financiers et humains suffisants. C’est regrettable, car outre qu’ils protègent les détenteurs de variétés, ces certificats ont le mérite, à la différence des brevets, de permettre la libre utilisation des ressources génétiques pour la création de nouvelles variétés et de laisser la possibilité aux producteurs de ressemer (semences de ferme).

Par ailleurs, afin d’augmenter la sécurité alimentaire, la résilience des systèmes de production face aux changements climatiques et la diversité des régimes alimentaires, il importe de ne pas laisser des semences « orphelines », c’est-à-dire sans effort concerté d’amélioration génétique. Outre les céréales les plus communes (maïs, riz) et les plantations pérennes (cacao, hévéa, palmier à huile), les espèces traditionnelles africaines (sorgho, manioc, mil, taro, fonio, niébé, etc.) devraient elles aussi bénéficier de l’attention des chercheurs.



 

[1] Celle-ci exprime la création de richesse du système de production et se mesure par le produit brut dont on déduit la valeur des biens et services partiellement (dépréciation de capital fixe) et totalement consommés (consommations intermédiaires) dans le processus de production.  

[2] CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. 

[3] INERA : Institut de l’environnement et de recherche agricole du Burkina Faso.

[4] UGCPA-BM : Union des groupements pour la commercialisation des produits agricoles de la Boucle du Mouhoun. 


 


1 commentaire(s)
Merci pour le travail que les chercheurs font pour mettre en place ces nouvelles variétés, mais moi je crois avant tout un travail reste à faire dans le sens d'une large vulgarisation de ces variétés améliorées car au Bénin pour ce que je sais et étant acteurs du monde rural je peux vous dire que peu de producteurs les connaissent ( seuls les '' gros producteurs'' les connaissent).
Ecrit le 16 septembre 2016 par : Michel michelate125@yahoo.fr 3085

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