L'assurance agricole en Inde : combler les failles du système

22 février 2016
Jean-Christophe Debar, directeur de FARM


Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a annoncé, le 13 janvier, un fort accroissement du  budget dédié à l’assurance récolte. En 2018/19, le gouvernement central et les Etats fédérés devraient consacrer à ce dispositif l’équivalent de quelque 1,14 milliard de dollars U.S., soit plus du double de l’enveloppe actuelle. Les primes d’assurance payées par les producteurs de grains seront fixées à un faible niveau (2 % pour les cultures de printemps, 1,5 % pour les cultures d’hiver), identique pour tous les producteurs et très inférieur au taux actuariel permettant de couvrir les indemnités, ce qui correspond à une subvention d’environ 80%. En outre, les indemnités versées en cas de sinistre devraient augmenter, car le capital assuré par les agriculteurs sera déplafonné. L’objectif officiel est que l’assurance récolte couvre, à terme, 50 % de la surface cultivée,  contre 23 % actuellement. 

Il faut bien sûr saluer l’implication accrue des autorités indiennes dans la protection des agriculteurs contre les aléas climatiques. Les énormes pertes de récolte subies ces dernières années à cause de la sécheresse, de la pluie ou de la grêle, et leurs répercussions dramatiques pour des millions de petits agriculteurs, criblés de dettes, ont montré les limites du dispositif d’aide existant. Celui-ci repose sur deux piliers : un fonds de garantie contre les calamités naturelles, financé par les pouvoirs publics, et un système d’assurance récolte, cofinancé par les agriculteurs et les pouvoirs publics. Les aides versées par le fonds de garantie sont limitées (même si leur budget global est substantiel) : elles visent seulement à permettre aux agriculteurs d’acheter des intrants pour la prochaine récolte. L’assurance est censée fournir la majeure partie des compensations des pertes de récolte.

Un rapport récent d’une ONG indienne, le Center for Science and Environment (CSE)[1], révèle les failles du dispositif. Elles sont béantes. Le fonds de garantie contre les calamités naturelles repose sur des procédures d’évaluation des pertes très rudimentaires. Ses critères d’indemnisation varient selon les Etats, sans autre justification que les priorités des administrations locales. Surtout, le fonds est miné par la corruption et manipulé par les politiciens pour se constituer une clientèle. Quant à l’assurance récolte, la lecture de l’analyse du CSE est hautement recommandée pour tous ceux qui s’intéressent à la construction dans les pays en développement, notamment en Afrique, de systèmes efficaces de gestion des risques, incitant les agriculteurs à investir sur leur exploitation. Manque de transparence dans l’évaluation des pertes – là encore, objet de corruption -, « risque de base » dû au fait que les pertes sont estimées à un niveau très agrégé (celui d’une unité administrative), lenteur de l’indemnisation… autant de facteurs qui expliquent le mécontentement des agriculteurs à l’égard du système. Les mesures annoncées par Narendra Modi le 13 janvier répondent partiellement à ces critiques, car elles promettent de recourir aux images satellitaires pour l’évaluation des pertes et au téléphone mobile pour le paiement des indemnités. Encore faut-il disposer pour cela de l’infrastructure technique et financière adéquate, ce dont doutent certains observateurs[2]

Un point du rapport du CSE retient particulièrement l’attention. L’assurance récolte est obligatoire pour les agriculteurs qui contractent un prêt dans le cadre du programme Kisan Credit Card, principal outil de crédit à court terme. De fait, la quasi-totalité des agriculteurs assurés sont engagés dans ce programme. La prime d’assurance est collectée par la banque, qui la transmet (si elle « n’oublie pas ») à la compagnie d’assurance. Ce dispositif permet de réduire les coûts de gestion, mais le producteur ignore très souvent quel est le montant de la prime, à quelle culture elle s’applique et surtout à combien d’indemnités il peut prétendre en cas de sinistre. Cette opacité se double du fait que l’agriculteur ne peut guère choisir son assureur, celui étant généralement en position de monopole. Il est ainsi complètement déresponsabilisé dans sa gestion des risques. Cela n’a peut-être pas d’importance pour les petits paysans qui vivent sur moins de un hectare (et qui constituent deux tiers du nombre de ménages agricoles en Inde), dans la mesure où la plupart d’entre eux produisent essentiellement pour leur propre consommation et ont peu de marges de manœuvre. Mais cette situation est regrettable pour les producteurs insérés dans les circuits commerciaux, qui, quelle que soit la taille de leur exploitation, sont amenés à raisonner en entrepreneurs. En Inde, comme dans beaucoup d’autres pays du Nord et du Sud, la sensibilisation des agriculteurs à l’assurance est un chantier immense.     

[1] Centre for Science and Environment, Lived Anomaly. How to enable farmers in India cope with extreme weather events, 2015

[2] Ashok Gulati, A harvest-time gift, The Indian Express, January 18, 2016

 

 


 


4 commentaire(s)
Merci pour votre commentaire.
Vous soulevez, indirectement, une question importante : la diversification des cultures est-elle un procédé suffisant pour se passer de toute aide contre les calamités naturelles ? Quel en est exactement l’impact sur les revenus agricoles ? Sujet me semble-t-il trop peu exploré par les chercheurs et dont la réponse varie sans doute selon les régions. Je précise que l’aide dont il est question dans l’article est d’origine publique. Les multinationales n’y sont pour rien.
Jean-Christophe Debar
Directeur
Fondation FARM
Ecrit le 22 février 2016 par : Jean-Christophe Debar 2943

Bonjour,
Les agriculteurs dont vous parlez en Inde pratiquent ils l'agroécologie .. qui est une des meilleures solutions pour s'adapter aux changements climatiques et qui rend les paysans indépendant de toute "aide" extérieures.. des multinationales ?? Je connais les résultats spectaculaires de ces pratiques agroécologiques au Burkina Faso dans l'attente de vous lire, cordialement B.Bouquet
Ecrit le 22 février 2016 par : beatricebouquet@sfr.fr beatricebouquet@sfr.fr 2944

Merci pour ce texte interessant qui montre la grande difficulte qu'il y a promouvoir des outils d'iinspration liberale (assurances reposant sur une mutualisation des risques, des couts et des soutiens) dans le contexte de societes claniques ou oligarchiques, qui ne respectent pas les prinicpes qui soutendent les actions proposees.
L'Ukraine connait exactement cette situation pour les assurances agricoles avec moins de 3% des terres assurees, en tres peu d'entre elles de facon spontanee car il est fat obligaion de souscrire un contrat d'assurance pour concretiser un pret bancaire. Je vois un fois de plus ce qui me semeble etre une malhonnete fondamentale du FMI et consorts, qui font comme si les ologarchies, par nature spoliatrices, n'existaient pas ou pouveient etre marginalisees par la seule vertu des outils qu'ils promeuvent .. Cordialement JJH
Ecrit le 11 avril 2016 par : jean-Jacques HERVE jean-jacques.herve@credit-agricole.ua 2954

Eh oui, dans ce domaine comme dans d'autres, la dimension d'économie politique est souvent négligée. Une piste pour les chercheurs ! Cordialement, JCD
Ecrit le 11 avril 2016 par : Jean-Christophe Debar 2955

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