La nouvelle loi-cadre agricole
(farm bill), signée par le président Obama le 7 février 2014 et applicable jusqu’en 2018, réforme en profondeur le dispositif de soutien à l’agriculture. Elle modifie notamment le système d’aide au coton, dont les Etats-Unis sont les premiers exportateurs mondiaux. Avec un objectif clairement affiché : mettre un terme au différend qui, depuis une douzaine d’années, les oppose au Brésil.
En 2004, puis en 2008, l’Organisation mondiale du commerce, saisie par le Brésil, a jugé que certaines aides versées aux producteurs de coton américains faussaient les échanges et violaient les règles commerciales internationales. En 2010, les Brésiliens ont accepté d’être compensés partiellement pour les préjudices subis, à hauteur de 147 millions de dollars par an, moyennant l’engagement des Américains à réduire sensiblement leur appui aux producteurs de coton dans le prochain
farm bill. Ce que, selon ces derniers, ils viennent de faire.
Pour comprendre la portée de cette réforme, il faut savoir que jusqu’en 2014, les producteurs de coton étatsuniens étaient protégés par une panoplie de soutiens, de même nature que ceux octroyés aux producteurs de céréales et d’oléo-protéagineux: prix minima, aides directes et contrats d’assurance (récolte et chiffre d’affaires) fortement subventionnés. Ces soutiens avaient pour effet de protéger les «cotonculteurs» contre les baisses de rendement et les fluctuations des prix de marché, les incitant ainsi à accroître leur production et leurs exportations, au détriment de leurs concurrents brésiliens, africains et autres.
Le nouveau
farm bill supprime les paiements découplés de la production et des prix de marché, qui étaient versés depuis 1996 aux agriculteurs dotés d’une surface historique en grandes cultures (coton et autres). Il élimine également les aides directes octroyées lorsque le prix de marché du coton était inférieur au prix d’objectif établi par la loi ou quand le chiffre d’affaires par hectare de coton tombait sous la moyenne des cinq années précédentes (dispositifs qui restent opérationnels pour les autres grandes cultures). En outre, le prix minimum
(marketing loan rate) du coton
upland sera désormais fixé par le département américain de l’Agriculture sur la base de la moyenne des prix mondiaux du coton durant les deux campagnes précédentes. Ce prix ne pourra toutefois être inférieur à 45 cents la livre ni dépasser 52 cents la livre, soit le niveau en vigueur depuis plusieurs années.
Mais la mesure la plus originale est la création, à partir de 2015, d’un programme d’assurance spécifique au coton, dénommé STAX
(Stacked Income Protection Plan). STAX pourra être souscrit seul ou en complément à l’assurance chiffre d’affaires classique offerte à tous les producteurs de grandes cultures. Dans ce dernier cas, sans doute le plus courant, il permettra de combler une partie de la franchise de l’assurance classique. Ainsi, un producteur de coton pourra acheter une assurance chiffre d’affaires classique, garantissant jusqu’à 85 % de son chiffre d’affaires par hectare de coton tel que projeté au moment des semis, et souscrire une police d’assurance STAX, fournissant des indemnités complémentaires. Celles-ci seront calculées sur la base du chiffre d’affaires moyen par hectare de coton dans le comté (subdivision des Etats) où est située l’exploitation ; elles seront comprises entre 10 % et 30 % de ce chiffre d’affaires, tel que projeté au moment des semis
(1). Les contrats STAX, qui devraient être commercialisés à partir de 2015, seront subventionnés à hauteur de 80 %, contre environ 60 % en moyenne pour l’assurance chiffre d’affaires classique
(2).
Trois questions se posent. Dans quelle mesure le nouveau système d’aide réduit-il réellement le soutien à la production de coton ? Quel sera son impact sur la production américaine de coton ? Enfin, est-il susceptible de mettre un terme au différend qui oppose les Etats-Unis et le Brésil ?
La baisse du soutien au coton fait l’objet de différentes évaluations, mettant en balance l’élimination des paiements découplées et des aides directes liées aux prix de marché, d’une part, et l’introduction du STAX, d’autre part. Selon nos calculs, d’après les projections récemment publiées par le FAPRI (
Food and Agricultural Policy Resarch Institute), le soutien aux producteurs de coton pourrait tomber de 32 % de la valeur de la production sur la période 2008-2013, couverte par le
farm bill précédent, à 18 % sur la période 2015-2018. Mais ces estimations n’ont qu’une valeur indicative, car elles dépendent des hypothèses considérées en matière de rendement et de prix de marché du coton, et du taux de participation des producteurs de coton aux programmes d’assurance (y compris le STAX). Une chute des prix du coton entre les semis et la récolte - fenêtre d’application de l’assurance chiffre d’affaires - pourrait entraîner une explosion des indemnités.
En outre, les différents programmes de soutien ne protègent pas le revenu des producteurs de la même façon. L’extension du système assuranciel a deux conséquences. Comme on l’a vu, les contrats STAX, contrairement aux assurances classiques basées sur le rendement individuel de l’exploitation, seront indexés sur le rendement moyen du comté dans lequel est située l’exploitation. Sur la partie de la récolte couverte par le STAX, les producteurs de coton seront ainsi exposés à un «risque de base», dû au déficit éventuel de corrélation entre l’évolution du rendement de l’exploitation et le rendement moyen du comté. Si cette corrélation est mauvaise, les producteurs seront sous-indemnisés ou sur-indemnisés par rapport aux pertes réellement subies. Par ailleurs, et surtout, les garanties offertes par l’assurance chiffre d’affaires (contrats classiques ou STAX) sont basées sur les prix à terme du coton ; elles ne constituent pas un réel filet de sécurité lorsque les prix de marché du coton ne couvrent pas les coûts de production. Ce rôle est dévolu au prix minimum, mais celui-ci est très bas et ne couvre qu’une faible part des charges payées par les producteurs de coton.
L’impact du nouveau régime de soutien sur la production américaine de coton est, lui aussi, difficile à cerner. Les Etats-Unis exportant près de 80 % de leur récolte, la dynamique de leur production dépend étroitement de l’évolution du marché mondial. Or, celle-ci est très incertaine à moyen terme. Soucieuse de réformer son coûteux programme de soutien, la Chine, premier pays importateur, va probablement acheter moins de coton et mettre en vente une partie de ses énormes stocks. Compte tenu, par ailleurs, de la demande prévue pour les autres grandes cultures, le FAPRI anticipe une stabilité de la sole de coton aux Etats-Unis dans la prochaine décennie. Selon ses projections, la production de coton devrait augmenter en raison de la hausse des rendements, mais elle serait inférieure, en 2023, à son niveau moyen de 2010-2012. Un léger recul est également prévu pour les exportations américaines de coton.
Ces perspectives vont-elles favoriser un règlement définitif avec le Brésil ? Rien n’est moins sûr. Selon l’association des producteurs de coton brésiliens, l’ABRAPA, le nouveau régime de soutien
« va probablement causer des distorsions majeures des prix internationaux du coton ». Apparemment, le gouvernement brésilien envisage différentes options, dont l’une serait d’appliquer, à l’égard des Etats-Unis, les mesures de suspension de certains droits de propriété intellectuelle qu’il avait accepté de différer en 2010. Il est vrai que les prochaines élections présidentielles, qui auront lieu au Brésil en octobre, incitent à la surenchère.
L’issue de ce dossier intéresse au plus haut point l’Afrique subsaharienne, notamment les quatre pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Bénin, Mali, Tchad) qui ont lancé il y a une dizaine d’années, à l’OMC, une « initiative sectorielle » en faveur de la libéralisation des politiques cotonnières. En vingt ans, les exportations américaines de coton ont doublé et celles du Brésil ont été multipliées par douze, tandis que les exportations africaines ont augmenté de 50 % et stagnent depuis dix ans
(tableau 1). Réduire les subventions excessives octroyées aux producteurs américains est une chose. Faire en sorte que les producteurs africains de coton disposent, eux aussi, de soutiens et de dispositifs appropriés de gestion des risques en est une autre, non moins cruciale.
Tableau 1 : Exportations de coton des Etats-Unis, du Brésil et d’Afrique subsaharienne |
| Moyenne 1990-92 | Moyenne 2000-02 | Moyenne 2010-12 |
| Quantité | Part des exportations mondiales (%) | Quantité | Part des exportations mondiales (%) | Quantité | Part des exportations mondiales (%) |
Etats-Unis Brésil Afrique subsaharienne | 6 547 320 2 945 | 23,6 1,1 10,6 | 9 880 493 4 743 | 34,6 1,7 16,6 | 13 039 3 700 4 448 | 30,5 8,6 10,4 |
Quantité : en milliers de balles de 480 livres, soit 218 kg. Source : USDA
(1) La loi encadre strictement la combinaison d’une assurance chiffre d’affaires classique et du STAX. Ces deux dispositifs ne peuvent pas se chevaucher. Ainsi, si un producteur de coton souscrit une assurance chiffre d’affaires classique avec une garantie de 70 % (taux choisi par la majorité des producteurs), les indemnités éventuelles au titre de STAX seront plafonnées à 20 % du chiffre d’affaires garanti au niveau du comté, tel que projeté au moment des semis. Si le producteur achète une assurance chiffre d’affaires avec une garantie de 80 %, STAX indemnisera 10 % du chiffre d’affaires garanti au niveau du comté. Dans tous les cas, le producteur de coton qui souscrit au STAX conservera une franchise égale à 10 % du chiffre d’affaires garanti au niveau du comté.
(2) Le taux de subvention de l’assurance chiffre d’affaires des grandes cultures varie selon le taux de franchise. Il est de 67 % pour une franchise de 50 % et de 38 % pour une franchise de 15 % (dans les deux cas, pour une indemnisation à 100 % du prix projeté sur le marché à terme).