Baisse des prix mondiaux des céréales, meilleure sécurité alimentaire au Sahel ?

7 novembre 2013
Céline Sicard, analyste de marchés, Union InVivo
Pierre Girard, chef de projet Systèmes de production durables et appui-conseil, FARM


(Cet article a été publié dans une version plus courte dans le numéro Afrique Agriculture 397 de novembre/décembre 2013.)

Contrairement à l’an dernier, les principaux pays producteurs de céréales de l’hémisphère nord auront été épargnés par la météorologie en 2013. Ainsi, selon le Conseil international des céréales, le monde devrait connaître un bond de la production de céréales de plus de 10 % par rapport à 2012.

Cependant, la reconstitution des stocks s’annonce modeste (particulièrement en blé), et si, au cours des derniers mois, les prix ont suivi une tendance baissière, ils demeurent nettement plus élevés qu’au début des années 2000. Dans ce contexte mondial apaisé sur le marché des céréales, quelles sont les perspectives alimentaires dans l’une des régions où cette préoccupation est la plus forte, l’Afrique sahélienne(1)  ?

La situation y apparaît encore incertaine. Alors que la FAO a récemment alerté(2) sur une période de soudure inter-campagne très délicate, les perspectives quant aux prochaines récoltes céréalières demeurent favorables… mais dépendent fortement des évolutions de la météorologie jusqu’aux récoltes, qui se dérouleront en novembre. Dans un rapport publié conjointement en octobre(3) la FAO et le PAM (Programme alimentaire mondial) tablent sur des récoltes moyennes. En cause, le retard et le déficit de pluie du début de saison, et la poursuite tardive de celles-ci en octobre. En effet, des excès d’eau pourraient provoquer des pertes de récolte (pourriture et germination des grains).

En outre, il faut intégrer le fait que la capillarité entre les marchés mondiaux et ceux de la région sahélienne est toute relative. En effet, alors que dans la majorité des pays importateurs, un défaut de production est compensé par un volume d’importation accru, en Afrique sahélienne c’est la consommation qui constitue la principale variable d’ajustement. Lorsqu’on observe les bilans offre-demande de céréales et de tubercules dans cette région du monde(4), il est étonnant de constater que la consommation intérieure est très étroitement liée à la production. Les importations – presque uniquement du riz et du blé – n’absorbent pas la différence entre production et demande : alors que les variations des productions atteignent jusqu’à 26 % d’une année sur l’autre, les importations ne viennent compenser ces variations qu’à hauteur de 4 % au maximum. Au Sahel, les infrastructures de stockage, hormis celles des ports d’importation, sont nettement insuffisantes pour pouvoir permettre de reporter un éventuel surplus d’une campagne sur la suivante. Sur le terrain, on observe que le cheptel animal absorbe seulement en partie les variations de production, par une augmentation ou une diminution de sa taille en fonction des surplus ou déficits. C’est donc finalement la consommation humaine qui doit s’adapter. Ce constat se vérifie tout particulièrement pour les pays les plus enclavés ; ceux qui disposent d’une façade maritime, comme le Sénégal, peuvent plus facilement recourir aux marchés internationaux en cas d’insuffisance de leur production domestique.

La transmission des prix internationaux aux prix intérieurs est plus ou moins prononcée, en fonction du produit concerné et de la distance aux zones d’importation. La problématique logistique est majeure et l’on observe que les mécanismes « classiques » de marché ne permettent pas de répartir les produits des zones où il y en a trop, vers celles où il n’y en a pas assez, des endroits où les prix sont les plus bas vers ceux où ils sont plus élevés.

Aujourd’hui, un marché mondial des céréales apaisé ne présage que marginalement du niveau de sécurité alimentaire que l’on aura dans les prochains mois en Afrique sahélienne. Celle-ci restera dictée essentiellement par le niveau des productions locales et l’alimentation humaine demeurera la principale variable d’ajustement.

(1) Par Afrique sahélienne on entend les pays suivants : Burkina Faso, Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad.
(2) http://www.fao.org/news/story/fr/item/195932/icode/
(3) FAO PAM Note conjointe Sécurité Alimentaire n°50 
(4) D’après les chiffres établis par le département américain de l’Agriculture pour les céréales (blé, maïs, sorgho, mil et riz) et par la FAO pour les tubercules (igname, manioc).

 


3 commentaire(s)
michel.jacquot2@gmail.com Votre article, au demeurant fort intéressant et surtout utile pour se forger une opinion sur la "sécurité alimentaire" ne serait-ce pas manière de dire que peu importe que les prix mondiaux soient élevés ou non, ce sont les niveaux de la production locale et de la consommation intérieure qui sont ici déterminants? Michel Jacquot
Ecrit le 7 novembre 2013 par : Michel Jacquot (Avocat) 2856

Merci aux auteurs de cet article. Toutes les forces (paysannes, techniques, technologiques, scientifiques, financières, etc.) sont plus que jamais appelées se conjuguer pour trouver des solutions durables à cette partie du globe. Les réflexions doivent être orientées prioritairement vers l’amélioration de la production plutôt que vers les équipements de stockage qui rendront les populations encre plus dépendantes du marché mondial. Enfin, je rends un grand hommage au comportement alimentaire de ces braves peuples qui savent se contenter de la faim. Cela mérite respect et considération. Les nord-américains devraient aller à l’école de ces populations pour ne plus mourir du surpoids lié à l’alimentation.
Ecrit le 7 novembre 2013 par : Yacoubou Issaka issaka.yacoubou@gmail.com 2869

@ Michel Jacquot. Il est vrai que le niveau de production nationale demeure déterminant, et plus les localités sont éloignées des ports d’importations, plus l’accès aux produits alimentaires est lié aux niveaux de productions locales et moins aux prix internationaux. Inversement, dans les pays côtiers, le prix du riz importé est souvent plus bas que le riz produit localement ce qui n’incite pas les agriculteurs africains à produire pour leur marché. @ Yacoubou Issaka. L’évolution des régimes alimentaires est effectivement une question de santé importante. Mais ce n’est pas seulement un problème de pays à revenu élevé. Selon l’OMS (1), « plus de 30 millions d’enfants présentant un surpoids habitent dans des pays en développement et 10 millions dans des pays développés ». Dans les pays développés, le surpoids et l’obésité touchent essentiellement les classes sociales les plus démunies qui ont accès à une quantité suffisante de nourriture mais de faible qualité nutritionnelle. Dans les pays en développement, ce sont plutôt les classes sociales les plus aisées qui sont touchées ce qui s’explique notamment par le passage d’une alimentation à base de végétaux peu riche en énergie, à une alimentation beaucoup plus riche en calorie (huiles, sucre). Au final, que ce soit dans les pays en voie de développement ou les pays développés, est-ce que ce ne sont pas toujours les populations les plus pauvres qui font face à la même problématique : l’accès à des produits alimentaires de base (dans les pays en développement) ou à des produits ayant un minimum de qualité nutritionnelle (dans les pays développés) ?
Ecrit le 20 novembre 2013 par : Pierre Girard et Céline Sicard pierre.girard@fondation-farm.org 2870

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