L'offre de conseil agricole en Afrique : les défis de la pluralité

30 juillet 2013
Patrice Djamen. agronome, coordonnateur d’African Conservation Tillage Network (ACT) pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, membre du comité de pilotage du Forum mondial pour le conseil rural (GFRAS).


Les services de conseil rural (SCR) jouent un rôle capital et pourtant largement sous-estimé. Ils contribuent à informer les acteurs ruraux, à renforcer leurs capacités, à les accompagner dans le développement et l’adoption des ajustements nécessaires pour réaliser leurs projets, améliorer la durabilité de leurs activités et répondre aux transformations du monde et de la société. En Afrique de l’Ouest et du Centre (AOC), la performance et l’accessibilité aux SCR constituent des facteurs déterminants pour permettre de relever les défis alimentaires, économiques et environnementaux et saisir les opportunités qui s’ouvrent au monde rural.

Une plus grande diversité d’acteurs
Les SCR, qui pendant longtemps étaient majoritairement publics, ont beaucoup souffert de la crise économique des décennies 1980 et 1990 et des plans d’ajustements structurels qui ont été imposés par les bailleurs de fonds. Malgré des résultats probants obtenus par le passé, les SCR publics se heurtent aujourd’hui à l’insuffisance de leurs ressources humaines, logistiques et financières au regard de l’ampleur de leurs mandats. A partir des années 2000, plusieurs pays d’AOC ont engagé des réformes tant au niveau des dispositifs et des approches que des outils de conseil pour redynamiser les SCR publics. Les résultats de ces réformes sont encore attendus et il apparaît de plus en plus que la couverture des besoins des acteurs en SCR ne peut pas se faire uniquement à partir des structures publiques. Cette évolution est d’autant plus nette que le recentrage du rôle de l’Etat et les difficultés des services publics à offrir des SCR ont coïncidé avec l’émergence de nouveaux fournisseurs, dont les activités prennent du volume au fil des ans. Parmi ces nouveaux acteurs, on peut citer notamment : le secteur privé (distributeurs d’intrants, agro-industries, bureaux d’études), les organisations non-gouvernementales (ONG), les paysans formateurs et les organisations de producteurs (OP).
Le secteur privé, à travers notamment les fournisseurs d’intrants et d’équipements agricoles, joue un rôle important dans le processus d’intensification des systèmes de production et l’émergence de l’entrepreneuriat agricole. Leur offre de conseil porte principalement sur l’utilisation des produits ou des équipements qu’ils commercialisent, sans toujours aider les producteurs à élargir leur gamme de choix et encore moins à raisonner leurs décisions de façon systémique. Les services proposés par les vendeurs d’intrants ne sont en général disponibles que dans des zones à fort potentiel où des chaînes de valeur de produits marchands sont déjà plus ou moins installées. Les petites exploitations agricoles familiales luttant pour la subsistance y ont difficilement accès. Dans le secteur agro-industriel, le secteur privé intervient surtout dans des chaînes de valeur plus ou moins spécifiques (exemple du coton avec les sociétés cotonnières), avec une approche généralement normative et un intérêt souvent minime pour les autres productions de l’exploitant. Par ailleurs, il convient de noter la présence des bureaux d’études qui interviennent généralement plus au niveau de la formation des conseillers que des interactions avec les producteurs. Ils jouent souvent un rôle important dans les opérations de changement d’échelle et de transformation des dispositifs existants.
Les organisations non gouvernementales foisonnent en AOC depuis les épisodes de famines des décennies précédentes et la crise économique qui a fragilisé nombre d’Etats de cette sous-région. Dans le secteur agricole, les ONG sont souvent porteuses de projets dont la mise en œuvre conduit à l’installation d’un dispositif et la fourniture de conseil aux producteurs. Les techniques diffusées, les approches et les outils mobilisés sont plus ou moins innovants. Les interventions des ONG permettent de toucher les petits producteurs souvent oubliés car travaillant dans des zones reculées ou des chaînes de valeur peu marchandes. Quelquefois, on note un décalage entre les besoins réels des producteurs et les SCR qui leur sont proposés par les ONG.
Le schéma, souvent caricaturé, dans lequel le vulgarisateur est considéré comme détenteur du savoir qu’il cherche à transmettre aux producteurs, généralement illettrés et perçus comme de simples exécutants des consignes reçues reste plus ou moins vivace selon les contrées. Néanmoins, on note une implication accrue des producteurs dans l'offre de conseil et plus généralement la diffusion de nouvelles techniques de production. Ces paysans formateurs (PF) sont perçus comme un moyen pour suppléer le déficit des agents publics. La formation de paysan à paysan (FPP) se révèle même compétitive comparée aux approches de diffusion en vigueur, principalement pour des aspects techniques comme la régénération naturelle assistée (RNA) des ligneux qui ne nécessitent pas un bagage intellectuel élevé. Dans certains pays comme le Burkina Faso et le Niger, on rencontre des paysans formateurs qui se sont organisés en groupements de prestations de services et participent à la mise en œuvre des projets portés par les ONG ou les gouvernements. Toutefois, l’approche FPP souffre d’un problème de durabilité notamment sur le plan financier et du renouvellement de l’offre de service. Par ailleurs, l’insuffisance des moyens logistiques réduit la zone d’intervention des PF.
La majorité des organisations de producteurs en AOC sont traditionnellement plutôt des clients du conseil agricole, mais leur participation dans la fourniture des SCR, notamment au bénéfice de leurs membres, va croissant au fil des ans. Cette dynamique s’observe surtout au niveau des OP faîtières comme les unions et les fédérations où on rencontre de plus en plus souvent un département chargé de l’encadrement que les OP essaient de financer à travers les cotisations des membres, mais aussi des contributions de leurs partenaires. L’implication des OP dans les SCR est d’autant plus forte qu’elles sont mieux reconnues et associées à la mise en œuvre des projets et autres innovations touchant aux chaînes de valeurs où s’inscrivent leurs activités. Toutefois, les OP doivent souvent faire face au défi du renouvellement de leur offre de conseil et au dispositif nécessaire pour la conduite des activités de conseil.

De nouvelles problématiques
La pluralité actuelle des fournisseurs des SCR en Afrique de l'Ouest et du Centre démontre que l’arrêt des vastes programmes publics, dont notamment le programme de promotion de l’approche « Training & Visit » (Formation & Visite) financé de façon conséquente par la Banque mondiale, n’a pas plongé les SCR dans un marasme. Bien au contraire, on observe plutôt un certain dynamisme, marqué par la diversité des acteurs, comme indiqué dans les lignes précédentes. Toutefois, la multiplicité des SCR doit relever des défis importants :
  • la problématique des profils et des compétences appropriés pour les conseillers. Pour des types d’activité souvent similaires, les différents fournisseurs de SCR mobilisent des conseillers aux profils très variables. Il se pose la question de la qualité du conseil développé et plus globalement de l’aptitude du conseiller à répondre aux attentes des producteurs. Le Forum mondial pour le conseil rural (GFRAS) a dressé récemment le portrait du nouveau conseiller agricole (the New Extensionist (1) ), qui pourra être adapté au contexte de l’AOC ;
  • la coordination et la complémentarité des différentes interventions. A priori la diversité et la pluralité des fournisseurs de SCR devraient contribuer à assurer une meilleure couverture des demandes des producteurs, très variables en fonction de leur situation. Par ailleurs, au gré des objectifs des fournisseurs des SCR, l’offre peut être surabondante et même redondante dans certaines zones tandis qu’elle est faible voire inexistante dans d’autres. Un mécanisme partagé et efficace de coordination des interventions est nécessaire pour assurer une meilleure couverture de la demande non seulement sur le plan géographique mais aussi sur celui des thématiques. Un tel mécanisme devrait mettre l’accent sur les principes de subsidiarité dans les interventions, de cofinancement et de synergie déclinée sous forme de programme multi-acteurs avec des rôles spécifiques et complémentaires. Cela faciliterait en outre la tâche aux bailleurs de fonds qui appuient souvent des dispositifs plus ou moins spécifiques et certains types de fournisseurs de SCR ;
  • l’efficacité et le suivi-évaluation des effets et impacts. Le constat actuellement assez partagé de la nécessité de plus d’investissements dans les SCR ne peut donner lieu à une réaction positive des décideurs que si des arguments fiables sur le rôle des SCR sont développés et valorisés ;
  • la pérennité de nouveaux dispositifs : les nouveaux acteurs mettent en place des systèmes innovants, leurs interventions sont généralement ponctuelles avec une couverture géographique faible. Peu de connaissances existent sur les conditions de pérennité et de replicabilité de ces dispositifs, si tant est que la tendance vers le pluralisme soit irréversible.
Les OP, qui sont en même temps clients et fournisseurs des SCR, semblent présenter le plus grand potentiel en termes de durabilité de ces services.

Un besoin d’échanges et de concertation
Les échanges, la capitalisation et la valorisation des expériences (effets, échecs, impacts et bonnes pratiques) des différents fournisseurs des SCR sont nécessaires pour apporter les ajustements appropriés. Ceci exige que les acteurs des SCR se concertent plus souvent, échangent sur leurs approches, leurs outils ainsi que sur les demandes et offres de conseil rural. Des dynamiques organisationnelles et de synergies autrefois très localisées, comme le Réseau gestion(2) au Burkina Faso, émergent de plus en plus, confortées par des mouvements similaires et plus structurés au niveau continental et mondial. On peut évoquer notamment le Forum mondial pour le service de conseil rural qui est fonctionnel depuis janvier 2010 et le Forum africain des services de conseil agricole (AFAAS). Au niveau de la sous-région AOC, le Réseau des services de conseil agricole et rural des pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre (RESCAR-AOC) se met en place avec pour mission d’«offrir un espace d’échanges, de concertation, de renforcement de la sensibilisation, de renforcement de compétences, d’acteur majeur de gestion du savoir, de mobilisation populaire et du plaidoyer à ses membres et de forger des partenariats entre acteurs».

Au-delà de leurs fonctions de cadre d’échange, les différents fora, à leur échelle spécifique d’intervention, sont appelés à contribuer à la coordination et la valorisation de la pluralité actuelle des fournisseurs des SCR. Dans cette optique, il est important que ces fora soient appropriés par tous les acteurs, parviennent à se doter d’une autorité et à se positionner en interface et force de proposition dans le cadre de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques agricoles nationales, bi et multilatérales.

(1) http://www.g-fras.org/fr/activites/the-new-extensionist
(2) Le Réseau gestion, soutenu par Agriculteurs français et développement international (AFDI) depuis 2002, est un regroupement de sept organisations paysannes (OP) burkinabè, provinciales et nationales, impliquées dans des actions de conseil à l’exploitation familiale (CEF). Son objectif global est de développer la gestion des exploitations familiales au Burkina Faso.

 


4 commentaire(s)
Bonjour, Si vous souhaitez faire un résumé de cette chronique dans le magazine Afrique Agriculture, vous pouvez me contacter à l'adresse ci-dessus. Cordialement, AH
Ecrit le 31 juillet 2013 par : Antoine Hervé a.herve@groupe-atc.com 2845

Merci pour cet article qui met de façon suffisamment détaillée la question abordée. Je voudrais ajouter une problématique. Il s’agit, comme l’a bien souligné l’auteur, de la difficulté des Etats d’AOC à offrir les services publics, surtout non marchands. Selon moi, le fait que le SCR soit marchand ou rendu marchand est le nœud du problème. Généralement les exploitants familiaux sont non-solvables dans leur majorité et l’accès au SCR devient une difficulté supplémentaire pour eux. C’est pourquoi les filières d’exportation (coton, cacao, etc.) souvent bien structurées et les agriculteurs parfaitement intégrés dans les chaînes de valeur marchandes accèdent facilement au SCR. Il en est de même des appuis salutaires de certaines ONG (le plus souvent gratuits pour les bénéficiaires) sur ce chantier déserté par les pouvoirs publics. Mais les ONG, du Nord comme du Sud, sont limitées dans l’espace par les microinterventions et sont par ailleurs dépendantes des opportunités de financements, ce qui limite leur capacité d’initiatives. Il est donc important de repenser le mécanisme de financement des SCR pour qu’ils ne soient pas qu’accessibles à une catégorie d’agriculteurs et sur des zones géographiques limitées. Cela risque d’amplifier l’insécurité alimentaire et les phénomènes d’accaparement des terres qui font déjà polémiques sur le continent.
Ecrit le 7 août 2013 par : Yacoubou Issaka issaka.yacoubou@gmail.com 2846

Bonjour, je découvre ce métier de conseiller agricole et commence à percevoir son importance surtout pour l'agriculture de seconde génération dont on en parle tellement au Cameroun depuis quelque temps, mais je me pose la question de savoir si avec une si faible offre de service de conseil agricole ici chez nous, ceux qui investirons dans le secteur agricole(de plus en plus nombreux aujourd'hui) ne risquent pas d'être déçus par les résultat ,faute de conseil. je pense que l'agriculture est un business qui doit être pratiqué par des professionnels - entrepreneurs agricoles qui aurons la capacité de payer les services de conseil agricole auprès des cabinets de conseil spécialisés. nos organisations paysannes ici ont du mal à fonctionner et ne sont pas durables si pas d'argent des bailleurs de fonds.elles ne sont pas une solution durable aux SCR professionnalisons nos agriculteurs qu'ils se muent en véritables entrepreneurs agricoles et que nos États créent les conditions globales favorables à cette nouvelle donne et les bureaux d'étude vont être solliciter obligatoirement et ce sera durable. les ONG vont continuer de s'occuper des petits producteur appuyées par les programmes et les États comme cela se fait aujourd'hui.
Ecrit le 3 septembre 2013 par : KENFACK MBOKEM kenfack_mbokemr@yahoo.fr 2851

Les 2 commentaires ci-dessus correspondent aux questions que nous nous sommes posées au débute du développement de "la gestion" en France. 1er : Le souhait du développement du financement par les services publics (directement ou comme en France par une taxe) est logique car c'est une aide aux petits paysans qui n'ont pas eu accès à des formations. Mais les besoins sont immenses, et il faut être conscient que le coût des services CEF tels que ceux mis en place actuellement ne pourront jamais être financés, et qu'il faut donc leur proposer une autre alternative possible . 2ème : Les entrepreneurs agricoles ont besoin de services et ont les moyens de les financer ... s'ils répondent bien à leurs besoins et s'ils leur apportent des avantages supérieurs à leurs coûts. La mise en place de tels services avec des conseillers expérimentés et efficaces, demande des investissements en ressources humaines (formation, méthodes, réseau d'expériences ..) qu'il faut mobiliser ! Une OP qui le fera doit penser que cela prendra plusieurs années et que l'autofinancement ne pourra se faire à 100% qu'après que le service ait fait ses preuves : il faut sans doute tabler plutôt sur 50% la 1ère année car les conseillers prendront plus de temps pour l'analyse et la recherche de solutions, et avec peu d'expérience, leurs appuis resteront encore un peu théoriques. Cela a été l'expérience que j'ai vécu dans le centre de gestion où j'ai exercé mon métier qui a beaucoup évoluer et que je voulai partager
Ecrit le 6 septembre 2013 par : Bernard Péneau groupe CEF de l'AFDI bpeneau@orange.fr 2847

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