Les défis de la relève agricole au Burkina Faso

28 juin 2013
François Traoré, agriculteur burkinabé


En 2010, un certain nombre de jeunes m’ont approché en me disant qu’ils avaient besoin de mon expérience acquise dans le métier agricole. Pour eux, il n’était pas normal que je conserve cette expérience après avoir dirigé des organisations agricoles de la base (exploitation familiale) jusqu’au sommet. J’ai répondu à ces jeunes que ce n’est pas parce que je ne voulais pas partager mon expérience que je ne suis pas allé vers eux, mais je pensais que des formations existaient partout dans le pays (Burkina Faso) et qu’elles pouvaient satisfaire leurs besoins. Ils ont voulu que je cherche une instance à travers laquelle discuter de mon expérience. Je me suis rendu compte que cela pourrait les aider et je me suis engagé.

C’est ainsi que j’ai commencé à en parler à mes partenaires pour qu’ils m’accompagnent dans cette initiative en faveur des jeunes. Une première formation s’est tenue à Dédougou, en 2010, avec vingt jeunes issus de localités et de structures paysannes différentes, avec l’appui de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). Cette formation était animée par moi-même, avec l’appui de deux techniciens burkinabés. Nous avons discuté du leadership des jeunes, des problèmes environnementaux et du foncier. Après cette première expérience concluante, les jeunes ont souhaité que je poursuive cette initiative et que je partage avec eux ma vision du développement de l’agriculture. J’ai donc créée un blog sur lequel je donne mon avis sur différents sujets liés de l’agriculture, chose qui, selon moi, peut aider les décideurs agricoles et les jeunes.

La deuxième étape, qui a duré toute l’année 2012, a consisté en des sorties dans dix-huit localités où vivent ces jeunes. Il s’agissait de tenir des débats ouverts, à travers lesquels j’écoutais les préoccupations des représentants des milieux agricoles, et de discuter de l’avenir de l’agriculture. Cet avenir doit prendre en compte les jeunes, ainsi que l’environnement naturel, économique et social. A la fin de chacune de ces rencontres qui regroupaient les représentants des structures présentes et tout autre personne, quel que soit son âge, qui désirait y assister, la liberté était donnée à l’assistance de choisir cinq jeunes pour participer à une formation sur le leadership. Les représentants locaux devaient sélectionner ces jeunes en pensant à l’impact qu’ils auraient, à leur retour, s’ils recevaient des formations adaptées. Ils ont également tenu compte de la capacité des jeunes à respecter leurs engagements et de leur rigueur au travail.
La troisième étape a été la formation des quarante-sept jeunes sélectionnés, à Moundasso, du 2 au 5 avril 2013, sur le thème « Leadership pour une action paysanne démocratique » (Le savoir des gens de la terre, LSGT), programme mis au point par l’Union des producteurs agricoles du Québec, développement international (UPA DI). Cette formation avait comme animateur Fabrice Larue, de FARM, et comme intervenants Marilyn Côté, productrice de lait et membre de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), et moi-même. Elle a permis aux jeunes non seulement de mieux cerner les concepts et le rôle du leadership dans le monde agricole, mais aussi de prendre conscience qu’une bonne relève dans les exploitations familiales et les organisations paysannes est nécessaire pour assurer leur pérennité. C’est pourquoi ils se sont engagés à relever les défis auxquels font face leurs exploitations et leurs organisations, tout en espérant avoir le soutien des vétérans du secteur agricole. Suite à cette formation, les jeunes ont souhaité que je continue à les accompagner.

Au Burkina Faso, l’agriculture est familiale. Depuis son jeune âge, l’enfant va avec son papa au champ. C’est ainsi qu’il est initié au métier agricole. Dans la tradition, la première étape était l’initiation, qui englobait la formation physique et morale des enfants. Ces initiations ont laissé la place à l’école française, à l’école coranique et à l’alphabétisation. Plusieurs facteurs influencent les jeunes pour qu’ils prennent la relève de l’exploitation agricole : l’éducation, l’environnement social, leur itinéraire personnel et leurs capacités physiques. Le jeune doit comprendre que c’est par son ardeur au travail et pas uniquement par sa capacité à convaincre par la parole, qu’il obtiendra la confiance des vieux. Il peut cependant avoir des difficultés parce qu’il ne se fait pas bien comprendre ou parce que lui-même n’est pas déterminé à se dédier aux activités agricoles pour sa famille. Il n’est pas toujours conscient de l’importance de faire preuve d’exemplarité pour impulser un changement dans sa famille et l’engager vers le développement. C’est ce qui conduit parfois à l’exode rural. De nos jours, en ayant en vue l’enjeu de la modernisation de l’agriculture, les jeunes sont les plus aptes à développer les innovations technologiques. Mais cela nécessite la formation et la conscientisation de la société pour la prise en compte des jeunes. Je pense que cette implication des jeunes dans la vulgarisation des innovations technologiques est un passage sine qua non pour le développement agricole.

Lors de la dernière formation de Moundasso, nous avons senti la prise de conscience des jeunes face aux opportunités qu‘offre l’agriculture. Mais nous avons également perçu que ces opportunités pouvaient être ébranlées si le jeune n’est pas conscient qu’il doit résister à beaucoup de tentations. Par exemple, un jeune qui obtient un million de francs CFA après la récolte du coton n’a pas nécessairement la maturité pour réinvestir et moderniser son exploitation agricole. Les jeunes devraient être accompagnés pour réfléchir aux différentes stratégies qui s’offrent à eux et ne pas dilapider les fruits de leur travail.

La consommation d’alcool peut également conduire à une mauvaise gestion financière et à une mauvaise gestion du temps. Cela est valable pour les jeunes qui ont eu un bon héritage comme ceux qui n’en ont pas eu. Souvent, les jeunes qui ont fait le choix de s’investir pleinement dans l’agriculture sont isolés parce qu’ils sont minoritaires. Ils sont tout le temps au travail et les autres jeunes pensent qu’ils se font exploiter.

Dans une des localités visitées, qui est une zone de grande production agricole, les personnes âgées ont l’impression que la jeune génération n’a pas pris conscience de la place que leur localité occupe sur le plan socio-économique. Dans le passé, cette région était citée comme un exemple de familles soudées où les jeunes étaient à l’écoute des personnes âgées, qui elles-mêmes travaillaient à économiser pour l’avenir des jeunes. Aujourd’hui, les aînés voient que certains jeunes ne sont plus attachés à leur famille ; ils ont gaspillé les économies réalisées et la localité a perdu sa dignité. Une bonne partie des jeunes sont devenus individualistes. Cet individualisme les désoriente, les pousse à ne pas faire d’efforts et les conduit à l’exode rural et à l’alcoolisme. Dans cette localité, les personnes âgées ont bien accueilli l’idée d’accompagner des jeunes par des formations et demandent que celles-ci se perpétuent.
A la suite de la rencontre d’avril 2013, le groupe des quarante-sept a décidé de s’engager réellement dans la voie du développement de leurs exploitations et de leurs organisations, en prenant leurs responsabilités en tant que jeunes. C’est pour cela qu’ils se sont engagés à rester soudés, à continuer à partager leurs expériences pour avoir une influence positive vis-à-vis des autres jeunes qui n’ont pas participé à cette formation. Selon eux, un jeune doit être endurant et visionnaire pour influencer la gestion de l’exploitation. Il doit s’imposer par de bonnes actions. C’est de cette manière qu’il se fera comprendre par ses aînés.

Quand un jeune arrive à s’imposer dans sa famille par sa vision et sa détermination, cela se répercute dans la productivité et dans les revenus de l’exploitation. Un jeune qui arrive à changer positivement les revenus de sa famille peut influencer la vie de son organisation professionnelle car il a comme référence le changement qu’il a provoqué dans sa famille. Dans la même logique, son engagement au sein de son organisation visera à défendre les intérêts des autres familles regroupées dans cette organisation paysanne (OP). Les structures paysannes doivent prendre cela en compte et choisir des représentants déjà exemplaires au sein de leurs familles. Un bon dirigeant d’une structure professionnelle est celui qui sait que ses intérêts sont liés aux intérêts des autres. Les partenaires techniques et financiers devraient également prendre en compte cette notion d’exemplarité lorsqu’ils accompagnent des OP et accordent leur confiance à certains responsables.

Dans toutes les localités où je me suis rendu et lors de la formation des quarante-sept jeunes, les débats ont fait ressortir l’importance de l’accompagnement des jeunes par des personnes plus âgées. Certains ont cité des exemples de difficultés qu’ils ont eues, pendant qu’ils étaient jeunes, pour se faire comprendre dans leur famille ou dans leur organisation. Ils vivent aujourd’hui les conséquences du fait qu’ils n’ont pas été compris lorsqu’ils étaient jeunes. Il a été également mentionné qu’un jeune peut être plein d’énergie, plein de volonté mais que le manque d’expérience peut le faire tomber dans beaucoup de pièges. C’est pour cela que, dans toutes les localités, les jeunes ont choisi de se faire accompagner par les plus âgés et par des personnes d’expérience.

En conclusion, si je me rappelle de tout ce qui a été dit dans les localités où je suis intervenu, et en écoutant les jeunes, cette formule participative avec quelqu’un qui a de l’expérience constitue une sorte d’innovation. Tous les participants ont souhaité la pérennité de cette formation et même sa formalisation.

François Traoré a été nommé ambassadeur des Nations unies pour l’année internationale des coopératives, en 2012. Il est président d’honneur de l’Association des producteurs de coton africains (AProCA) et a obtenu un doctorat honoris causa de la Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux, en Belgique, en 2006.

Blog de François Traoré


 


2 commentaire(s)
Bonjour Cet article m'a semblé trés interessant. Pour moi , ce n'est pas la formation au sens strict qui compte , mais plutot un accompagnement , ou un partenariat. Le groupe Initiatives , que je préside ( voir notre site) mêne une reflexion sur le travial en partenariat. Nous avons fait trois rencontres à Saint Louis , Bamako et Lomé, pour parlé du partenariat entre ONG du Nord , et partenaires de l'Afrique de L'ouest. Nous publierons lors d'une rencontre sans doute en octobre à Ouagadougou , les thémes qui ressortent de ces reflexions. Pour en revenir à la petite agriculture familliale du Burkina , j'ai constaté , que cela ne marchait que si il y avait de l'eau. Les cultures traditionnellles , tel que le Mile sont suet aux aleas climatiques, mais les cultures maraichaires peuvent être irrigué. Des efforts de technologie devrait pouvoir améliorer les choses. Hydrauique sans frontiéres , dont je suis administrateur travial sur le théme de l'efficacité de l'eau au Burkina , et cela semble donner des resultats prometteurs. Qu'en pensez vous ? christian Lespinats
Ecrit le 1 juillet 2013 par : Christian Lespinats clespinats@noos.fr 2839

L'article de François Traoré est saisissant de vérité et son transfert d'expérience est réellement une chance pour les jeunes producteurs burkinabé . Lors de mon mandat de Président Directeur Général de Dagris, qui opérait auprès des sociétés cotonnières burkinabé, j'ai eu la chance de côtoyer François pendant cinq ans . En tant que Président de l'APROCA, il fut l'un des premiers acteurs pour consolider et moderniser les filières cotonnières sub-sahariennes et défendre les intérêts des cotonculteurs lors des négociations du cycle de Doha . En particulier, comme il l'exprime dans son article, il sut promouvoir auprès des producteurs, l'approche des choix culturaux en mettant en avant l'impact sur leurs comptes de résultat et en appréhendant l'atténuation des risques par la diversification des cultures ( l'introduction du tournesol par exemple) et le choix de la qualité ( en soutenant la promotion de marques de qualité pour les fibres burkinabé ) . Décidément , par cette approche de transmission générationnelle , les jeunes exploitants agricoles burkinabé et au delà, ont bien de la chance ... Merci François .
Ecrit le 11 juillet 2013 par : Gilles Peltier gpeltier@hotmail.com 2842

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