Changement de musique au Cotton Club

27 mai 2013
Jean-Christophe Debar, directeur de FARM


STAX. Pour les fans de soul music, ce nom évoque le label mythique de Memphis, Tennessee, sous lequel enregistrèrent, dans les années 1960, des chanteurs comme Otis Redding et Isaac Hayes. Pour ceux qui suivent le débat sur le farm bill américain, c’est l’acronyme d’un nouveau programme de soutien aux producteurs de coton grâce auquel les Etats-Unis, premiers exportateurs mondiaux, espèrent mettre un terme au différend qui les oppose au Brésil depuis plus de dix ans.

En 2004, puis en 2008, l’OMC, saisie par le Brésil, a établi que certaines aides versées aux producteurs de coton américains faussaient les échanges et violaient les règles commerciales internationales. Les Brésiliens ont accepté d’être compensés partiellement pour les préjudices subis, moyennant l’engagement des Américains à réformer leur système d’aide au coton dans la nouvelle loi-cadre agricole, actuellement discutée au Congrès.

Il est vrai que les producteurs de coton, outre-Atlantique, sont protégés des aléas du marché par toute une panoplie de soutiens qui les incitent à accroître leur production, au détriment de leurs concurrents brésiliens, indiens, africains ou autres. Ils perçoivent un prix minimum et des aides directes dont certaines, dites « paiements anticycliques », augmentent lorsque les cours du coton diminuent. Ils peuvent en outre souscrire une assurance recette, fortement subventionnée, qui leur verse des indemnités lorsque le rendement baisse ou quand le prix du coton, à la récolte, est inférieur à celui prévu au moment des semis. Le montant total de ces soutiens est énorme : sur la dernière décennie, il équivaut à 45 % de la valeur de la production de coton, ce qui en fait la culture la plus subventionnée aux Etats-Unis.

Le prix minimum et les paiements anticycliques – mais pas l’assurance - ont été condamnés par le panel brésilien à l’OMC. Les producteurs de coton américains ont donc imaginé un nouveau dispositif de soutien, en deux volets. D’une part, le prix minimum du coton deviendrait flexible : il serait fixé sur la base de la moyenne des cours mondiaux observés durant les deux années précédentes. Ce prix serait plafonné à son niveau actuel et pourrait diminuer de 10 %, au maximum, par rapport à ce niveau. D’autre part, les producteurs de coton auraient accès à une assurance recette complémentaire. Ainsi, un producteur pourrait acheter une police d’assurance classique, couvrant les pertes de recette supérieures à 30 % et subventionnée à 80 %. Il souscrirait ensuite, s’il le souhaite, une police d’assurance au titre du Stacked Income Protection Plan (STAX), indemnisant les pertes de recette comprises entre 10 % et 30 %, et également subventionnée à 80 %. Contrairement aux polices d’assurance classiques, basées sur le rendement de l’exploitation, les contrats d’assurance STAX seraient indexés sur le rendement moyen du comté, c’est-à-dire de la région administrative où serait située l’exploitation.

Le nouveau dispositif de soutien a été adopté, à la mi-mai, par les commissions agricoles de la Chambre des représentants et du Sénat. Il figurera vraisemblablement dans la version finale du farm bill, qui devrait être votée cet été. Donnera-t-il satisfaction aux Brésiliens ? Ou ceux-ci jugeront-ils que les soutiens octroyés aux producteurs de coton américains faussent encore trop la concurrence et justifient d’appliquer l’ensemble des mesures de rétorsion autorisées par l’OMC ? En tout état de cause, l’évaluation économique de la réforme du prix minimum du coton et de la création du STAX ne devrait pas se fonder uniquement sur le montant et l’impact du soutien, mais prendre également en compte le fait que dans le prochain farm bill, le coton sera sans doute moins subventionné que les autres cultures, ce qui pourrait favoriser un recul de ses emblavements.

Les producteurs de coton ouest-africains, qui dénoncent depuis des années les aides accordées à leurs homologues étasuniens, auraient tort de se réjouir trop vite. Même si ces aides diminuent, elles devraient rester très substantielles à court terme. En outre, le Brésil a augmenté son soutien à l’agriculture ces dernières années ; il développe une assurance récolte et expérimente une assurance recette inspirée de celle en vigueur aux Etats-Unis. Il ne faut pas se tromper de partition : la dénonciation des aides déloyales existant dans les autres pays est nécessaire ; le plaidoyer pour la mise en place d’une solide politique agricole est plus important encore.

 


4 commentaire(s)
Merci pour cet article très instructif. Bonne suite à FARM.
Ecrit le 28 mai 2013 par : Rose SOMDA roseziem@yahoo.fr 2831

En dépit de ce succès remarqué du Brésil à la suite de procédures juridiques engagées dès 2004, mais aussi de la déclaration de l'OMC à Hong Kong en décembre 2005 stipulant pour au plus tard 2013 (!) la fin des subventions à l'exportation, la suppression des droits de douane et des quotas des pays les moins avancés et l'élimination des subventions internes à la production, les fondamentaux de l'échange inégal pour les producteurs africains n'ont guère évolué depuis Cancun . Et ces derniers n'ont effectivement pas à se réjouir de cette inclinaison tactique des Nord américains . Aujourd'hui, le cours élevé du coton ( 95 cts/lb) soit une fois et demi celui de mi-2009 (60 cts/lb) a certes régénéré momentanément les filières cotonnières africaines et permis de proposer à nouveau un prix d'achat aux cotonculteurs plus décent . Mais, ce contre cycle ne doit pas faire oublier la dureté de la crise précédente 2003-2008, où le cours oscillait autour de 55 cts/lb . Avec, en outre un euro fort, en 2005/2006, le revenu moyen à l'hectare du producteur de coton en Afrique de l'ouest et du centre avait chuté de plus d'un tiers en un an , et son revenu journalier n'a pas dépassé 1 € , brisant ainsi le cercle vertueux de l'accumulation de l'épargne autorisant la modernisation des exploitations . Au cours de cette période, la plupart des gouvernements africains avaient su convaincre leurs producteurs villageois de la nécessité de baisser fortement - en moyenne de 20% - le prix d'achat du coton graine , tout en leur laissant supporter les hausses concomitantes des hydrocarbures, des engrais et des produits phytosanitaires . Je laisse le lecteur , partisan " d'une solide politique agricole pour l'Afrique " , imaginer l'impact politique et social d'une telle décision aux Etats-Unis et en Europe ! Les restrictions conséquentes sur les productions adjointes au coton (comme le mais et les vivriers ) participèrent certainement des prémisses de la crise alimentaire, comme j'avais pu alors le constater dans l'est du Burkina Faso et au Mali . Au cœur même de cette crise, la seule réponse des bailleurs de fonds , et au premier rang la Banque Mondiale, fut l'accélération brutale - sans contrôle et sans support financier - des privatisations des filières cotonnières ( seul le Sénégal sut y résister en maintenant son mécanisme de régulation des prix au producteurs ) ... ce qui contribua à les affaiblir et les désorganiser encore plus (comme au Bénin). Les réflexions, notamment à l'initiative de l'Agence Française de Développement et de FARM , sur la mise en œuvre d'instruments financiers et d'assurances permettant d'atténuer ces chocs externes , ont certes voulu apporter une réponse consistante pour atténuer les effets de cycle ; mais cette approche , à nouveau reprise dans les conclusions du G 20 agricole , se heurte à la double difficulté de la structuration d'organes indépendants et à la levée de masses financières suffisantes pour soutenir durablement ces mécanismes . Le cours élevé constaté aujourd'hui - comme les pics en 1980 et en 1986 - est l'expression d'une demande soutenue et du déficit de la production mondiale lié à de nombreux aléas échappant aux producteurs africains qui en restent les bénéficiaires passifs, puisque les autres acteurs ( USA, Chine ) contrôlent le marché (comme l'a si bien raconté Erik Orsenna) . Fasse alors que cette parenthèse soit l'occasion de renforcer effectivement les politiques des économies cotonnières, mais aussi une opportunité de réanimer la solidarité des organisations professionnelles et ainsi les conduire à redéfinir une plateforme commune de négociations visant à instaurer des règles plus justes ( comme si au football, on laissait jouer une équipe avec les pieds et l'autre avec les pieds ... et les mains ) .
Ecrit le 29 mai 2013 par : Gilles PELTIER gpeltier@hotmail.com 2832

Réponse à G. Peltier : Merci pour cette perspective historique. Il me semble que dans la hiérarchie des préoccupations de politique agricole, on surestime les enjeux de la réduction des aides au coton américain et on sous-estime ceux liés à l'augmentation de la compétitivité intrinsèque du coton africain : hausse des rendements, amélioration de la qualité, etc. Ce sont pourtant ces facteurs qui, dans le temps, feront la différence. Le fonds de lissage des prix du coton, mis en place avec le soutien de l'AFD au Burkina Faso, est un outil très intéressant, qu'il faudrait pouvoir étendre à d'autres pays - et d'autres cultures.
Ecrit le 30 mai 2013 par : Jean-Christophe Debar 2833

Oui, cher JC D. Et le film de Coppola en 84 !
Ecrit le 9 juin 2018 par : j-m bouquery bouquery@noos.fr 3574

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