Par le trou de serrure de l’OHADA

22 avril 2013
André D. Beaudoin, secrétaire général d’UPA Développement international (UPA DI, corporation sans but lucratif fondée par l’Union des producteurs agricoles du Québec)


L’étude de l’état des lieux des organisations paysannes du Burkina Faso, du Ghana et du Cameroun réalisée par FARM (« La dynamique des organisations de producteurs en Afrique de l’Ouest et du Centre : attentes fortes, dures réalités », publiée en février 2013) est certainement un geste important, un geste à saluer. D’autant plus que peu d’intervenants de la coopération ont pris le temps de faire pareil travail, en dehors peut-être de certaines études commandées par des agences de développement.

Le fruit de cet exercice révèle tellement d’influences, tellement d’interférences dans l’édification des organisations agricoles.

Il y a d’abord celle de la colonisation. On ne peut pas faire abstraction de cet état de fait. Non pas pour excuser ou pour nuancer, mais simplement pour expliquer. Autrement comment expliquer le fait que les filières coton, cacao et café notamment soient mieux organisées. Comment comprendre que la commercialisation de leurs produits soit plus structurée, que les organisations de producteurs soient plus efficientes, sinon par le fait qu’elles ont fait l’objet d’une attention particulière, par intérêt des mères patries ? Ajoutons aussi que de ce fait, elles ont une plus longue ligne de vie que les autres.

Les autres justement, les filières vivrières. Elles n’ont pas eu droit aux mêmes égards. Elles ont même été boudées depuis tellement longtemps par les pouvoirs publics. Il est tout de même intéressant de relever qu’à la base, il s’agit des mêmes paysans évoluant dans un même milieu. Dans un cas, ils ont su s’organiser et dans l’autre, ils en auraient été incapables jusqu’à ce jour ?

C’est qu’une autre influence est venue interférer. L’influence de tant de coopérations. Chacune avec ses objectifs et sa manière d’intervenir, avec des aides plus ou moins liées. Comment s’en sortir lorsque, en l’espace de vingt-cinq ans, on passe d’une dynamique basée sur les groupements villageois pour évoluer tour à tour vers les pré-coopératives, les coopératives, à travers la redynamisation des chambres d’agriculture et l’approche filière s’appuyant sur l’interprofession ?

Pour une paysanne, un paysan, admettons qu’il y a de quoi vouloir rester dans son champ. Toutes ces influences ont pu cohabiter pendant le dernier quart de siècle grâce à la complicité d’une autre influence, celle de la mondialisation et avec elle, la montée du néolibéralisme.

Si les filières d’exportation ont continué d’attirer l’attention, c’est en bonne partie parce qu’elles favorisaient l’essor de la mondialisation. Si les filières vivrières ont été ignorées, c’est surtout parce qu’elles étaient vues comme une entrave au néolibéralisme. Avant la crise alimentaire de 2008, rappelons-nous que ce n’était pas très à la mode de vouloir structurer le marché local. La mondialisation était là pour répondre au marché et les petits paysans, apparemment, n’avaient pas la capacité de participer à ce grand projet. Avec les résultats que l’on connaît.

La lecture du rapport nous rappelle aussi l’importance d’une autre réalité, celle de la gouvernance.

Il ne faudrait pas oublier que les gouvernements de ces États composent encore avec une population agricole avoisinant 50 % du nombre total de citoyens. Ils ne voient pas nécessairement d’un bon œil le fait que le monde paysan s’organise. Quel chef d’État veut jongler avec un État dans l’État ?

Finalement, les gouvernements s’arrangent assez bien avec l’ambiguïté générée par autant d’influences. À ce chapitre, ils n’ont pas eu besoin de diviser pour régner. D’autres l’ont fait si bien à leur place. Pendant que le marché gouverne l’économie agricole, les gouvernements n’ont pas à gérer le risque d’une organisation trop forte du monde agricole.

Mais justement, à la lumière de la crise de 2008, une lumière suffisamment forte pour que plus de monde voie le risque énorme que nous courons, la population mondiale a besoin d’une agriculture présente partout sur la planète. Elle doit pouvoir compter sur une plus grande biodiversité agricole pour réduire les risques d’une catastrophe alimentaire.

Cela nous ramène à l’essence de l’étude réalisée pour le compte de FARM. Il y a un travail incommensurable à poursuivre sur la structuration du monde agricole. Pour faire ce travail, il ne suffit pas de regarder par le trou de serrure de l’OHADA, l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, dont les pays membres ont adopté un « Acte unique » visant à renforcer le statut des coopératives. Il est évident qu’un bon nombre d’organisations sont restées de l’autre côté du portail.

Il faut comprendre le contexte, s’appuyer sur les acquis et déboulonner un à un les boulons de la serrure qui empêchent l’accès à la cour des grands.

 


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