Afrique de l'Ouest : transformer notre production agricole pour consommer local

9 avril 2013
Marie-Andrée Tall, présidente de l’association Afrique AgroEXport (AAFEX), directrice de Fruitales (Sénégal), membre du Conseil scientifique de FARM


Nous sommes tous d’accord sur un point : la transformation des produits agroalimentaires est incontournable si nous voulons maîtriser la sécurité alimentaire dans notre pays. Si nous ne faisons rien pour transformer à grande échelle nos produits locaux, nous mangerons peut-être, probablement chinois, mais ce n’est pas ce que nous voulons.
Ce que nous voulons, c’est être sûr de manger et surtout manger ce que nous produisons et transformons. Ce n’est pas un acte gratuit. C’est un acte militant, c’est un choix de développement pour nos pays. C’est le choix de développer les productions agricoles locales et de les valoriser en les transformant. C’est le choix de créer des emplois car nous le savons bien : en Afrique de l’Ouest, c’est dans l’agriculture et la transformation agroalimentaire que nous pouvons créer des emplois en grand nombre. C’est le choix d’innover en mettant sur le marché des produits accessibles au plus grand nombre et adaptés aux nouvelles habitudes de consommation.
J’aimerais tout d’abord préciser de quelles entreprises de transformation il est question ici. Le champ de l’agroalimentaire est vaste et diversifié. Il y a différentes filières investies par des entreprises industrielles, semi-industrielles et artisanales. En tant que présidente de l’association Afrique AgroEXport (AAFEX), je m’exprime au nom des entreprises semi-industrielles et artisanales formelles, qui sont des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) et qui constituent la majorité des membres de l’AAFEX. Les entreprises de l’AAFEX ne sont pas dans leur grande majorité des agro-industries, car ce terme recouvre plutôt les grandes firmes et principalement celles qui sont dans l’arachide, le sucre, le riz, la tomate industrielle et le coton. Nos membres sont surtout dans la transformation de céréales et de fruits et légumes.
Pour les entreprises, le premier enjeu est celui de l’approvisionnement en matières premières en quantité, en qualité et à un prix abordable. Elles s’approvisionnent principalement sur les marchés ruraux (les loumas), les marchés de regroupement (Thiaroye et Pikine, situés en périphérie de Dakar), les marchés urbains de consommation et auprès d’intermédiaires. Toutes ces transactions sont informelles, se font au coup par coup et à des prix qui fluctuent de jour en jour.
Il faut que l’on se penche sur le fonctionnement et sur la modernisation de ces marchés, qui sont généralement dépourvus de structures de stockage et de conditionnement adaptés. Dans un premier temps, la mise en place d’un système d’informations sur les quantités disponibles et les prix pourrait améliorer les choix des opérateurs pour effectuer des transactions. Enfin, il est nécessaire de régler très rapidement le problème de l’insalubrité des produits proposés sur ces marchés car il s’agit de produits alimentaires et donc de la sécurité sanitaire des aliments que nous consommons.
Mais la solution durable se trouve dans la contractualisation avec les producteurs à travers une approche « chaînes de valeur » où chacun trouve son intérêt. Nous devons nous inspirer des contractualisations réussies, comme pour la Société de conserves alimentaires du Sénégal (SOCAS)* ou La Laiterie du Berger**.
Par ailleurs, les entreprises ont intérêt à se regrouper en coopératives, ou en consortium, pour leur approvisionnement en matières premières, en emballages et pour la commercialisation de leurs produits. Les initiatives comme celles de la Centrale d’achats Andandoo*** doivent être multipliées.
Mais pour que cela marche, il faudrait que ces structures soit bien organisées et aient accès au crédit bancaire. Il faudrait que les banques s’impliquent dans le processus comme elles le font pour les entreprises de grande envergure citées ci-dessus.
Les banques et les institutions de financement devraient avoir des produits mieux adaptés aux entreprises agroalimentaires et surtout aux TPE et PME qui ont fait leurs preuves avec leurs propres moyens et qui recherchent des financements pour leur croissance.
Les banques accompagnent volontiers les entreprises sur le court terme mais lorsqu’il s’agit de prêts plus consistants, à moyen et long terme, destinés à financer l’acquisition d’un terrain, de bâtiments et d’équipements, les exigences sont pratiquement les mêmes que pour toutes les entreprises ; alors qu’à mon sens, lorsqu’il s’agit de secteurs prioritaires comme l’agriculture et l’agroalimentaire, les critères d’appréciation des dossiers de demande de financement devraient être différents.
Le crédit-bail**** est une solution qui n’est pas suffisamment connue et pratiquée par les entreprises. Il faudrait savoir pourquoi cela marche ailleurs et non ici, et voir comment l’adapter à notre contexte.
Concernant plus précisément la question des équipements, tant qu’on aura besoin d’aller en Europe, en Chine ou en Inde pour en trouver, nos entreprises ne dépasseront pas le stade semi-artisanal. Quand on a la chance d’acquérir un équipement à l’étranger, on a un peu de mal à le faire fonctionner ou à assurer sa maintenance, car nous n’avons pas les bons techniciens sur place. Il y a là un véritable créneau pour la production locale d’équipements modernes et pour la formation d’ingénieurs et de techniciens compétents.
Puisqu’on est bien conscient qu’il faut miser sur ce secteur qui offre beaucoup d’opportunités, il faut maintenant passer de la parole aux actes et créer les conditions pour que les entreprises agroalimentaires puissent se développer. Il est temps de libérer toutes les potentialités qu’offre ce secteur.
Les membres de l'AAFEX qui ont créé leur entreprise de transformation des céréales veulent mettre à la disposition des ménages des produits de qualité, bien conditionnés et prêts à consommer. Aujourd’hui, pour rentabiliser leurs activités, ces entreprises vendent 50 % de leur production à l’export parce que leurs produits sont chers et ne sont pas accessibles au plus grand nombre. Il faut donc également ouvrir la réflexion sur les coûts de production, sur la mise en place d’une fiscalité adaptée aux TPE et PME agroalimentaires et sur les campagnes de promotion en faveur du « consommer local ».
Enfin, j’aimerais insister sur le fait que le développement de l’agriculture et de la transformation agroalimentaire sont des enjeux de taille, incontournables, qui doivent ouvrir des perspectives pour les jeunes. Nous avons un boulevard devant nous et ce créneau est le plus porteur qui soit car il y a encore beaucoup à faire.
Le marché pour les produits agroalimentaires est local, sous-régional, africain et à l’export. Nous consommons volontiers des produits importés. Apprenons à consommer local mais transformons également nos produits pour qu’ils soient attractifs pour les autres consommateurs d’Afrique et du monde.

*La SOCAS, installée au Sénégal est « le premier producteur industriel de concentré d'Afrique du Centre et de l'Ouest, à partir de tomates fraîches récoltées dans la région de Saint-Louis. La SOCAS achète la totalité de ses besoins en tomates à des paysans ou groupements indépendants qu'elle a initiés à cette production et avec lesquels elle passe des contrats fermes d'achats ».
** La Laiterie du Berger, installée à Richard-Toll depuis 2006, collecte du lait auprès d’éleveurs traditionnels peulhs organisés au sein d’une coopérative, pour en faire des yaourts et divers produits laitiers.
*** La Centrale d’achats Andandoo a été créée par des opérateurs de l’agroalimentaire du Sénégal afin de faciliter leur accès à un emballage de qualité, qui respecte l’environnement, à un prix accessible.
**** Le crédit bail permet à une PME de faire porter la totalité du financement de son matériel de production ou un bien immobilier professionnel par un spécialiste du leasing et d’acquitter ainsi des loyers déductibles qui peuvent être passés en charges courantes.

 


6 commentaire(s)
c'est l'agriculture qui nourrit nos familles et porte nos économies en développement. l'option chaîne de valeur est l'une des voies susceptible de transformer le secteur agricole. l'absence de la transformation, même semi-industrielle de nos produits milite en faveur de la consommation des produits importés et à la démotivation des producteurs qui vendent, faute de marché organisé, leur production à vil prix, si celle-ci n'a pas avariée avant de trouver de preneur. merci pour le clin d'oeil et le partage de l'expérience du Sénégal
Ecrit le 10 avril 2013 par : MJ ndikumanamj@yahoo.com 2820

Je vous remercie pour la bonne idée de consommer nos produits locaux. Je souhaite intégrer votre équipe pour consolider cette démarche dans nos pays africains. J'ajouterai mon commentaire dans les prochains jours.
Ecrit le 10 avril 2013 par : SAIDOU Clement saidouclement@yahoo.fr 2821

Tout est dit, et bien dit, dans cet article de Mme Tall. La situation décrite, avec les exemples du Sénégal, se retrouve dans nombre de pays d'Afrique, avec les mêmes besoins, des perspectives similaires, et des problèmes identiques. Il y a tout de même des inégalités, d'un pays à l'autre, au niveau de la production agricole et agroalimentaire : il semble que les pays riches en matières premières (pétrole, mines) sont encore plus dépendants des importations hors continent de produits alimentaires. Le partage des expériences et des données de marché, et le développement des échanges agroalimentaires intra régionaux est un chantier qui mériterait d'être travaillé.
Ecrit le 10 avril 2013 par : CT caroline.thulliez@free.fr 2822

Cet article interpelle l'attention de nous tous qui nous échinons pour l'impulsion du développement de nos pays respectif. Mme Tall a pointé du doigt le maillon qui viendrait compléter tous les efforts d'investissement qui jusque là se focalisent sur le maillon production. Nous pensons qu'il est grand temps que les attentions soient tournées vers ce secteur de la transformation. Il y a un fait qui marque tout le monde mais qui jusque là n'a pas trouvé de véritable solution. "Durant l'année, des périodes arrivent et il y abondance des fruits (comme les agrumes), la tomate, etc. Ce qui amènes les producteurs et productrices à brader leur produit de récolte. quelques mois plus tard le même volume de produit se fait rare sur le marché si bien qu'il se vend à près de dix fois". En s'inscrivant dans la logique de Mme Tall, on pourrait inciter les acteurs à tisser des liens contractuels et donc sécuriser le producteur à produire en tout temps de l'année et à pouvoir vendre ses produits sans souci à des transformateurs qui les valoriseront au mieux. Cette initiative existe au Bénin sur le riz avec les ESOP où les producteurs prennent des part d'action dans le dispositif des rizeries, obtiennent des semences certifiées , sont suivi au cours de la production et vendent à ces rizeries. Comme l'a dit Mme Tall, il faudra comme préalable que nos États créent les conditions favorables à l'accès aux crédits adaptés à ces activité; Un autre facteur qui pénaliserait une initiative d'investissement dans des unités agro alimentaire serait la non régularité de l'offre des matière première . Pour l'éviter , il serait bien qu'il y ait une régionalisation sur les spéculations. Ce qui rendrait plus efficace et plus efficient les efforts de ns producteurs. Mais .... cette régionalisation (fonction des condition agro climatiques ) ne doit pas être en opposition avec les options des producteurs africains "agriculture familiale sous-tendue par la polyculture pour la subsistance". C'est dire qu'il y aura des cultures principales de rente et des culture pour nourrir les familles. Pour finir nous confirmons que le tandem agriculteurs -transformateurs dans une logique de contractualisation constitue une bonne porte de sortie des la paupérisation. Les avantages sont multiples: sécurisation des producteurs et des transformateurs, il y aura optimisation des unités de transformation et donc des condition favorable pour rembourser les crédits; sécurisation des consommateurs, création de l'emploi et donc désengorgement des villes avec tout ses corolaires. .......
Ecrit le 11 avril 2013 par : cyrille SOTONDJI cyrille.sotondji@gmail.com 2824

Oui à cette agroalimentarisation technique des esprits encore trop lente entre idéologie agroéconomistique généreuse et catastrophisme consumeriste décadent ! C'est sur le terrain au coeur des chaînes d'appro et de valeur que cristallisent les régulations durables. Qui peut enfanter ? Entre la justice et ma mère je choisis ma mère disait Camus...
Ecrit le 18 avril 2013 par : jm bouquery bouquery@noos.fr 2823

5 ans plus tard, sur tous les champs de l'alimagraire je choisis mes entreprises. Populations et milieux, Sciences et techniques, Géopolitique et numérique, Local et global, tout a tellement changé.....
Ecrit le 7 octobre 2018 par : j-m bouquery 3649

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