Si loin de Malabo

23 mars 2020

Abdoul Fattath Tapsoba, Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde



Les résultats du second rapport (2019) d’examen biennal de la commission de l’Union africaine sur la mise en œuvre de la Déclaration de Malabo[1] ont été présentés en février dernier à Addis-Abeba. Ils jettent un nouvel éclairage sur les progrès accomplis par les Etats africains, depuis le premier rapport de 2017, dans la réalisation des sept engagements fixés par la Déclaration à l’horizon 2025[2].

Dans l’ensemble, il apparaît que le continent n’est pas « en bonne voie »[3] de tenir ces engagements. En effet, sur les quarante-neuf pays ayant fourni des données, seuls le Ghana, le Mali, le Maroc et le Rwanda ont atteint la note globale requise pour être considérés comme capables d’atteindre les objectifs (tableau). Une performance bien en deçà de celle de 2017, où vingt pays y étaient parvenus. Tout comme en 2017, le Rwanda obtient le meilleur score. Soulignons également l'évolution remarquable du Ghana. Il est en effet le seul pays qui n'était pas jugé capable d'atteindre les objectifs en 2017 mais se retrouve sur une trajectoire de succès en 2019.

 

Tableau. Vue d’ensemble des performances accomplies par les pays africains dans la mise en œuvre de la Déclaration de Malabo

Source : Biennial report to the AU Assembly on implementing the June 2014 Malabo Declaration, The 2nd Report to the February 2020 Assembly.

 

L’Afrique de l’Ouest est la seule sous-région du continent susceptible d'atteindre le cinquième engagement de la Déclaration, qui est de "stimuler le commerce intra-africain des produits de base et des services agricoles". Cela est dû notamment à la libéralisation des échanges de biens et services au sein de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Aucune autre sous-région du continent n’est en voie de réaliser aucun des sept objectifs de la Déclaration de Malabo.

De même, aucun des quarante-neuf pays analysés par le rapport n’est en mesure de tenir le deuxième engagement, qui cible un « renforcement du financement des investissements dans l’agriculture ». Seuls quatre Etats - le Burkina Faso, le Burundi, le Mali et le Rwanda - consacrent au moins 10 % de leurs dépenses publiques annuelles au secteur agricole. En 2017, dix pays y étaient parvenus. En ce qui concerne l’amélioration de l’accès et de l’utilisation des services financiers par les petits exploitants agricoles et les ménages ruraux, seuls deux pays, Maurice et les Seychelles, réalisent des performances satisfaisantes. Ce constat est d'autant plus préoccupant qu'un financement adéquat constitue un pilier incontournable pour la transformation et la modernisation de l’agriculture. Il est un levier crucial pour augmenter la productivité agricole et, par voie de conséquence, accroître les revenus agricoles et réduire la pauvreté en milieu rural.

Le rapport 2019 se conclut en examinant l'appui à la résilience des moyens de subsistance et des systèmes de production au changement climatique. Là encore, aucune des cinq régions du continent n’est en bonne voie sur cet engagement, même si l’Afrique de l’Est enregistre des progrès importants sur la période considérée. Ainsi, tous les gouvernements ont manqué à leurs promesses en ce qui concerne la hausse des budgets relatifs aux initiatives de renforcement de l'agriculture au changement climatique.

En définitive, si le rapport pointe certaines améliorations par rapport à 2017, celles-ci demeurent très insuffisantes au regard de l’urgence des enjeux reconnue à Malabo en 2014. Au vu des résultats, il incombe aux chefs d’Etat et de gouvernement africains d’intensifier les investissements publics et privés en faveur de l’agriculture et d’accélérer les progrès vers un renforcement de la résilience des petits exploitants agricoles, qui contribuent majoritairement à la production alimentaire du continent mais sont les plus vulnérables face au dérèglement du climat. La longue marche vers le respect de la Déclaration de Malabo a besoin d’un nouvel élan.


 

[1] La Déclaration de Malabo sur « l’accélération de la croissance et la transformation de l’agriculture en Afrique pour une prospérité partagée et de meilleures conditions de vie » a été adoptée par la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine en juin 2014, en Guinée équatoriale.

[2] Les sept engagements de la Déclaration de Malabo sont : (i) le réengagement en faveur des principes et des valeurs du processus du PDDAA (Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine) ; (ii) le renforcement du financement des investissements dans l’agriculture ; (iii) l’éradication de la faim en Afrique d’ici 2025 ; (iv) la réduction de moitié de la pauvreté d’ici 2025, grâce à la croissance et à la transformation agricoles inclusives ; (v) la stimulation du commerce intra-africain des produits de base agricoles et des services connexes ; (vi) le renforcement de la résilience des moyens de subsistance et des systèmes de production au changement climatique et aux autres risques connexes ; et (vii) le renforcement de la responsabilité mutuelle sur les actions et les résultats. Source : Biennial report to the AU Assembly on implementing the June 2014 Malabo Declaration, The 2nd Report to the February 2020 Assembly.

[3] Selon la commission de l’Union africaine sur la mise en œuvre de la Déclaration de Malabo, « être en bonne voie » d’atteindre un objectif visé en 2025 indique qu’un pays obtient une note supérieure ou égale à celle d’un indice de référence. Chaque pays est affecté d’une note globale, égale à la somme des notes par objectif.


3 commentaire(s)
"Il incombe aux Chefs....".
On cherche couvre-chefs. Notre oeil sera sur l'incombe.
Ecrit le 23 mars 2020 par : jm bouquery 3843

L'expérience vient de confirmer encore que les pays africains ne sont pas souvent bien organisés pour mettre en oeuvre des décisions continentales et internationales. C'est en réalité une question de conviction et d'organisation opérationnelle. C'est cette qualité qui amène certains pays à se distinguer. C'est le cas du Ghana, du Mali, du Maroc , du Burundi, du Burkina Faso et du Rwanda. Je crois qu'il faut désormais entrevoir d'accompagner les pays africains pour une bonne participation lors de ces prises de décision (déclarations), puis à la mise en place d'un mécanisme de bon suivi de la mise en oeuvre des décisions. Car, le plus souvent, ce n'est pas le boycott de ces déclarations. Ces mesures d'accompagnement peuvent faire l'objet de planification en appui à chaque déclaration.
Ecrit le 23 mars 2020 par : Dr Emile N. Houngbo 3844

1 mois déjà et un nouveau dérèglement.
Ecrit le 23 avril 2020 par : jm bouquery bouquery@noos.fr 3852

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