L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) vient de publier une étude, réalisée à la demande de l’association Pluriagri, qui offre un panorama de différents futurs possibles pour les agricultures du monde à l’horizon 2050. Les projections intègrent, de manière détaillée, l’impact prévisible du changement climatique sur la productivité agricole[1].
L’étude explore plusieurs scénarios, fondés sur deux jeux de simulations, relatifs respectivement aux rendements des cultures et aux régimes alimentaires des populations. Les rendements « hauts » sont permis par un rythme soutenu des évolutions techniques et la pleine valorisation de l’effet fertilisant du CO2 par les plantes. Les rendements « bas » résultent d’évolutions techniques plus modérées et d’une absence de valorisation de l’effet CO2 par les plantes. Les régimes dits « tendanciels » correspondent au prolongement des tendances régionales passées ; ils se traduisent par la stabilisation des apports caloriques individuels dans les pays développés et leur augmentation dans les régions émergentes et en développement. Enfin, les régimes « sains » illustrent une transition radicale et généralisée de la diète alimentaire, suivant les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : la consommation de produits animaux diminuerait en Europe et dans les autres régions développées, tandis qu’elle progresserait en Afrique et en Asie.
Compte tenu de l’expansion de la population, l’étude projette, entre « 2010 » (moyenne ses années 2009 à 2011) et 2050, une hausse de la consommation alimentaire mondiale, exprimée en calories, de 47 % sous l’hypothèse de régimes tendanciels. Cet accroissement serait ramené à 38 % en cas de rupture vers des régimes sains.
Le cas de l’Afrique subsaharienne est particulièrement édifiant[2]. L’augmentation de la consommation dans la sous-région représenterait près de 30 % de la hausse de la demande mondiale sous régimes tendanciels et jusqu’à 50 % sous régimes sains. Quel que soit le type de régime, en effet, l’explosion démographique induirait un quasi triplement de la consommation alimentaire dans les pays au sud du Sahara[3].
Les importations nettes (importations moins exportations) seraient multipliées par 3,5 à 3,7, selon les scénarios[4]. En 2050, elles fourniraient environ 17 % des calories consommées dans la sous-région.
La production agricole en Afrique subsaharienne croîtrait un peu moins vite, d’un facteur 2,6 à 2,9. La question est de savoir quelle combinaison de surfaces cultivées et de rendements permettrait d’atteindre cette augmentation de la production.
Si les rendements progressaient faiblement - soit en moyenne, d’après nos estimations, de 30 à 40 %, en calories par hectare, comparés à 2010 -, il faudrait cultiver dans la sous-région 196 à 264 millions d’hectares supplémentaires, selon les régimes alimentaires[5]. Si la croissance des rendements était plus marquée - soit + 90 à + 100 % d’ici à 2050 -, les besoins en superficies additionnelles seraient moins élevés, entre 75 et 122 millions d’hectares, mais exigeraient néanmoins une extension substantielle, du tiers à la moitié, des surfaces cultivées en 2010 (tableau).
Selon l’INRAe, cette forte hausse de la sole cultivée pourrait s’opérer « au détriments de milieux naturels et/ou de surfaces actuellement boisées » et « induire un accroissement des émissions de gaz à effet de serre et/ou porter atteinte à la biodiversité ». De fait, dans un dossier récemment publié par WillAgri, Pierre Jacquemot estime à environ à environ 100 millions d’hectares les superficies encore inexploitées en Afrique subsaharienne, théoriquement disponibles pour l’agriculture, après déduction des forêts et des aires protégées[6]. Compte tenu de la dégradation des sols, causée notamment par des pratiques agricoles inadéquates, « les disponibilités réelles encore inexploitées, et susceptibles de l’être dans des conditions soutenables pour l’environnement (…) et avec des rendements supérieurs à un minimum acceptable, (…) seraient approximativement de l’ordre de 50 millions d’hectares ». Ce chiffre pourrait être encore surestimé, car « les données précédentes intègrent pêle-mêle des terres en jachères, (…) mais aussi des terres qui sont utilisées par les populations pour leur survie (cueillette, récolte du bois de chauffe, chasse), des forêts communautaires ou encore des zones réservées à des rites aux ancêtres qui doivent à l’évidence être exclues sous peine de mettre en situation critique l’écosystème général des territoires concernés ».
L’étude prospective de l’Inrae met ainsi en évidence l’ampleur du défi posé aux gouvernements africains : créer les conditions propices à un accroissement considérable de la productivité agricole, de manière écologiquement et socialement acceptable pour les populations.
[1] INRAe, « Place des agricultures européennes dans le monde à l’horizon 2050. Entre enjeux climatiques et défis de la sécurité alimentaire mondiale », février 2019. Documents disponibles sur https://www.inrae.fr/actualites/agricultures-europeennes-horizon-2050#anchor1_4
[2] L’étude distingue l’Afrique de l’Ouest, d’une part, et l’Afrique de l’Est, centrale et du Sud, d’autre part. Nous présentons ici les résultats pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, calculés par FARM d’après les données publiées par l’INRAe.
[3] On notera que l’adoption, en Afrique subsaharienne, des régimes préconisés par l’OMS entraînerait en 2050 une hausse de la demande de 8 % par rapport aux régimes tendanciels, à cause de plus grands besoins en produits animaux.
[4] Le modèle GlobAgri-AE2050, utilisé par l’INRAe pour les simulations, repose sur l’hypothèse que pour chaque production agricole, dans chaque pays, la part de la consommation qui est importée et la part de la production dans les exportations mondiales resteraient constantes entre 2010 et 2050. Ces parts sont ajustées par le modèle si l’accroissement anticipé de la production agricole, dans une région donnée, se heurte à un manque de terres cultivables.
[5] Les pourcentages d’augmentation des rendements présentés ici n’ont qu’une valeur indicative. Ils correspondent à la hausse de la production agricole totale, exprimée en calories, divisée par la surface cultivée, compte tenu de l’intensité culturale, c’est-à-dire du nombre de récoltes réalisé chaque année sur les mêmes parcelles. Les hypothèses de croissance des rendements des cultures envisagées dans l’étude varient sensiblement par culture et par pays.
[6] Pierre Jacquemot, « Des terres agricoles disponibles en Afrique subsaharienne ? », WillAgri, 3 janvier 2020. Dossier disponible sur https://www.willagri.com/wp-content/uploads/2020/01/Dossier-Willagri-01-20-FR.pdf