Le « double fardeau » nutritionnel, une analyse par les prix

16 septembre 2019

Jean-Christophe Debar, directeur de FARM



Terrible tableau : d’un côté, 2 milliards de personnes qui souffrent d’une insécurité alimentaire « modérée ou grave », selon la terminologie de la FAO ; de l’autre, 2 milliards d’adultes obèses ou en surpoids[1]. Les enfants paient un lourd tribut au désordre alimentaire mondial, directement ou par l’intermédiaire de leurs parents. Mais ce n’est pas tout. Le coût humain dramatique du « double fardeau » de la sous-nutrition et de la surnutrition est amplifié par l’augmentation des risques de maladies. Un décès sur cinq est dû à une alimentation inadéquate. Dans les pays à faible revenu, il s’agit surtout d’un manque de calories, responsable de la faim, ou d’une déficience en certains nutriments essentiels (protéines, vitamines, fer, etc.) liée à une insuffisance de fruits et légumes et de produits animaux. Dans les pays émergents ou à haut revenu, l’excès de sucre, de matières grasses et de viande rouge est à l’origine d’un accroissement notable des troubles cardiovasculaires, de diabète et de cancer.


Les causes de cette situation sont d’abord économiques. On pense bien sûr à la pauvreté, qui empêche de manger correctement, en quantité et en qualité. Mais les prix alimentaires sont aussi en cause, soit par leur cherté, qui limite les quantités achetées, soit par la hiérarchie des prix entre denrées, qui pénalise des aliments relativement coûteux mais indispensables à une nutrition de qualité. Le premier point est bien documenté : l’OCDE a montré que les prix des aliments, en Afrique subsaharienne, sont 30 à 40 % supérieurs aux prix en vigueur dans le reste du monde, à niveau comparable de PIB (produit intérieur brut) par tête[2]. Une nouvelle étude, réalisée par des chercheurs de l’IFPRI (International Food Policy Research Institute), vient éclairer le second point[3].

A partir des données de prix collectées dans les enquêtes réalisées dans 176 pays sous l’égide de l’Organisation des Nations unies et de la structure de la consommation alimentaire dans chacun de ces pays, les chercheurs ont établi la valeur moyenne d’un panier de 1 000 calories provenant de 9 féculents de base (céréales, tubercules et racines), riches en calories. Ils ont ensuite calculé un indice des prix relatifs des calories (relative caloric prices, RCP) en comparant à la valeur de ce panier le coût des calories fournies par différents produits ou groupes de produits alimentaires. Si, par exemple, les œufs ont un RCP de 5, cela signifie que les consommateurs, dans le pays considéré, doivent payer en moyenne 5 fois plus pour une calorie d’œuf que pour une calorie de féculents.

L’étude montre que le prix relatif des aliments de qualité, riches en nutriments, diminue au fur et à mesure que les pays se développent. Ainsi, au Niger, une calorie d’œuf coûte 23,3 fois plus cher qu’une calorie de riz ou de maïs ; aux Etats-Unis, le rapport n’est que de 1,6. La situation est comparable, à des degrés divers, pour les protéines animales et les fruits et légumes. Or la demande des différents produits alimentaires varie généralement de manière inversement proportionnelle aux prix relatifs : plus le RCP d’une denrée croît, moins elle est consommée.

Sur la base de ce constat, les chercheurs ont mis en évidence des corrélations robustes entre les prix relatifs des calories et l’état de santé des populations. Un RCP élevé du lait est à lié à un retard de croissance des enfants, fléau majeur dans beaucoup de pays pauvres. De faibles RCP du sucre, des sodas, des matières grasses et des snacks salés sont associés, chez les adultes, à une prévalence significative de l’obésité, qui touche surtout les pays émergents ou à haut revenu. Ainsi, lorsque le revenu d’un pays augmente, ses habitants ont accès à des aliments plus sains, mais aussi à des denrées dont la surconsommation a des conséquences négatives.

Les auteurs de l’étude discutent brièvement les solutions envisageables. Dans les pays les moins avancés, la solution est d’améliorer la productivité agricole pour abaisser le prix des produits alimentaires denses en nutriments, ou bien d’accroître leur importation. Dans les pays plus riches, réduire la demande de matières grasses et de sucre, dont le prix est très bas (RCP inférieur à 1), passe plutôt par des actions de formation et d’information auprès des consommateurs (étiquetage, éducation à la nutrition…), ainsi que par des taxes sur certaines denrées. Rien de révolutionnaire donc, mais la tâche est immense car les habitudes alimentaires ont des racines culturelles, profondément ancrées. D’autant plus, ajouterons-nous, que pour une part mineure mais grandissante des ménages, manger est de plus en plus influencé par des facteurs éthiques et sociétaux – changement climatique, biodiversité, bien-être animal, proximité des producteurs… - dont l’impact sur les prix relatifs reste à évaluer.

 

[1] FAO, FIDA, OMS, PAM et UNICEF, 2019. L’Etat de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2019. Se prémunir contre les ralentissements et les fléchissements économiques, Rome, FAO.

[2] Les prix alimentaires doivent baisser en Afrique. Comment faire ?, Thomas Allen, Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, blog FARM, 5 février 2018.

[3] Derek D. Headey et Harold H. Alderman, 2019. The Relative Caloric Prices of Healthy and Unhealthy Foods Differ Systematically across Income Levels and Continents, The Journal of Nutrition, 23 juillet 2019.


4 commentaire(s)
Bonjour Mr nous somme une structure agricole et élevage en cote d'ivoire
je me nom GUEDE ZADI NORBERT PRÉSIDENT FONDATEUR Je voire que a partis de se rapport que je vint de lire je comptent l’importance de l'agriculture biologique en milieu rural ,seula va combattre la pauvreté et la famine , les domaine opter part notre structure est le vivrier ,le maraîchère ;et l’élevage bio. merci nous somme près a en compagne les association des femme et des jeunes ,et même le retraité
Ecrit le 16 septembre 2019 par : V.MAGRO infovmagro@gmail.com 3778

alimentation rationnelle et massification de l'élevage pour 2 milliards, rationnement alimentaire et individualisation de la conso pour les 2 autres.
Ecrit le 16 septembre 2019 par : jm bouquery bouquery@noos.fr 3779

Mais le fait que Thomas Allen de l'OCDE ait "montré que les prix des aliments, en Afrique subsaharienne, sont 30 à 40 % supérieurs aux prix en vigueur dans le reste du monde, à niveau comparable de PIB (produit intérieur brut) par tête", ajoutant que "Si les ménages ouest-africains achetaient leur nourriture aux prix indiens, ils économiseraient entre 19 et 33 % de leurs revenus selon les pays", est dû très largement aux facteurs suivants :
1) Les énormes frais de transport en ASS, très supérieurs à ceux des autres PED et notamment de l’Inde, dû aussi bien aux distances et à l'état souvent impraticable des routes, notamment en saison des pluies, qu'aux multiples ponctions illicites des diverses "forces de l'ordre". 2) La politique commerciale agricole de l'ASS, en particulier de l'AO mais pas seulement, aux droits de douane très bas à l'importation des produits transformés fortement subventionnés, venant notamment de l'UE et des Etats-Unis, a fortement réduit la compétitivité des producteurs locaux et leur capacité d'investir pour accroitre leur productivité des produits bruts et a fortiori d'investir pour transformer ces produits locaux. Ce qui a d'autant plus concouru à augmenter les prix des produits locaux. Si la production des céréales locales (mil, sorgho, maïs, paddy) de l'AO a augmenté de 83% de 1990-94 à 2013-17 (on compare sur plusieurs années pour lisser les aléas climatiques) la production par habitant a légèrement baissé. Le rendement du mil a même baissé de 669 à 656 kg/ha entre ces deux périodes. Et, bien que les importations par habitant de blé et de riz de l'AO aient plus que doublé de 1990-94 à 2013-16, la production totale des 4 céréales locales a été 3,8 fois supérieure de 1990 à 2016 aux importations de blé et de riz. Ajoutons que les APE et la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) ne vont pas améliorer les choses puisque les APE intérimaires (APEi) de Côte d'Ivoire et du Ghana vont abaisser à zéro les droits de douane sur les céréales et la poudre de lait venant de l'UE tandis que la clause NPF de la ZLECAf obligera ces deux pays à libéraliser leurs importations venant de l'UE du même pourcentage de 90% prévu dans les échanges intra-africains au lieu des 80% prévus dans leurs APEi. Il est clair que, contrairement aux préconisations des chercheurs cités par Jean-Christophe Debar, la solution n'est sûrement pas d'"abaisser le prix des produits alimentaires denses en nutriments, ou bien d’accroître leur importation". Compte tenu de l'explosion démographique attendue en ASS, notamment en AO, et de leur déficit alimentaire croissant hors exportations de cacao-café-thé-épices qui ne sont pas des produits alimentaires de base – déficits multipliés par 4,2 entre 2005 et 2016 en ASS, dont par 10,9 en AO –, il est indispensable que les agriculteurs disposent de prix stables et rémunérateurs pour autofinancer l'augmentation nécessaire de la production alimentaire. C'est la seule façon de créer des centaines de millions d'emplois dans l'agriculture d'ASS avec des perspectives de rentabilité en s'attaquant à la racine des causes des migrations que l'UE ne veut pas accueillir. Même si des fonds publics seront nécessaires pour financer des investissements en amont et en aval, notamment dans les infrastructures de transport, d'énergie et d'irrigation. Ces prix agricoles stables et rémunérateurs pour les agriculteurs résulteraient de prélèvements variables à l'importation, comme la PAC l'a fait très efficacement jusqu'en 1992 sur les céréales, le sucre, le lait en poudre, les viandes et œufs, des prélèvements qu'elle utilise encore sur certaines céréales et fruits et légumes frais, bien que l'OMC les ait interdits depuis 1995. D'autant que tous les pays utilisent encore des prélèvements variables réels cachés sous plusieurs masques, comme l'explique le livre "Réguler les prix agricoles" . Evidemment la hausse progressive de prix agricoles stables et rémunérateurs dans les Communautés économiques régionales (CER) d'ASS (dont la CEDEAO en AO) sur 5 à 10 ans impliquerait la hausse des prix alimentaires, ce qui provoquerait des émeutes massives si elle n'était accompagnée de vastes programmes d'aide alimentaire intérieure – basés sur la distribution de coupons d'achat de produits vivriers locaux dans des magasins agréés aux populations défavorisés, mais pas sur de gros stocks publics très difficiles à gérer comme on le voit en Inde –, et d'autres mesures comme celles des programmes brésiliens "Faim zéro". Comme l'ASS n'a pas les moyens de financer elle-même de tels programmes, le financement pourrait venir, outre de l'UE, d'un prêt à très long terme (30 à 40 ans) de la filiale AID (Agence du Développement International) de la Banque mondiale, au taux de 0,75% et avec un remboursement différé de 10 ans. Ce serait une composante d'un "Plan Marshall" pour la CEDEAO et d'autres CER d'ASS, à côté d'une composante "infrastructures" pour accroître les échanges régionaux, d'une composante "recherche et diffusion des technologies" sur la promotion d'une agriculture agro-écologique et sur la transformation des céréales et tubercules locaux en remplacement des importations de blé et partiellement de riz, et d'une composante "emplois non agricoles" pour augmenter le pouvoir d'achat des urbains, par une augmentation des droits de douane sur le secteur textile et habillement pour assurer la rentabilité du coton africain.
Ecrit le 16 septembre 2019 par : jacques.berthelot4@wanadoo.fr 3780

Très intéressant ; me parait cohérent ; fait drôlement réfléchir sur l'interaction marché/comportement/revenus
Ecrit le 16 septembre 2019 par : H. Le Stum 3781

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