Au fait, combien y-a-t-il d’agriculteurs en Afrique ?
2 avril 2019 Jean-Christophe Debar, directeur de FARM
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Les Etats-Unis comptent 2 millions d’exploitations agricoles. L’Union européenne, 10 millions. Et l’Afrique ? On ne sait pas exactement. A cette question si simple en apparence, si déterminante pour la mise en œuvre et le suivi des politiques mises en œuvre sur le continent, il n’y a pas de réponse claire. Le chiffre qui fait référence est celui publié par la FAO en 2014, soit 51 millions de fermes dans les 42 pays d’Afrique subsaharienne ayant effectué un recensement agricole[1]. Mais l’institution onusienne soulignait elle-même, à l’époque, la fragilité de cette estimation – le dernier inventaire du Nigéria remonte par exemple à 1960. Dans un papier plus récent[2], s’appuyant sur des enquêtes de ménages, des chercheurs évaluent le nombre d’exploitations agricoles à 77 millions pour 43 pays situés au sud du Sahara. Selon une autre étude[3], il y aurait « plus de 100 millions d’exploitations familiales » dans 47 pays de la sous-région, chiffre qui exclut « les fermes commerciales (capitalistes) à grande échelle et les plantations ». Autrement dit, deux fois plus que ce qu’indique la FAO : vertige des statistiques…
Indice du nombre de personnes travaillant dans l’agriculture en Afrique subsaharienne, 1961-2015
Données relatives aux personnes âgées de plus de 15 ans travaillant dans l’agriculture
Source : FARM d’après USDA
Encore ces chiffres ne concernent-ils que le nombre de fermes. L’effectif de la population travaillant dans l’agriculture est beaucoup plus élevé, puisqu’il faut ajouter au chef d’exploitation les membres du ménage qui participent aux travaux des champs et les salariés agricoles. Soit au total, pour l’Afrique subsaharienne, 232 millions de personnes en 2015, selon la base de données du département américain de l’Agriculture[4]. Une estimation là encore à considérer avec précaution.
Point capital : ce nombre ne cesse d’augmenter, alors que depuis le milieu des années 2000, il diminue dans le reste du monde, à l’exception de l’Asie du Sud (graphique). Et il devrait encore progresser à moyen terme, en raison du boom démographique du continent. La baisse de la part de la population active africaine employée dans l’agriculture ne doit donc pas faire illusion, même si elle est sous-estimée[5] : la vie d’un nombre croissant d’Africains, dans les prochaines années, dépendra directement ou indirectement de l’activité agricole et des politiques y afférentes.
[1] FAO (2014), The State of Food and Agriculture 2014.
[2] Lowder, S. K., Bertini, R., Karfakis, P. et Croppenstedt (2016), Transformation in the size and distribution of farmland operated by households and other farms in select countries of sub-Saharan Africa, Invited paper presented at the 5th International Conference of the African Association of Agricultural Economists, September 23-26, 2016, Addis Ababa, Ethiopia.
[3] Moyo, S. (2016), Family farming in sub-Saharan Africa: its contribution to agriculture, food security and rural development, International Policy Centre for Inclusive Growth (IPC-IG) Working Paper No.150, November, 2016.
[4] USDA ERS, International Agricultural Productivity, www.ers.usda.gov
[5] Selon la Banque mondiale, la part de la population active travaillant dans l’agriculture, la pêche et la forêt, en Afrique subsaharienne, est tombée de 67 % en 1991 à 57 % en 2017. Dans plusieurs pays de la sous-région, la baisse est sensiblement plus forte quand on exprime les emplois en équivalent à temps plein [Yeboah, F. K. et Jayne, T. S. (2017), Africa’s Evolving Employment Trend: Implications for Economic Transformation, Volume 14 Issue 1, Africagrowth Agenda Journal, 2017 Africagrowth Institute].
7 commentaire(s)
Je ne peux qu'approuver ces considérations à partir d'un exemple que je connais bien, celui de la ville sahélienne de Dogondoutchi (80 000 habitants) au Niger. Cette commune est constituée d'un centre urbain de 30-40 000 h et de 32 villages. Au nom de l'association "Échanges Orsay-Dogondoutchi", je pilote depuis 2010 plusieurs projets agricoles. Un premier vise à améliorer la production de mil et de Niébé par des prêts à l'achat de semences et d'intrants et un second plus récent soutenu par l'AFD permet l'irrigation 12 mois sur 12 de sites maraichers (33ha) à partir de forages profonds (voir http://www.doutchiorsay.fr/). L'analyse de la situation des producteurs de mil et niébé pour le montage des dossiers m'a permis de constater que presque tous les chefs de familles sont producteurs d'une façon ou d'un autre, quel que soit leur statut (maraicher, fonctionnaire, commerçant, artisan...). Il est donc difficile de calculer le nombre de personnes vivant de l'agriculture exclusivement, de même que le nombre de ferme.
Ecrit le 2 avril 2019 par : Jean-Louis Prioul
jean-louis.prioul@u-psud.fr 3729
N'étant pas du tout spécialiste de la chose, j'aimerais confronter mes idées à celles de vrais connaisseurs.
Cette grosse incertitude sur le nombre d'exploitations en Afrique ne me semble pas prête d'être levée et, pour encore un certain temps, la recherche de la vérité est vaine.
N'ayant passé que quelques jours dans très peu de pays d'Afrique de l'Ouest, je n'ai compris qu'une chose : la terre, pour les petits paysans, pas les plantations, n'y est pas gérée avec des critères européens.
- la propriété est la plupart du temps très floue puisque très souvent 3 niveaux "culturels" se superposent, le droit coutumier, le droit musulman et le droit européen qui tente de fixer les choses à l'aide d'un cadastre dont l'efficacité opérationnelle est plus que douteuse
- l'exploitation d'une terre, d'un champ, est souvent le fait de plusieurs agriculteurs. Non seulement d'une année sur l'autre dans le cadre de la réattribution des terres entre villageois, mais aussi entre périodes ce culture ou la terre est confiée à un cultivateur et périodes d'intercultures ou un éleveur fait paitre son troupeau.
Cette situation est très dommageable pour les investissements et donc le développement agricole, celui qui investit n'étant pas assuré d'en récolter les fruits. J'ai vu un contre exemple au Ghana où une société de développement était parvenue à plus que doubler les rendements en maïs, en obtenant des chefs de village que le même champ puisse être cultivé par le même paysan plusieurs années de suite; système très fragile car ne reposant sur aucune base légale.
Je suis preneur de contradictions ou de compléments. Merci
Ecrit le 2 avril 2019 par : Hervé Le Stum
herve.le.stum@orange.fr 3730
Chers Tous,
Les documents officiels de l’Afrique donnent pourtant des informations fiables sur le sujet abordé. C’est notamment le cas du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique). Il indique que la population agricole en Afrique est de 530 millions en 2013 et les projections donnent 580 millions en 2020. La population qui vit de l’agriculture représente 48 % de la population totale (jusqu’à 70 % en Afrique de l’Est), soit 75% des 63% des populations employées dans l’économie alimentaire. Voici les réalités des exploitations agricoles africaines : 1.L’Afrique compte 33 millions d’exploitations agricoles (familiales) de moins de 2 ha, qui représentent 80 % des exploitations ; 2.Seulement 3 % des exploitations agricoles ont une superficie supérieure à 10 ha. Merci.
Ecrit le 2 avril 2019 par : Dr Emile N. Houngbo
enomh2@yahoo.fr 3731
vraiment cette question est pertinente et garde une interpellation pour les africains . sans faire une étude préalable , les gouvernements africains mettent moins d'accident sur les politiques agricoles.
Ecrit le 3 avril 2019 par : coocenki
3732
Agriculteurs en hausse, famine en baisse ? Voir le dernier article sur rendements et forêt, rien n'est évident. Merci à Mr Houngbo de questionner les concepts derrière les chiffres affirmés et d'appeler ainsi nouveaux critères et indicateurs.
- Une "population agricole" en augmentation (1,1 % par an) ne veut pas dire plus de temps de travail sur le sol, qui pourrait vouloir dire baisse de productivité. Comment évoluent les ratios Foncier/travail et Capital/travail, avec quelles composantes, quelles qualifications, efficacités, efficiences ? - "Vivre de l'agriculture" va de la subsistance familiale en totale autarcie alimentaire au salariat en plantation pour exportation. En quelles proportions, avec quelles évolutions socioéconomiques, quels effets santé et sécurité pour les populations agricole (48 %) et totale (16 % alimentaire plus 36 % non agri-alimentaire) ? - "L'économie alimentaire" est le référent nécessaire mais avec quelles partitions et liaisons entre emplois et populations, entre agricultures, transformations des produits, services, unités de consommation, avec secteurs fournisseurs, productions et consommations non alimentaires ? - Plus de 41 millions d'exploitations dont 7 entre 2 et 10 ha et 1,5 de plus de 10 ha, soit, ou bien 100 millions ?! Mais en quelles organisations, pour quelles contributions à l'économie et la société, dans quelles régions, branches et filières ? Quelles démographies ?
Ecrit le 9 avril 2019 par : jm bouquery
bouquery@noos.fr 3735
Merci pour vos commentaires pertinents. Compte tenu du concept un peu flou, en Afrique, d’exploitation agricole, mieux vaut en effet s’attacher à la population vivant de l’agriculture. Sur ce point, la statistique du Nepad citée par Emile Houngbo (530 millions de personnes en 2013) intrigue, car elle est très supérieure à l’estimation de l’USDA, qui reprend les chiffres de la FAO et de l’OIT (245 millions en 2015, dont 13 millions en Afrique du Nord et 232 millions en Afrique subsaharienne). Peut-être le Nepad fait-il référence à l’ensemble des personnes vivant sur des fermes, alors que l’USDA s’en tient aux adultes de plus de 15 ans travaillant dans l’agriculture. Certes, les statistiques ne valent que ce qu’on veut leur faire dire, mais on atteint là un degré d’imprécision impressionnant, qui laisse songeur quant à la crédibilité et l’efficacité des politiques publiques.
Ecrit le 15 avril 2019 par : debar
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La question est très pertinente. Ne pas connaitre ce chiffre ou ne pas vouloir le connaitre est la pire erreur que les gouvernements africains et leurs partenaires ont commise et continuent à commettre. C'est pourquoi les agriculteurs communément appelés "paysans" sont méprisés ou même pris comme des moins que rien. Ils sont quantifiés selon l'enveloppe qu'il faut allouer aux projets du "développement". Les pauvres ont du mal à se faire connaitre parce que leur activité malgré son importance criée à tous ceux qui veulent entendre tarde à être considérée à sa juste valeur dans les pays à économies agricoles très nombreux en Afrique. Leçon tirée des réponses à cette question intelligente est qu'ils sont très nombreux tout court. Mais, leurs effectifs sont souvent biaisés par la confusion sur qui participe réellement à l'activité agricole? qui vit de l'agriculture? ou qui exploitent les terres agricoles en milieux ruraux ou qualifiés d'urbains? Dans mon pays le Burundi, par exemple sur les cartes d'identité nationale obtenue à partir de 16 ans est écrit la profession de la personne en question. Mais, cette information est souvent biaisée. Les personnes dont le niveau d'étude est faible ou nul pour se faire embaucher dans les fonctions publiques sont souvent assimilés aux "agriculteurs". Un agent de transport comme chauffeur de bus aura sur son permis de conduire son nom et prénom mais sur sa carte d'identité nationale, la mention "umurimyi"; un artisans, un aide domestique, une "baby siter", un commerçant, un veilleur de nuit, une coiffeuse ou coiffeur, un tailleur ou styliste sortie du lot d'agriculteur ou qui n'a jamais tenu la houe etc..auront la mention "umurimyi" c.à.d agriculteurs. Comment voulez-vous que les effectifs d'agriculteurs ne soient pas gonflés ou réduits? On vous dira dans les recensements agricoles que les agriculteurs représentent entre 80% et 90% de la population active. Sincèrement, les statistiques agricoles en Afrique, on peu en rigoler sauf quand il faut établir des budgets sans risque d'être justifiés peu importe l'institution sérieuse qui les fournissent.
Ecrit le 16 janvier 2020 par : Mizero Mireille
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