Il est des évidences qu’il convient parfois de rappeler. La plupart des Ouest-Africains – deux sur trois – travaillent dans l’économie alimentaire, ce large secteur qui va de l’agriculture à la transformation et à la distribution alimentaires. Si cette prédominance est indiscutablement amenée à évoluer à mesure que la région se développe, il ne faut pas s’attendre à un changement radical de la structure de l’emploi à l’horizon 2025. Selon nos dernières estimations, la part de l’économie alimentaire dans l’emploi total ne diminuera que légèrement, passant de 63 % en 2015 à 60 % en 2025. Pourtant, 32 millions de nouveaux emplois pourraient y être créés au cours des dix prochaines années et tout s’y transforme[1].
La majorité de ces emplois – 75 % - est aujourd’hui dans l’agriculture. S’il importe, bien sûr, de garder ce chiffre en tête quand gouvernements et bailleurs pensent l’allocation de leurs fonds, il faut se garder de la tentation de ne se concentrer que sur les activités agricoles. Les 25 % restants, dans la transformation, la commercialisation et la restauration, sont essentiels au développement agricole. Avec l’expansion des marchés urbains, les producteurs doivent être en mesure de commercialiser leur surplus. Pas de transformateurs, pas de logistique, pas de distributeurs : pas de marché. Ces activités aval représentent par ailleurs 31 % de tous les emplois non agricoles. Elles sont donc des leviers incontournables de la transformation structurelle des économies ouest-africaines et offrent d’importantes opportunités de création d’emplois, aussi bien en milieu rural qu’urbain.
Sans surprise, les activités agricoles sont essentiellement rurales. En revanche, 35 % des emplois urbains sont dans l’économie alimentaire, en particulier dans la commercialisation et la restauration. Les filières alimentaires s’étendent donc sur tout le spectre géographique, et les activités secondaires et tertiaires de l’économie alimentaire sont la courroie de transmission au cœur de l’articulation urbain/rural.
Celles-ci jouent également un rôle fondamental dans l'emploi des femmes. Ces dernières y sont particulièrement présentes, représentant 88 % du personnel dans la restauration, 83 % dans la transformation et 71 % dans la commercialisation. Plus encore que les hommes, les femmes ont difficilement accès aux ressources nécessaires au développement de leurs activités. Les politiques et investissements qui cibleront donc les activités non agricoles de l’économie alimentaire profiteront en particulier aux femmes.
Ces activités sont également plus susceptibles de répondre aux attentes des jeunes. Pour rappel, il faudra créer un minimum de 46 millions d’emplois entre 2015 et 2025 pour absorber l’arrivée sur le marché du travail des jeunes en âge de travailler, et au moins une dizaine de millions d’emplois supplémentaires si on veut diminuer la forte proportion des inactifs chez les jeunes de moins de 35 ans. En volume, l’économie alimentaire sera en mesure d’assurer le gros de la création d’emplois au cours des dix prochaines années, avec 32 millions de nouveaux postes.
La majorité de ces emplois seront créés dans l’agriculture à l’horizon 2025. Mais les segments de la transformation, commercialisation et restauration devraient connaître la croissance de l’emploi la plus forte, 5,4 % en moyenne contre 2,9 % pour l’agriculture (graphique 1). Dans certains pays comme le Nigeria ou le Ghana, plus de 60 % des nouveaux emplois dans l’économie alimentaire seront déjà créés dans les activités aval. Cela veut dire que dans vingt ans, il est possible qu’il y ait de nouveaux entrants en agriculture… mais pas de nouveaux agriculteurs dans ces pays. On passera alors le cap des 50 % au Nigeria quelque part entre 2030 et 2035, avec donc moins d’agriculteurs par rapport aux autres professions de l’agro-alimentaire. Transformation progressive donc, mais transformation tout de même. C’est à cette transformation structurelle de l’économie alimentaire que doivent se préparer les décideurs politiques.
Graphique 1 : répartition de l’emploi en Afrique de l’Ouest, 2015-2025
Source : Allen, T., P. Heinrigs and I. Heo, op. cit.
Le potentiel de création d’emploi de l’économie alimentaire, en particulier dans les activités de transformation, commercialisation et restauration, est aujourd’hui insuffisamment exploité. Les stratégies d'emploi, en particulier pour les jeunes et les femmes, doivent s’intéresser avec résolution aux opportunités offertes par l’économie alimentaire, premier employeur en Afrique de l’Ouest, et intégrer une approche systémique prenant en compte les liens entre productivité agricole, emploi non agricole et interactions urbain/rural.
[1] Allen, T., P. Heinrigs and I. Heo (2018), "Agriculture, alimentation et emploi en Afrique de l’Ouest", Notes ouest-africaines, No. 14, OECD Publishing, Paris,
https://doi.org/10.1787/56d463a9-fr. Les projections reposent sur un travail en cours au Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest/OCDE, en collaboration avec Tom Reardon et Saweda Liverpool-Tasie, Michigan State University ("Agriculture, alimentation et emploi en Afrique de l’Ouest : prospective à 2025", publication à paraître en 2019).