Pour les petits paysans d’Afrique sub-saharienne, la mauvaise qualité des semences est souvent l’une des principales raisons qui expliquent les faibles récoltes. La mise à disposition de semences variées et de qualité est pourtant l’une des stratégies les plus efficaces et rentables pour enclencher une croissance verte et durable. Au Malawi, depuis une quinzaine d’années, un fonds de roulement semencier[1] novateur a progressivement fait émerger une industrie semencière privée locale, et permis de faire renaître la production d’arachide du pays.
©ICRISAT / Alina Paul-Bossuet
Les options sont limitées pour les habitants du Malawi, jeune pays enclavé classé parmi les nations les plus pauvres du monde, où deux personnes sur trois sont âgées de moins de 25 ans. La plupart des familles dépendent encore d’une agriculture vivrière et pluviale, très vulnérable au climat erratique de cette région semi-aride. Deux années consécutives de sécheresse ont accru l’insécurité alimentaire. La production de maïs, aliment de base, a chuté d’un tiers en 2016. Augmenter la productivité des petites fermes vivrières est essentiel pour réduire la pauvreté dans ce pays. Une meilleure diversité dans les fermes et dans les assiettes, en encourageant les paysans à cultiver davantage de légumineuses comme l’arachide ou le pois d’Angole, permettrait d’améliorer nettement la nutrition familiale tout en enrichissant les sols appauvris du Malawi. Mais la grande difficulté pour obtenir des semences de légumineuses de qualité pose encore problème. Le secteur privé semencier n’a pas investi pour produire des semences de légumineuses améliorées. Plusieurs études montrent que nombre de paysans de cette région utilisent leurs propres semences ou en achètent, en partie pour renouveler leurs stocks, via les circuits informels ou les marchés locaux, où le grain est converti en semences de qualité souvent douteuse.
Pour l’arachide par exemple, le Malawi, autrefois exportateur, a vu sa production chuter dans les années 80. Alors que plus de 90 % des arachides viennent des petites fermes familiales, les rendements moyens au début des années 2000 étaient bas, autour de 860 kg par hectare. Les paysans font face à de multiples aléas : la pauvreté des sols, les maladies, les insectes, la sécheresse, ou encore l’utilisation de variétés locales non productives.
Création d’entreprises semencières locales
L’Institut international de recherche sur les cultures des tropiques semi-arides (ICRISAT) et les instituts de recherche et développement nationaux ont développé, au cours des années, des variétés améliorées comme la Nsinjiro : un type d’arachide de confiserie, productive et résistante à la rosette (un virus de l’arachide transmis par des piqûres d’insectes, qui stoppe la croissance de la plante et teint le feuillage en jaune). Pour disséminer ce type de semences améliorées, des systèmes semenciers communautaires (des banques de semences villageoises mises en place par des ONG, par exemple) ont permis d’atteindre près de 50 000 paysans en dix ans. Mais pour une adoption à l’échelle du pays, il fallait trouver un modèle financier durable avec un engagement du secteur privé.
En 1999, l’ICRISAT a mis en place un fonds de roulement de semences d’arachide dont l’objectif était de créer un modèle économiquement viable, qui puisse fournir des semences de variétés améliorées (productives, tolérantes à la sécheresse, résistantes aux maladies) sur la durée, avec une qualité garantie et à un prix raisonnable pour le paysan. Cette initiative, soutenue d’abord par USAID et maintenant par l’Irlande, a encouragé la création d’entreprises semencières locales et l’adoption à grande échelle de variétés améliorées.
L’impact sur la production et les revenus a été significatif pour de nombreux paysans comme Mary Kumwenda. Ouvrière agricole et mère de trois enfants, Mary a rejoint le club de producteurs de semences de Madede, dans le district de Mzimba, en 2012. Elle a reçu une formation pour la production de semences d’arachide ainsi que 20 kg de semences de base, pour la multiplication. Elle a récolté 11 fois plus de semences (222 kg) et fait un bénéfice honorable de 78 000 kwacha (environ 107 dollars) la première année. L’année suivante, elle a doublé les surfaces et triplé sa production de semences grâce à une météo clémente. Son bénéfice a été de 321 000 kwacha, soit une fois et demie le revenu national moyen.
Comment fonctionne le fonds de roulement semencier ?
Au cœur du modèle, il y a les communautés ou « clubs » de producteurs de semences : des groupes de 10 à 15 petits paysans formés à la production et la gestion de semences, ainsi qu’aux dynamiques de groupe. Ces clubs sont contractualisés par l’organisation qui gère le fonds de roulement pour multiplier une quantité de semences, achetée à prix garantis et négociés à l’avance. Les petits producteurs reçoivent en crédit leurs semences de prébase (semences de premières générations, produites en station de recherche), tandis que des fermes plus grandes peuvent, quant à elles, fournir le fond de roulement tout en payant en avance leurs semences de prébase. Les semences de base (à partir desquelles sont produites des semences certifiées commerciales) sont ensuite vendues par l’organisation à des entreprises semencières locales pour la multiplication en semences certifiées, puis revendues aux paysans via leur réseau de commerçants d’intrants agricoles. Les recettes de ces ventes permettent au fonds de roulement de couvrir les coûts de stockage, d’emballage et de transport, et le modèle est capable d’engager davantage de petits paysans chaque année.
Le fonds de roulement semencier s’est progressivement diversifié. Désormais, niébé, pois d’Angole et riz sont dans le portfolio de l’organisation. Des entreprises semencières locales sont de plus en plus impliquées dans la production et la commercialisation de semences certifiées, elles se rendent compte du retour sur investissement intéressant de la production de semences vivrières de qualité. Ces entreprises sont membres de l’Alliance semencière du Malawi (Malawi Seed Alliance, MASA en anglais), une association créée par l’ICRISAT pour gérer le fond de roulement et faciliter la commercialisation des semences certifiées sous la marque MASA.
Aujourd’hui, le Malawi est de retour sur les marchés internationaux, exportant de nouveau en Europe des arachides sous la marque de commerce équitable Liberation Foods, de l’organisation paysanne NASFAM, avec des rendements qui ont à peu près doublé (autour de 1500 kg/ha). Le fonds de roulement semencier d’ICRISAT a certainement joué un rôle important dans ce renouveau de l’arachide au Malawi et d’autres pays voisins comme le Zimbabwe sont intéressés pour répliquer ce modèle.