Faut-il subventionner l’assurance agricole ?

7 novembre 2017
Pierre Casal Ribero, analyste en micro-assurance, Fondation Grameen Crédit Agricole


Le 18 octobre dernier, nous avons participé, comme discutant, au petit-déjeuner-débat organisé par la fondation FARM autour du professeur Peter Hazell, co-auteur d’un rapport intitulé « When and how should agricultural insurance be subsidized? Issues and good practices » (« Quand et comment subventionner l’assurance agricole. Enjeux et bonnes pratiques ») (voir la présentation de Peter Hazell). Au niveau mondial, on estime que les gouvernements dépensent au moins 20 milliards de dollars par an pour subventionner les primes d’assurance agricole. Pourtant, presqu’aucune étude n’a été menée pour évaluer l’impact de ces subventions. On ne sait donc pas grand-chose de l’utilité de ces dépenses publiques, alors même que les montants en jeu ne cessent d’augmenter, aussi bien dans les pays développés que dans les pays émergents.


Si l’efficacité des subventions reste à démontrer, on sait en revanche que l’assurance a un impact positif sur les agriculteurs couverts. Le J-PAL a publié un bilan des études d’impact menées sur le sujet. En Inde, en Chine ou au Mali, les agriculteurs assurés adoptent des stratégies plus risquées offrant de meilleurs rendements. Ils sélectionnent de nouvelles variétés de semences, cultivent plus de terre et on constate dans certains cas une augmentation significative de la production. Ces éléments semblent converger pour démontrer que le risque est le principal frein à l’investissement, peut-être plus que l’accès au crédit. Ce dont les agriculteurs les plus vulnérables ont besoin, c’est de confiance.

Du point de vue des Etats, l’assurance a une vertu essentielle, comparée à d’autres instruments de gestion des risques : elle établit une forme de discipline budgétaire. En effet, il est extrêmement difficile pour des gouvernements de maintenir des fonds de réserve pour répondre aux crises agricoles et aux catastrophes naturelles. L’argent manque toujours, et les besoins immédiats abondent. Lorsqu’un sinistre se produit (sécheresse, inondation, ouragan…), les gouvernements des pays en développement sont bien souvent dans l’incapacité de faire face à la catastrophe et n’ont d’autre recours que de faire appel à l’aide internationale. Or, on sait aujourd’hui que la rapidité de la réponse est déterminante, et que plus elle tarde, plus le coût de l’aide aux populations est élevé.

On peut alors se poser la question de qui doit s’assurer ? Les petits agriculteurs ou les pouvoirs publics? Il arrive en effet que les Etats s’assurent eux-mêmes. En cas de sinistre, l’indemnisation est alors utilisée pour financer la réponse à la crise. C’est par exemple le cas de l’African Risk Capacity, qui est un pool multi-pays de mutualisation des risques, réassuré sur les marchés internationaux. L’avantage de ce type d’instrument est qu’il permet de couvrir rapidement un grand nombre de personnes, notamment les plus vulnérables. Pour les assureurs et réassureurs, c’est la possibilité d’obtenir une taille de marché suffisante. Néanmoins, ce type de programme ne permet pas de bénéficier de tous les impacts positifs ex-ante qu’offre l’assurance au niveau individuel : sécurisation de l’investissement, adoption de nouvelles technologies, gains de productivité… Il faut donc poser la question de l’articulation entre les niveaux macro et micro, pour éviter que l’un ne se fasse au détriment de l’autre.

On voit apparaître depuis quelques années le concept de « risk layering » (voir notamment ici, ici et ). Un risque fréquent et de faible intensité doit pouvoir être supporté par l’agriculteur. Les risques plus importants, à même de mettre en danger la pérennité de l’exploitation, doivent pouvoir être transférés sur les marchés assurantiels. Enfin, pour les risques les plus extrêmes et systémiques qui pourraient fragiliser assureurs et réassureurs, les gouvernements peuvent intervenir en tant que réassureur en dernier recours. Cette approche par « tranche » de risque, dans laquelle les niveaux de risque sont portés par différents acteurs et différents instruments, semble à même de stabiliser les revenus des agriculteurs comme les dépenses des Etats.

Enfin, il faut garder en tête que le marché de l’assurance agricole évolue, il s’agit d’un secteur qui innove énormément. Des risques ou des publics qui n’étaient pas considérés comme assurables le deviennent, grâce à l’arrivée des produits indiciels, du big data. La distribution est également bouleversée, sous les effets de la digitalisation et du mobile. On peut attendre de ces innovations qu’elles favorisent un meilleur accès à l’assurance agricole et à des produits qui répondent mieux aux besoins des agriculteurs. Les gouvernements ont clairement un rôle à jouer dans cette transformation. Les subventions de primes sont un outil, mais il y a aussi des besoins en recherche et développement, en investissement dans les données… Des politiques publiques volontaristes sont donc nécessaires pour soutenir le développement des marchés de l’assurance agricole et améliorer la résilience des agriculteurs face aux risques naturels et climatiques. 


 


2 commentaire(s)
Bonjour,
Au Maroc, l'assurance agricole, lancée au debut des années 90, couvre actuellement près d'un million d'hectares de cultures et plantations. Ces performances sont le fruit principalement de 5 facteurs : - l'adéquation des produits d'assurance aux besoins des agriculteurs - la rapidité du dispositif d'indemnisation - la subvention partielle par l'Etat de l'assurance agricole pour les petites exploitations agricoles - le couplage de l'assurance aux prêts du Crédit Agricole du Maroc - la possibilité de financement de la police d'assurance et son intégration dans les crédits de campagne - la commercialisation des produits d'assurance agricole par un large réseau du groupe Crédit Agricole du Maroc composé de plus de 850 points de vente Cordialement.
Ecrit le 9 novembre 2017 par : BEN EL AHMAR Mustapha mbenelahmar@gmail.com 3456

Bonjour monsieur Ben El Ahmar. Merci pour cette illustration avec le cas marocain, les résultats sont impressionnants. Je crois aussi qu’une des clés de la réussite marocaine a été d’intégrer l’assurance au Plan Maroc Vert, faisant de l’assurance climatique un outil au service du développement agricole.
Ecrit le 10 novembre 2017 par : Pierre CASAL RIBEIRO pierre.casalribeiro@credit-agricole-sa.fr 3457

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