Au Sénégal, à l’instar des autres pays d’Afrique de l’Ouest, ce sont les activités agricoles qui font vivre les populations rurales. Mais le phénomène de désertification, c’est-à-dire de « dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs », selon la définition de l’ONU, met en péril depuis plus de quarante ans la survie du secteur agricole et des écosystèmes, avec des conséquences humaines et environnementales catastrophiques. Le Sénégal est l’un des pays d’Afrique de l’Ouest le plus affecté par la désertification ; il représente donc une bonne étude de cas pour tenter de mieux appréhender les causes, notamment environnementales et démographiques, de ce phénomène et comprendre comment une association de développement rural, IRRIGASC, peut fournir des solutions durables.
L’impact de la sécheresse
L’Afrique de l’Ouest a connu depuis 1970 plusieurs cycles de sécheresse. Ceux-ci se manifestent notamment par un raccourcissement de l’unique saison des pluies, qui dure en moyenne moins de quatre mois, de juillet à septembre. Au Sénégal, cela a conduit à un déplacement des isohyètes[1] vers le sud du pays, avec des conséquences négatives pour la vallée du fleuve Sénégal (zone la plus impactée à la frontière nord du pays), dont la moyenne pluviométrique, qui variait entre 200 et 400 mm par an de 1940 à 1970, est passée sous la barre des 200 mm à partir de 1969[2]. D’une part, cette diminution de la pluie a entraîné une sécheresse hydrologique, laissant la zone avec des nappes d’eau douce restreintes. D’autre part, la montée du niveau de l’eau de mer a grandement contribué à la salinisation des nappes phréatiques[3].
Face à la réduction de la quantité d’eau douce disponible, les agriculteurs doivent mieux gérer leurs ressources. Dans la vallée du fleuve, les riverains sont habitués à arroser par tranchée ou grâce à des canaux, mais ils sont maintenant confrontés à l’assèchement de leurs canaux pendant les semaines qui précèdent la saison des pluies. Sans moyens pour stocker l’eau et optimiser l’irrigation, ils sont nombreux à perdre une grande partie voire même la totalité de leurs cultures. Ceux qui n’ont pas accès aux canaux utilisent généralement des puits de surface, de moins de 15 mètres de profondeur, faute de budget et de moyens pour faire des forages plus profonds. Ces puits de surface demandent une gestion minutieuse : en effet, une consommation trop importante mène à l’assèchement de la nappe exploitée, remplacée souvent par une eau salée.
Au niveau des sols, la vallée du fleuve bénéficiait auparavant de la crue du fleuve laissant place à une couche superficielle argileuse ayant la caractéristique d’absorber l’eau et de retenir l’humidité. Cependant, la crue a diminué et la nature des précipitations, qui sont courtes et intenses, catalyse le phénomène d’érosion hydrique par ruissellement. Cette couche superficielle argileuse se retrouve donc perturbée et déplacée par les mouvements d’eau et souffre également d’une érosion éolienne avec la force des vents sahariens (l’harmattan et l’alizé) qui la remplacent par un dépôt de sable. La terre sableuse retient malheureusement très mal l’eau et les fertilisants, encore une difficulté pour les agriculteurs.
Il est reconnu que les formations ligneuses permettent de faire barrière au vent et de réduire ainsi l’érosion éolienne des sols. De plus, elles permettent de faire barrage aux ruissellements et de diminuer l’érosion hydrique. Mais les formations ligneuses continuent de régresser d’environ 80 000 ha par an sur l’ensemble du pays, notamment à cause de la destruction des forêts par l’homme pour la récolte de bois et la production de charbon.
Une transition démographique très lente
Un deuxième facteur essentiel de désertification est d’ordre démographique.
Les pays d’Afrique de l’Ouest connaissent un taux de natalité par femme toujours très élevé (37,2 ‰) pour un taux de mortalité en forte régression (7,7 ‰), notamment dans le monde rural. A l’inverse des pays du Maghreb et des pays du sud de l’Afrique, la transition démographique n’a pas eu lieu, la forte croissance démographique couplée à une faible activité économique et à la diminution des terres agricoles cultivables a accentué la paupérisation de la jeunesse rurale et son exode vers les villes.
Même si les facteurs culturels et religieux sont indéniables, on peut attribuer cette persistance du taux de natalité très élevé à des facteurs économiques.Les enfants aident la famille par le travail de la terre ou les revenus qu'ils tirent de leurs petits métiers en ville. De plus, la prise en charge des parents âgés est faite par leurs enfants (le système de retraite est insignifiant ou inexistant dans la plupart des pays d'Afrique de l’Ouest). Plus il y a d'enfants, plus la charge d'aide aux parents est répartie. Dans leur grande majorité, les politiques gouvernementales volontaristes pour une instruction obligatoire et une meilleure autonomisation des femmes, notamment vis-à-vis de la natalité, sont défaillantes ou inopérantes.
Une solution : la plantation arboricole familiale
Il y a eu quelques projets de reforestation au Sénégal, notamment dans la vallée du fleuve Sénégal dans les années 1980-90. Cependant un rapportde 2005[4] sur les résultats de ces projets montre non seulement que leur taux réel d’exécution est souvent bien inférieur aux objectifs définis.
Peut-être faut-il alors repenser notre vision des programmes de reforestation ? Au lieu de les concevoir comme des entités mal intégrées à la communauté locale, ces programmes doivent bénéficier en priorité aux populations. C’est en tout cas la vision de l’association IRRIGASC qui a choisi d’allier le développement économique et rural à des objectifs de reforestation. L’association aide des agriculteurs locaux à démarrer leur exploitation fruitière de manguiers et d’anacardiers avec des formations, un appui matériel et un appui technique sur trois ans.
En vingt ans, l’association a aidé plus de 2 500 agriculteurs à implanter leur verger de manguiers et d’anacardiers, plantant un total de 220 000 arbres. Depuis 2013, l’association assure un taux de survie des arbres de plus de 70 % pour tous ses programmes, même dans la vallée du fleuve Sénégal. Chaque plantation est l’équivalent d’une petite exploitation individuelle, qui selon les cas correspond à la création d’un emploi et demi en moyenne, soit 4 200 emplois en 25 ans ! Sachant que la durée de vie moyenne d’un manguier et d’un anacardier est de 60 ans, ce sont plus de 50 années de revenus assurés.
Le succès du programme est dû à plusieurs facteurs. Premièrement, le concept IRRIGASC a été développé depuis 1992 autour d’une innovation technologique, la gaine IRRIGASC[5], et une méthodologie de mise en œuvre et d’accompagnement de l’agriculteur. Cette gaine permet d’économiser jusqu’à vingt fois moins d’eau, comparée à une irrigation traditionnelle, et contribue à renforcer l’arbre. C’est une gaine d’irrigation de goutte à goutte en profondeur qui permet d’éviter l’évaporation de l’eau au moment de l’arrosage et de guider les racines le plus rapidement possible vers les couches plus humides et fertiles du sol.
Deuxièmement, la participation est entièrement volontaire et se fait dans le respect de la propriété des parcelles des populations locales. Avant de planter, IRRIGASC demande à l’autorité locale une attestation montrant que le bénéficiaire est propriétaire ou usufruitier de sa parcelle. Troisièmement, c’est l’agriculteur lui-même qui s’occupe de l’entretien de sa parcelle et qui reste l’unique bénéficiaire des fruits de son travail. Les plantations sont rentables. Avec 100 arbres, l’agriculteur peut percevoir un revenu compris entre 500 000 et 1 500 000 francs CFA, soit entre une et trois fois le salaire minimum sénégalais, très supérieur aux revenus issus du maraîchage. Enfin, l’association fait un suivi rigoureux des plantations (sept visites d’accompagnement et de contrôle qualité pour chaque plantation sur trois ans, répertoriées et accessibles sur le site de l’association en temps réel). Au bout de trois ans, les manguiers et les anacardiers deviennent indépendants en eau, l’agriculteur et la plantation sont autonomes. Il est donc possible de lutter contre l’avancée du désert, et de mettre en place des programmes de reboisement durables au Sahel, à la condition de mettre au cœur du projet la responsabilisation et la motivation économique des populations rurales.