Ce qui frappe, dans les nouvelles projections de population mondiale publiées par l’Organisation des Nations unies (ONU) le 21 juin, c’est moins la forte croissance démographique prévue en Afrique, désormais largement anticipée, que sa révision continuelle à la hausse. En effet, depuis les projections publiées par l’ONU en 2012, le nombre d’Africains attendu en 2050 a été augmenté de 135 millions de personnes (6 %), soit l’équivalent de deux fois la population française actuelle.
La transition démographique, c’est-à-dire la baisse de la fécondité, est certes bien engagée dans cette région, puisqu’elle est tombée de 5,1 naissances par femme à 4,7 au cours de la période 2010-2015. Mais son rythme a été nettement surestimé. On peut bien sûr se demander s’il l’est encore
1.
Selon les dernières statistiques, la population africaine devrait doubler entre 2017 et 2050, à 2,53 milliards de personnes. Elle représenterait alors 26 % du nombre total d’habitants, contre 17 % aujourd’hui. Pour l’agriculture, les enjeux liés à ce boom démographique sont considérables.
Le premier défi est bien sûr celui de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Pour ne pas dépendre excessivement des importations, le continent africain devra accroître fortement sa production agricole. Entre 2017 et 2050, il y aura en Afrique 1,27 milliard de bouches supplémentaires à nourrir. Entre 1984 et 2017, l’augmentation a été de 536 millions. La production alimentaire doit donc non seulement s’accroître, mais croître plus vite, d’autant plus que la progression de la demande de produits animaux nécessite une forte hausse de la production d’aliments du bétail et que l'urbanisation rapide crée de nouveaux besoins. En outre, il faudra aller au-delà de l’expansion de la production agricole pour pallier les carences nutritionnelles des catégories les plus vulnérables, en particulier les enfants
2.
Le second enjeu est la capacité des filières agroalimentaires à créer des emplois. Plus de 40 % de la population africaine est âgée de moins de 14 ans, contre 24 % en Asie et 16 % en Europe. Le flot de jeunes arrivant sur le marché du travail va s’amplifier. La population agricole vieillit et doit se renouveler. Mais il est douteux qu’elle puisse employer davantage de bras, dans des conditions de travail décentes, alors que, globalement, elle souffre déjà d’un excédent de main-d’œuvre. Les industries et les services d’amont et d’aval de la production agricole offrent en revanche de formidables opportunités, à condition bien sûr que les jeunes soient suffisamment formés et que les créateurs d’entreprises trouvent un environnement politique et réglementaire favorable.
Le troisième défi est étroitement lié aux deux premiers. La faim et la pauvreté, conjuguées à d’autres facteurs (tensions ethniques et religieuses, concurrence pour l’accès aux ressources…) et dans un contexte général de grande fragilité des Etats, sont le terreau de l’insécurité. Les ruraux en quête d’un meilleur avenir, fût-il illusoire, partent vers la ville ou tentent d’émigrer ; d’autres se lancent dans des trafics ou s’enrôlent dans des groupes terroristes. Le Sahel est particulièrement touché, or les perspectives en matière de démographie et d’impact potentiel du changement climatique (avec notamment un risque accru de sécheresse) y sont alarmantes. Alors que la population de l’Afrique subsaharienne devrait être multipliée par 2,1 d’ici à 2050, elle le serait par 2,3 au Tchad et 2,4 au Mali, pays déchirés par des conflits armés
(tableau).
Perspectives démographiques dans quelques pays d’Afrique (en millions d’habitants)
|
2017 |
2050 |
Coefficient de multiplication |
Afrique, total
Afrique du Nord 3
Afrique subsaharienne
Mali
Mauritanie
Niger
Nigeria
République centrafricaine
République démocratique du Congo
Tchad
Soudan
Soudan du Sud
|
1 256,3
192,5
1 063,8
18,5
4,4
21,5
190,9
4,7
81,3
14,9
40,5
12,6 |
2 527,6
278,5
2 249,1
44,0
9,0
68,5
264,1
8,9
197,4
33,6
80,4
25,4 |
2,01
1,45
2,11
2,37
2,02
3,19
1,38
1,90
2,43
2,26
1,98
2,02 |
Source : World Population Prospects. The 2017 Revision, United Nations, 2017
L’une des situations les plus inquiétantes est celle du Niger, crédité par l’ONU de l’un des plus faibles indices de développement humain et confronté à une menace terroriste multiforme (al-Qaida au Maghreb islamique, Ansar Dine, Boko Haram). Dans les 33 prochaines années, la population nigérienne pourrait plus que tripler (x 3,2), dépassant 68 millions d’habitants, soit à peu près la population actuelle de la France. Certes, la superficie du Niger est environ deux fois et demie celle de l'Hexagone mais, ainsi que le notait Serge Michailof dans un ouvrage récent
4,
« comme moins de 8 % de sa superficie bénéficient d’une pluviométrie supérieure à 400 mm (rendant possible la pratique de l’agriculture), c’est finalement plus de 85 % de la population qui vit sur les 20 % du territoire les plus au sud. Dans ces régions, la densité de population varie entre 60 et plus de 100 habitants au km², atteignant même 150 dans certains arrondissements. Compte tenu de l’irrégularité des pluies, de la qualité très inégale des sols, des techniques culturales extensives actuelles et de la pénurie de terres irriguées, ce type de densité pose problème ». Et l’auteur de relever que le ratio des terres arables disponibles par actif agricole, au Niger, a été divisé par 2,4 entre 1980 et 2010, évolution observée dans la plupart des autres pays africains. Constat inquiétant, car il n'y aura pas de réduction massive de la pauvreté sans accroissement des revenus agricoles.
Les chiffres de l’ONU plantent ainsi le décor des immenses défis que doit relever l’Afrique, avec l’appui de la communauté internationale. Et de l’urgence de politiques de développement plus efficaces, privilégiant l’amélioration des conditions de vie des ruraux, conjuguées à des stratégies ambitieuses de maîtrise de la natalité, comme l'a reconnu récemment la CEDEAO.