Avec plus de 30 % de croissance en 10 ans, le marché des produits chocolatés, qui a permis l’émergence d’empires industriels de la transformation de cacao et de la fabrication de chocolat, est aujourd’hui en pleine croissance au niveau mondial, notamment grâce à l’explosion de la consommation en Asie.
Pourtant, en 2016 la filière du cacao – ingrédient clé des produits chocolatés – n’est durable ni pour les producteurs ni pour l’environnement dans un contexte où la demande de fèves augmente deux fois plus vite que la production. Une situation qui commence à inquiéter sérieusement les institutions internationales comme les acteurs majeurs du secteur, dont certains testent actuellement différentes stratégies pour préserver leurs profits dans un contexte incertain. Au Royaume-Uni, Mondelez, deuxième fabricant mondial de produits chocolatés derrière Mars, a ainsi réduit récemment le nombre de triangles de ses barres chocolatées Toblerone, au grand dam des consommateurs.
Pour bien comprendre les enjeux actuels du cacao, il est nécessaire de prendre un minimum de recul sur la filière : au cours du XXème siècle, la standardisation et la massification de la production de cacao - autrefois réservé à une élite européenne - ont créé une asymétrie abyssale entre d’un côté, une poignée de groupes transnationaux qui fournissent la majeure partie du chocolat mondial, et de l’autre des millions de petits producteurs qui ne sont pas en capacité de s’informer sur les évolutions du marché, et encore moins de négocier le prix qu’ils reçoivent pour leur cacao. A titre d’exemple, en 2014, les 3 premiers groupes du secteur, Barry Callebaut, Cargill et ADM, réalisaient quasiment 60 % de la transformation mondiale de fèves de cacao ce qui leur assurait en retour un poids considérable dans les négociations liées à l’achat des fèves.
Cette pression sur les prix du cacao maintient la majorité des producteurs et de leurs familles sous le seuil de pauvreté. Afin d’augmenter leurs revenus, ces derniers développent des stratégies court-termistes comme l’usage d’intrants chimiques et la déforestation pour augmenter leurs rendements, ou le travail des enfants pour réduire les coûts de main d’œuvre. S’enclenchent alors des cercles vicieux qui piègent les producteurs dans la précarité et alimentent toujours plus les dégradations sociales et environnementales.
En Côte d’Ivoire par exemple, 1er pays producteur avec presque 40 % des volumes mondiaux, chaque euro de cacao exporté génère a minima 77 centimes de coûts cachés qui pèsent sur les populations locales. Ces coûts « sociétaux » proviennent principalement de la sous-rémunération des producteurs, du manque d’investissements dans les services locaux essentiels (écoles, centres de soins…), de la lutte contre le travail des enfants et la déforestation, etc.[1]
Suite à différentes interpellations, médiatiques ou judiciaires, mais aussi pour mieux gérer leur approvisionnement, les industriels du chocolat ont décidé de répondre aux problèmes de durabilité du cacao en ayant recours à des certifications durables et équitables. Mais à la lecture des différentes études d’impacts conduites ces dernières années sur la filière cacao, notamment en Côte d’Ivoire et au Pérou, force est de constater que ces certifications rencontrent des succès divers.
Hormis une prime marginale à la qualité, les certifications durables ne permettent pas aux producteurs d’améliorer suffisamment leurs revenus. Tous n’arrivent pas à accroître leurs rendements et pour ceux qui y arrivent, la charge supplémentaire de travail est non négligeable. Même s’il est mieux maîtrisé, l’usage d’intrants chimique ne diminue pas. Enfin, les études disponibles ne permettent pas pour l’instant de démontrer un recul du travail des enfants ou de la déforestation en lien avec les certifications durables. Peu de différences donc avec la culture conventionnelle du cacao.
Le commerce équitable peut quant à lui améliorer significativement la durabilité de la filière cacao, voire initier des cercles vertueux. On constate ainsi une réduction des coûts sociétaux de 80 % au Pérou.
Pour cela, un certain nombre de conditions est nécessaire :
- la garantie que les revenus des producteurs couvrent leurs coûts de production et les besoins essentiels de leurs familles ;
- le renforcement des organisations collectives de producteurs ;
- des investissements conséquents dans les services essentiels et les infrastructures locales.
Les exemples de réussite documentés dans le cadre de l’étude que nous avons menée pour la Plate-forme pour le commerce équitable au printemps dernier s’appuient également sur deux points importants :
- l’agroforesterie, qui pérennise la culture de cacao et le couvert forestier tout en préservant la biodiversité ;
- des chaînes de valeur qui valorisent l’origine du cacao et le travail des producteurs, et renforcent le lien entre ces derniers et les consommateurs.
Dès lors que ces conditions ne sont pas réunies, les résultats sont plus limités et se rapprochent fortement de ceux constatés dans le cadre des certifications durables.
La soutenabilité de la production du cacao passe donc par une action collective et concertée qui, en s’inspirant des principes fondateurs du commerce équitable, permettrait d’étendre les conditions détaillées précédemment à l’ensemble de la filière. Un défi de taille, dans un marché de plus en plus tendu, mais qui doit être relevé de toute urgence si nous voulons continuer à déguster du (vrai) chocolat dans les années à venir !