L’assurance basée sur des indices de rendement ou météorologiques permet de protéger les petits exploitants agricoles contre les risques climatiques. Cette innovation contribue à améliorer leurs conditions de vie, la sécurité alimentaire et leur capacité d’adaptation au changement climatique. Sa généralisation doit être une priorité sur l’agenda du développement durable. Elle implique une coopération étroite et à long terme entre tous les acteurs impliqués, qu’ils soient publics ou privés.
Les pays en développement comptent environ 430 millions d’exploitations agricoles de moins de deux hectares. Ces exploitations contribuent à plus de 80 % à la couverture des besoins alimentaires de ces pays.
Or, dans leur immense majorité, elles ne bénéficient d’aucun dispositif de protection contre les risques naturels, qu’il s’agisse d’assurances agricoles privées ou de systèmes publics d’indemnisation des calamités agricoles.
Jusqu’à une date récente, ces agriculteurs étaient en effet considérés comme non assurables : les sommes à couvrir étaient trop faibles et les coûts d’administration, de commercialisation et d’expertise trop élevés. Le développement récent de l’assurance indicielle change la donne. Contrairement à l’assurance traditionnelle, qui fait appel à un expert pour évaluer in situ la perte économique lors d’un sinistre, l’assurance indicielle s’appuie sur des données biométriques (fournies par l’imagerie satellitaire ou par des stations météo de surface) ou sur des données de rendement moyen pour modéliser la perte liée par exemple à une pluviométrie insuffisante et déclencher automatiquement une indemnisation.
En outre, en liant l’assurance à la distribution d’intrants ou à l’octroi d’un prêt de récolte, les coûts de commercialisation peuvent être fortement réduits.
Cette approche doublement innovante met l’assurance agricole à la portée des petites exploitations dans les pays en développement.
Elle permet d’assurer des montants minimes pour de très petites exploitations et d’indemniser rapidement les bénéficiaires. Protégé contre le risque de perte de sa récolte, voire de ruine de son outil de travail, l’agriculteur est incité à investir davantage. Il obtiendra plus facilement un prêt de récolte auprès d’une banque ou d’une institution de microfinance. Lorsque l’assurance est liée au crédit, le capital emprunté est remboursé directement à l’institution financière en cas de sinistre. Ainsi l’emprunteur reste solvable pour la campagne suivante et le risque de défaut de l’agriculteur diminue sensiblement.
En transférant au marché une partie des risques auxquels les petits producteurs sont naturellement exposés, l’assurance indicielle permet de déverrouiller leur capacité d’investissement et constitue un puissant facteur de développement et de modernisation des exploitations familiales.
Les études d’impact menées dans plusieurs pays (Chine, Inde, Ghana, Malawi, Éthiopie, Kenya) ont montré les effets positifs de l’assurance agricole pour les agriculteurs : augmentation des surfaces cultivées, de la demande de crédit, de l’investissement et des revenus.
L’augmentation des rendements nécessaire pour nourrir une population en croissance rapide, notamment en Afrique subsaharienne, passe par la diffusion de produits d’assurance récolte adaptés à la grande majorité des exploitations de moins de deux hectares.
La diffusion de ce nouveau type de produits rencontre toutefois quelques obstacles. Le risque de base – l’écart éventuel entre le dommage estimé par l’indice et la perte réelle subie par l’agriculteur – constitue le principal défi posé par l’assurance indicielle. Cet écart peut être lié à une erreur de calibration de l’indice, à une qualité insuffisante des données ou à la topographie. L’installation de stations météorologiques autonomes à bas coût et la mise au point d’index plus performants permettront d’améliorer la qualité, la régularité et la granularité[1] des données collectées, et de réduire le risque de base.
Les autres obstacles à une diffusion beaucoup plus large de l’assurance indicielle agricole sont d’ordre financier et culturel
En effet malgré des coûts d’administration et de distribution faibles, le montant des primes d’assurance peut constituer une barrière, d’autant plus élevée que le concept même d’assurance est souvent inconnu des petits agriculteurs, ou leur inspire une grande méfiance.
Pour être identifiés et surmontés, ces obstacles requièrent une collaboration étroite entre tous les acteurs publics et privés impliqués dans la chaîne de valeur de l’assurance indicielle agricole.
En effet, l’élaboration de produits adaptés et leur diffusion auprès de petites exploitations dispersées sur un vaste territoire nécessitent l’intervention non seulement des compagnies d’assurance et de réassurance, mais aussi celle d’une chaîne complexe d’acteurs en amont et en aval : opérateurs techniques spécialisés pour concevoir les produits, entreprises de technologie et de « big data » pour alimenter les indices, entreprises agro-industrielles, institutions de microfinance et banques pour acheminer le produit d’assurance jusqu’au petit producteur en le liant à la vente d’intrants ou à l’octroi d’un crédit.
Elle requiert aussi un dialogue étroit avec les régulateurs pour lever d’éventuels obstacles réglementaires, ainsi qu’une collaboration avec les gouvernements et les institutions financières internationales pour mettre au point les mécanismes d’incitation nécessaires. Le soutien public peut porter sur le subventionnement des primes d’assurance, mais aussi sur l’investissement dans les biens publics nécessaires au développement de l’assurance indicielle (infrastructures météorologiques, données, recherche et développement), voire sur des capacités additionnelles de réassurance ou de titrisation au niveau mondial.
Nous plaidons pour que l’extension de l’assurance contre les risques climatiques à la grande majorité des petites exploitations agricoles dans les pays en développement soit reconnue comme une priorité sur l’agenda du développement durable et sur celui de l’adaptation au changement climatique.
Nous appelons à la constitution d’une Alliance mondiale réunissant tous les partenaires publics et privés qui partagent cette vision et sont prêts à en favoriser la mise en œuvre concrète dans le cadre d’une coopération ouverte multi-acteurs.
Grâce à l’innovation technologique et à une coopération étroite et de long terme entre les acteurs publics et privés, c’est un marché de 430 millions d’exploitations agricoles qui s’ouvre au secteur de l’assurance, c’est aussi et surtout la perspective de contribuer de façon décisive à la réponse aux grands défis de sécurité alimentaire que soulèvent l’évolution démographique et le changement climatique.
Pour plus d’information sur l’assurance agricole, voir l’article publié dans la revue de Proparco, Secteur Privé & Développement, no25, « L’assurance en Afrique : un futur à construire »