Dans les filières agricoles libéralisées, les producteurs, commerçants, exportateurs et transformateurs sont confrontés à une importante volatilité des prix, générant des risques dans leur activité. S’il existe une abondante littérature sur les outils de gestion de ces risques, peu de solutions sont actuellement proposées aux opérateurs des chaînes de valeur en Afrique de l’Ouest.
C’est pour répondre à ce besoin que RONGEAD a créé en 2010 un service d’information et de conseil nommé Nkalo[1]. Ce service, basé sur des outils de l’intelligence économique et organisé en partenariat avec l’entreprise ODA, décrypte les marchés agricoles mondiaux et fournit pour les opérateurs économiques ouest-africains une information adaptée à leurs besoins : pour les producteurs, des SMS simples et clairs permettant de prendre des décisions sur la commercialisation de leurs produits ; pour les commerçants et transformateurs, des bulletins de marché permettant d’affiner leurs stratégies commerciales.
A terme, 10 000 producteurs et productrices recevront des informations sur les marchés des céréales par SMS.
Ce service est fonctionnel pour des filières particulièrement dynamiques en Afrique de l’Ouest : la noix de cajou, le sésame et le karité (en 2013, ces trois filières représentaient plus de 700 millions d’euros et constituaient une source de revenu pour plus de 800 000 familles). Le service Nkalo est disponible actuellement dans quatre pays : Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali et Sénégal. Le service, loin d’avoir révélé tout son potentiel, doit s’améliorer en continu, en particulier sur l’accessibilité des informations, l’efficacité des systèmes de diffusion et l’ergonomie des services proposés. Nkalo est actuellement financé par ses utilisateurs (abonnés aux bulletins et SMS) et par la vente d’expertise sur-mesure.
Sur la base de cette expérience, il est apparu opportun de la démultiplier sur le secteur des céréales. L’équipe s’est lancée en juillet 2016 sur ce nouveau défi : appuyer les opérateurs économiques des filières céréalières d’Afrique de l’Ouest en développant une information sur ces marchés. Ce défi vise une amélioration des stratégies de commercialisation et de stockage pour quatre céréales (riz, maïs, mil et sorgho) par le secteur privé en Afrique de l’Ouest, grâce à une meilleure gestion des risques commerciaux. Pour ce faire, l’équipe est associée au Réseau Ouest-Africain des Céréaliers (ROAC), et cible les Comités Interprofessionnels Céréaliers de 8 pays membres de la CEDEAO (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin et Niger). Le projet a également pour objet de transférer des outils basés sur l’intelligence économique à des analystes nationaux membres du ROAC, afin d’ancrer l’expertise dans les pays.
Les céréales, une production hautement stratégique
La production céréalière en Afrique de l’Ouest connait une forte croissance - elle a triplé entre 1982 et 2007 - et s’élevait en 2014 à 57,6 millions de tonnes. Cette production couvre 80 % des besoins locaux et deux tiers des céréales locales sont consommés en milieu rural. Le marché africain est globalement libéralisé : les taux de protection à l’importation sont faibles voire inexistants, les interventions publiques sur les stocks représentent moins de 10 % du marché global. Les opérateurs privés sont donc soumis à d’importants risques commerciaux endogènes, tandis que les risques exogènes (achats et ventes publics, distributions alimentaires des institutions « urgentistes », impact des marchés internationaux) sont nombreux et parfois peu transparents ou prévisibles. Il est donc essentiel de développer des outils par et pour les professionnels de ces marchés.
Dans ce contexte, le projet vise à construire une offre d'information et de conseil adaptés aux besoins du secteur céréalier, de développer un réseau d’organismes de stockeurs privés, fédérés par le ROAC et de renforcer l’expertise technique et l’implication des opérateurs dans la gouvernance et la régulation du secteur en Afrique de l’Ouest. Par la production d’informations qualitatives, indépendantes et robustes, le projet vise également à construire des plaidoyers solides pour le développement des filières locales.
Concrètement, le projet produira des bulletins mensuels sur les marchés des céréales, incluant une analyse prospective et des conseils sur les stratégies de commercialisation, se distinguant ainsi des suivis purement statistiques ou descriptifs répondant à d’autres objectifs. Il visera également la diffusion d’informations à destination de plus de 10 000 producteurs via SMS
[2]. Le premier bulletin « Les Céréaliers », publié le 31 août en anglais et en français, a été diffusé à plus de 800 professionnels et institutionnels du secteur. L’information a été relayée dans plusieurs réseaux d’informations et les premiers retours sont positifs. La demande d’informations fiables sur ces marchés est forte. Suite aux crises alimentaires de 2008, les ministres de l’Agriculture des pays du G20 avaient suscité la création d’un observatoire mondial des marchés alimentaires stratégiques (blé, riz, maïs, soja), créé en 2011 sous l’égide de la FAO
[3]. Nous espérons, avec modestie, que « Les Céréaliers » contribuera à une meilleure analyse stratégique du secteur en Afrique de l’Ouest.