Ils sont jeunes, audacieux, ils se lancent… Ces entrepreneurs représentent cette nouvelle génération, pleine de ressources et d’idées qui pourrait bousculer positivement l’environnement entrepreneurial africain. Très médiatisés, invités de nombreux colloques, ne sont-ils pas pourtant qu’une petite minorité qui cache toujours le sous-emploi chronique des jeunes en Afrique ? Et si la boisson la plus consommée au monde devenait africaine ? Tel est le slogan (et sans doute l'ambition) des fondateurs de Bana-Bana
[1], entreprise de production et distribution de jus de fruits fabriqués au Sénégal. Il faut aller dans le 18
ème arrondissement de Paris pour rencontrer Youssouf et Mamadou Fofana, 55 ans à eux deux. Ces derniers viennent d’ouvrir leur boutique,
Les oiseaux migrateurs, qui rassemble leurs premiers projets : Bana-Bana (distribution de Bissap dans un premier temps) et Maison Château rouge (ligne de vêtements en wax). Car c’est bien un projet global dans lequel ils se lancent, un projet visant à faire connaître les possibilités du continent africain en les « marketant » correctement. Pour Bana-Bana, le bissap est entièrement fabriqué et embouteillé au Sénégal, en partenariat avec Esteval, dans une usine qui emploie une dizaine de personnes, l’approvisionnement en hibiscus se faisant auprès de 800 femmes de la région de Thiès et Kaolack. Bana-Bana connaît un franc succès notamment par la vente à travers des évènements parisiens, ce qui amène les créateurs à se poser la question de l'augmentation de leur capacité de production.
Etiquetage du jus de bissap au Sénégal (Crédit photo : Bana-Bana)
Isolée, cette initiative ? Non. Il n’y a qu’à parcourir la presse.
Avec la population la plus jeune du monde, le réservoir d’entrepreneurs en puissance est particulièrement important sur le continent africain. Dans un rapport récent de l’OCDE[2], la population africaine est estimée à 1,2 milliard en 2016, avec une prévision à 1,7 en 2030 et 2,5 en 2050, soit un quart de la population mondiale. La jeunesse africaine représente plus de 60 % de cette population et les 15-24 ans sont déjà plus de 200 millions aujourd’hui. Dans vingt ans, ils seront 350 millions. D’après la dernière enquête Ipsos Africap axée particulièrement sur la jeunesse en Afrique, les 15-24 ans aspirent à « s’instruire, travailler, consommer, se divertir, bénéficier de l’électricité et d’internet à volonté », comme le mentionne Florence de Bigault dans une interview donnée au Point Afrique. Mais l’enquête (menée auprès de 1 816 répondants) a montré aussi que cette jeunesse n’attend rien des gouvernements et préfère dessiner son avenir par elle-même à travers l’entrepreneuriat et l’innovation. Le 13 juin dernier, lors de la 5ème conférence de l’African Business Lawyers' Club, à Paris, Ndidi Okonkwo Nwuneli, fondatrice d’AACE Foods, au Nigéria, insistait sur le fait que l’Etat devait laisser les entreprises se monter, sans proposer des appuis ponctuels qui sont sources de distorsion et sont in fine dangereux lorsqu’ils disparaissent. CQFD.
Alors la recette serait de laisser les jeunes se lancer dans l’entrepreneuriat… Mais est-ce aussi simple que cela ? Pas tout à fait, car le financement est aussi le nerf de la guerre. Des solutions existent, comme en témoigne Aïssata Diakité, fondatrice à tout juste 27 ans de ZABBAN Holding.
Aïssata Diakité fait partie de cette jeunesse audacieuse. Née au Mali, elle part faire des études supérieures en France en agrobusiness et là, le déclic se produit : l’envie d’entreprendre pousse cette jeune femme sur le chemin de la création. Son entreprise de conseils, de production et de commercialisation de jus de fruit nutritionnel au Mali sera lancée en juillet 2016. Son credo est d’oser, de s’entourer de conseillers - notamment de Gyin (cf. plus bas) et d’Entrepreneurs en Afrique de Campus France, qui apportent conseils, études en recherche et développement, appui technique, étude de faisabilité et un prêt d’honneur - et surtout de partager son expérience. Pour les financements, il aura fallu frapper à plusieurs portes : un fonds de développement de la Banque mondiale et un fonds de garantie de l’African Guarantee Fund. De plus, la mobilisation des fonds propres aura permis d'obtenir des crédits, en complément d'un prêt d’honneur.
Coaching et formation sont les deux autres nerfs de la guerre. On voit fleurir des incubateurs, des labs, des startup weekend ou des startups bus où au cours d’un périple en bus, ponctué de rencontres avec des entrepreneurs inspirants, les créateurs en herbe affinent leurs projets en groupe. Ces lieux d’innovations et de partages existent aussi en virtuel, notamment avec le Global Youth Innovation Network (Gyin[3]), un réseau international de jeunes aux services des jeunes adossé à l’université de Columbia, aux Etats-Unis, et à des organisations internationales comme le CTA ou le FIDA (Fonds international de développement agricole). Gyin intervient également dans la négociation de prêts pour les jeunes au moment de la création d’entreprises, ce qui permet d’obtenir des taux plus attractifs. De même, l’International Trade Center, à Genève a lancé, fin 2015, un cours en ligne (en anglais) destiné aux jeunes souhaitant se lancer dans le montage d’une PME. Enfin, la Tony Elumelu Foundation, qui propose aussi un programme d’entrepreneuriat sur 12 mois[4] et a l’ambition de créer 10 000 startups en 10 ans, initie régulièrement des « Agribusiness Twitter chat ». Il s’agit d’un lieu de discussion, durant une petite heure, avec un spécialiste de l’agrobusiness. Le dernier en date (Agripreneuship in Africa) s’est déroulé le 18 juin avec Calestous Juma, professeur spécialiste en développement international à Harvard.
2 jeunes actifs sur 3 ne sont pas formés efficacement
Cette effervescence d’initiatives ne doit pas toutefois cacher qu’en 2014, près de 37 % des 199 millions de chômeurs dans le monde étaient des jeunes, selon l’OIT[5]. En Afrique subsaharienne, les taux de chômage restent relativement faibles car la grande majorité des jeunes ne peut pas se permettre de ne pas travailler, mais ces jeunes se retrouvent en situation de sous-emploi et n’ont pas de travail décent. Et la situation peine à changer en raison de la piètre formation des jeunes Africains : deux-tiers d'entre eux ne possèdent pas le niveau d’instruction nécessaire pour travailler de manière productive. Encore moins pour entreprendre !
On espère voir émerger beaucoup de Ndidi, d’Aïssata ou de Mamadou et Youssouf, des entrepreneurs qui pourront aussi être vecteurs d’emplois et à l’initiative de filières de production rentables et durables. Des entrepreneurs inspirants pour leur génération, mais pas seulement.
[1] En wolof, Bana-Bana veut dire « pour moi, pour moi », nom donné aux marchands ambulants des rues au Sénégal.
[2] Perspectives économiques en Afrique 2016, http://dx.doi.org/10.1787/aeo-2016-fr
[3] http://www.gyin.org/
[4] http://tonyelumelufoundation.org/teep/
[5] Tendances mondiales de l’emploi des jeunes 2015