Alors que viennent de s’achever les cycles du suivi des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et du Sommet mondial de l’alimentation (SMA), et que commence le cycle du suivi des Objectifs de développement durable (ODD), l’heure est au bilan.
Le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad sont six pays francophones du Sahel qui partagent le même environnement fragile, la même diversité ethnique, le même climat semi-aride, la même économie de subsistance basée sur le pastoralisme et la culture intensive du sorgho et du millet. Six pays dont l’enclavement rend difficiles les échanges commerciaux. Six pays où l’accès à la nourriture est compliqué par un réseau routier faible ou inexistant et où une partie des territoires est en proie aux rebelles. Comment ces six pays, partageant les mêmes handicaps, ont-ils progressé par rapport aux objectifs mondiaux de réduction de la faim et de l’insécurité alimentaire ?
Le premier objectif-cible des OMD visait à réduire de moitié d’ici à 2015 la proportion de personnes souffrant de la faim, alors que l’objectif du Sommet mondial de l’alimentation, plus ambitieux, visait à réduire de moitié le nombre de personnes sous-alimentées. Si, globalement, les six pays du Sahel ont atteint l’objectif des OMD en réduisant le pourcentage de personnes sous- alimentées de 29 % à 15 % entre 1990 et 2015, l’objectif du SMA n’a pas été atteint puisque le nombre de personnes concernées a augmenté depuis 1990 (figure 1).
Figure 1. Tendance de la sous-alimentation dans six pays francophones du Sahel : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad
(*) Données préliminaires. Source : FAO
Ces tendances globales masquent toutefois de grandes différences par pays. Le Mali a déjà atteint les deux objectifs. Le Sénégal, le Niger et la Mauritanie ont tous les trois réduit de moitié le pourcentage de personnes sous-alimentées et ont contenu l’augmentation de leur effectif. En revanche, les progrès ont été très timides au Tchad et au Burkina Faso, en raison de la croissance démographique qui a été plus forte que la baisse du nombre de personnes sous-alimentées. Une personne sur cinq au Burkina Faso, une sur trois au Tchad souffrent encore de la faim.
Des progrès en matière de réduction de la sous-alimentation, donc, mais des progrès très mitigés et inégaux qui n’ont pas toujours été accompagnés d’une réduction de l’insécurité alimentaire dans toutes ses dimensions. La sécurité alimentaire se définit comme la condition selon laquelle toute personne, en tout temps, a accès à de la nourriture en quantité et qualité suffisantes pour mener une vie saine et active. Ce concept va au-delà de la disponibilité alimentaire et du bon fonctionnement des capacités domestiques à assurer de la nourriture pour tous. Il englobe aussi l’accès à la nourriture, l’assurance d’une utilisation saine des aliments par le biais d’infrastructures sanitaires opérantes et la consommation effective des aliments disponibles. Il implique également que les conditions de disponibilités, d’accès et d’utilisation soient stables dans le temps.
Les disponibilités énergétiques alimentaires font ressortir de grandes disparités entre les pays, de 2 900 kcal/personne/jour en Mauritanie à 2 200 kcal/personne/jour au Tchad. Dans les pays francophones du Sahel, à l’exception du Sénégal et de la Mauritanie, le secteur agricole génère plus de 30 % de la valeur ajoutée et moins de 10 % de l’offre de céréales domestiques provient des importations, de sorte que la lutte contre la faim passe inévitablement par l’augmentation de la production agricole domestique. Si les rendements céréaliers ont effectivement progressé depuis 1990, ils n’ont pas suffi à couvrir le déficit en calories. Plus le nombre de personnes sous-alimentées est élevé, plus l’effort à faire pour éradiquer la faim est important. Ainsi, pour combler le déficit en énergie au Tchad et au Burkina Faso, il aurait fallu en 2015 une hausse de la production de céréales de 4,8 % et 1,4 %, respectivement, soit approximativement 128 000 et 64 400 tonnes de céréales supplémentaires, alors que seulement 751 tonnes de céréales supplémentaires auraient suffi en Mauritanie.
Si les divergences entre ces pays sont manifestes en termes de disponibilités et d’efforts à faire pour couvrir le déficit en calories, sur les autres dimensions de la sécurité alimentaire, il semble y avoir convergence. Dans tous ces pays, malgré la réduction de la pauvreté et de la faim au niveau national, l’accès à la nourriture est difficile dans les zones rurales, où plus de la moitié de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté.
Un cinquième des enfants en insuffisance pondérale
Le pourcentage des enfants de moins de cinq ans en insuffisance pondérale est supérieur à 20 % dans tous les pays étudiés ici, à l’exception du Sénégal, où la prévalence est inférieure à 15 %. D’énormes progrès restent encore à faire, car le pourcentage de la population ayant accès à l’eau potable et à des infrastructures sanitaires est bien inférieur à la moyenne observée dans les pays en développement. Les efforts les plus importants doivent être entrepris au Niger et au Tchad, où moins de 12 % de la population ont accès à des infrastructures sanitaires contre 56 %, en moyenne, dans les pays en développement. Le manque d’accès à l’eau potable et aux infrastructures sanitaires affecte durement l’hygiène et les qualités nutritives des aliments consommés.
Le régime alimentaire en lui-même est peu varié. A l’exception de la Mauritanie, grand consommateur de farine de blé (28 % de l’apport énergétique total), le mil, le maïs, le sorgho et le riz contribuent à eux seuls à près de 50 % des apports énergétiques, ce qui engendre de fortes carences nutritionnelles. Ainsi le pourcentage des enfants de moins de cinq ans souffrant de carence en fer, vitamine B12, folates et vitamine A est supérieur à 80 % au Mali et Burkina Faso et supérieur à 70 % dans les quatre autres pays.
Malgré des progrès inégaux, consolidés au Mali, Mauritanie, Sénégal et Niger et plus timides au Tchad et au Burkina Faso, la lutte contre la faim et l’insécurité alimentaire en général est devenue une priorité nationale. Ces six pays affichent tous une volonté politique réelle de mettre en place des programmes de réduction de l’insécurité alimentaire, avec des systèmes de suivi de ces politiques et de la réalisation des objectifs internationaux. Toutefois l’insécurité prévalant dans certaines zones, en proie aux rebelles et aux aléas climatiques, rend ces politiques difficiles à mettre en place.
Les Objectifs de développement durable adoptés en septembre 2015, en particulier l’objectif 2 qui vise à éradiquer la faim, assurer la sécurité alimentaire et améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable d’ici à 2030, représentent un nouveau défi pour ces pays. Un défi de taille mais qui n’est pas impossible à relever, si le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad renforcent les politiques de sécurité alimentaire existantes, rétablissent la sécurité dans les zones à risques et, surtout, font en sorte que le développement économique soit plus participatif et inclusif, c’est-à-dire qu’il ne laisse pas de côté les personnes les plus vulnérables.