Créée en 1973, la Park Slope Food Coop propose un mode de consommation « normal » dans un supermarché qui ne l’est pas : avant d’acheter quoi que ce soit, il faut adhérer à la coopérative et y travailler en qualité de bénévole. Ce modèle pourrait-il se développer sur le continent africain ?
A la sortie du métro 7
ème Street à Park Slope à Brooklyn, un des cinq arrondissements de New York City (NYC), remonter le long de la 7
ème avenue (en croisant les rues transversales abritant de magnifiques
brownstone houses, les fameuses maisons en grès typiques de ce quartier), puis à Union Street prendre à gauche et, là, vous tombez sur la Park Slope Food Coop (PSFC). Avant d’y arriver vous pourrez croiser une personne poussant un caddie avec un accompagnateur muni d’un gilet jaune indiquant le nom de PSFC. Une première originalité, les consommateurs sortent dans la rue avec leur caddie. Au niveau du magasin, nouvelle surprise, vous ne pourrez pas entrer… car il faut être adhérent de la coopérative pour pouvoir remplir son chariot, mais pas seulement. En plus il vous faudra aussi travailler pour la coopérative.
On peut toutefois bénéficier d’une visite guidée et commentée d’un membre de la coopérative venu effectuer ses 2h45 de travail bénévole toutes les quatre semaines. Seule une poignée de salariés figure parmi le staff, les autres personnels du magasin sont les membres.
L’entrée du supermarché Park Slope Food Coop à Brooklyn en avril 2016
Crédit photo : Marie-José Neveu Tafforeau
Alors la visite commence, d’abord par les légumes d’une extrême fraîcheur, salades, carottes, poireaux et toutes sortes de légumes verts mis sous un système de brumisation, puis les produits laitiers, les fromages, les boissons, etc. Beaucoup de produits locaux mais on trouve aussi des produits venus de bien plus loin comme la confiture « Bonne Maman », qualifiée d’excellente par notre accompagnatrice. En somme, c’est un supermarché. Oui, mais en y regardant de plus près, on aperçoit des petits conditionnements très simples et sans marque d’épices ou de fruits séchés. On apprend que la coopérative dispose d’une salle où certains produits achetés en gros sont répartis ensuite en petits sachets. Les prix affichés sont moins élevés qu’ailleurs (même par rapport au supermarché Trader Joe’s à NYC qui propose des produits de qualité et moins chers). Il faut préciser qu’à NYC, acheter des produits frais est onéreux (par exemple, chez Fairway, une salade 3,99 $, un kilo de tomates 3,98 $). Acheter des produits finis peut être plus accessible (un hamburger 3,99 $ chez Mac Do, une salade complète grande taille dans un restaurant ouvert 24h/24, 6 $).
La PSFC privilégie les produits bio mais pas uniquement, des produits de fermes en conversion, des produits réputés et surtout du local. Les producteurs livrent directement au magasin, les autres produits étant achetés à distance et parfois reconditionnés afin de proposer des petites quantités à des prix compétitifs. Tout le personnel membre met en magasin, nettoie, réceptionne, encaisse, range, et même accompagne les clients/membres jusqu’au métro et récupère le caddie.
Notre accompagnatrice raconte que la coopérative, créée en 1973, compte maintenant 16 000 membres. Ce nombre est monté à 25 000 au pire moment de la crise post-2008, l’adhésion avait alors été fermée. Car la PSFC n’attire pas uniquement des New-Yorkais conscients-de-la-nécessité-de-bien-manger-sainement-tout-en-étant-responsable-vis-à-vis-de-la-planète, mais aussi des personnes ayant des revenus modestes souhaitant bien manger et consommer autrement. Car c’est bien le challenge de la coopérative, la prise de conscience de bien s’alimenter. Aujourd'hui, il est à nouveau possible de devenir membre. S’engager ensuite sur un créneau horaire mensuel demande une discipline mais la PSFC a tout prévu en cas d’empêchement majeur, le membre peut se faire remplacer par un autre coopérateur. Certains membres s’occupent aussi du journal de la PSFC et même de la crèche disponible pour les enfants des parents faisant leurs courses. Il y a suffisamment de personnel bénévole pour toutes ces tâches.
Un supermarché non lucratif
La PSFC ne fait pas de bénéfice, elle applique une marge commerciale de 20 % afin d’assurer ses coûts de fonctionnement uniquement. C’est un nouveau système de consommation, qualifié d’avenir par notre accompagnatrice. Car ce supermarché coopératif est exclusivement réservé à ceux qui s’impliquent, prennent part à toutes les décisions stratégiques, aux choix des produits comme à l’organisation des plannings, etc. Aux Etats-Unis ce modèle est unique. Il sera bientôt transposé à Paris, dans le 18ème arrondissement. La Louve devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2016.
On peut se demander si ce type de supermarché pourrait intéresser le continent africain qui voit aujourd’hui arriver la grande distribution « classique » dans de nombreuses villes. Cela impliquerait des producteurs locaux ou des organisations de producteurs suffisamment structurés et axés sur la fourniture de produits de qualité pouvant assurer un approvisionnement régulier (produits conventionnels, bio, répondant aux normes du commerce équitable, …). Y a-t-il déjà assez de filières ou de producteurs bien organisés ? Cela demanderait également une volonté de s’impliquer en tant que consommateur dans le fonctionnement d’un supermarché, tant dans les décisions opérationnelles que dans un temps de travail donné en tant que bénévole. Il s’agirait, comme à New York, de disposer de personnes motivées, conscientes des enjeux et souhaitant construire ensemble un lieu de consommation. Ce modèle ne favorise pas l’emploi au niveau du magasin mais il interroge résolument sur une autre façon de consommer, ayant une vertu éducative quant à la qualité des produits que l’on souhaite manger. En revanche, des emplois peuvent se créer autour des filières d’approvisionnement. De même, les produits frais et transformés locaux sont préférés et trouvent là une source de commercialisation sans intermédiaire. Ce mode de consommation permet de conserver des habitudes de consommation locale et de faire découvrir des produits de terroir, tout en poussant à l’amélioration de leur qualité. Ce modèle peut certainement trouver sa place dans de nombreux pays, notamment dans les villes de grande taille et plus éloignées des lieux de production, à l’heure où les consciences s’éveillent de plus en plus quant à l’environnement et l’économie sociale et solidaire.