Les marchés des semences en Afrique de l’Ouest et du Centre ne demandent qu’à s’organiser. En effet, la demande des agriculteurs est forte en variétés performantes et de bonne qualité, car ils ont compris qu’augmenter les rendements implique de pouvoir disposer de semences sélectionnées. L’organisation des marchés semenciers passe par plusieurs étapes.
La première étape est de mettre en place un système officiel d’essais où seules les meilleures variétés, quelle que soit leur origine (variétés importées, variétés issues de la recherche publique ou des programmes de sélection participatives), sont inscrites sur un catalogue. Des critères agronomiques et qualitatifs doivent être retenus pour juger des performances par rapport à des témoins représentant les variétés déjà existantes sur le marché. Seules les meilleures variétés, dont les résultats sont supérieurs à ceux des témoins, sont inscrites sur un catalogue après deux ans d’essais. Afin d’éviter la multiplication des essais, une inscription au catalogue réalisée dans l’un des pays d’une même zone économique, par exemple la CEDEAO[1], devrait être valable dans les autres pays de la zone.
La deuxième étape est d’assurer la promotion de ces variétés via des essais de démonstration auprès des agriculteurs, à l’occasion de visites des essais en plein champ. Les services techniques de vulgarisation agricole appuyés par les techniciens des sociétés de semences constituent un moyen efficace pour diffuser les bonnes variétés.
La troisième étape est d’assurer aux agriculteurs l’accès à des semences certifiées, garantissant l’origine de la variété et le respect de normes de pureté et de germination.
La quatrième étape est de monter une industrie semencière capable de répondre aux besoins d’un pays ou d’une zone économique, ce qui nécessite l’organisation de réseaux de producteurs de semences respectant un cahier des charges bien précis. Ces producteurs sont adossés à une ou plusieurs usines capables de trier, calibrer, ensacher des centaines ou des milliers de tonnes de semences. Les productions locales sont à privilégier, pour réduire les coûts de logistique et de transport et offrir aux agriculteurs des semences à un prix abordable.
Enfin, la cinquième étape est la diffusion des semences produites, de manière à ce que les agriculteurs, y compris dans les régions les plus reculées, aient accès aux variétés de leur choix.
Autant l’inscription et la certification des semences peuvent être assurées par les Etats (souvent les ministères de l’Agriculture), autant les étapes 2 à 5 devraient être du ressort d’entreprises privées ou de coopératives semencières qui font preuve de plus de réactivité et d’adaptation aux demandes du marché. In fine, le secteur semencier doit être capable de gagner de l’argent pour réinvestir dans la sélection variétale, l’équipement de nouvelles usines ou la promotion et la diffusion des nouvelles variétés.
Cela étant, le coût d’accès à des semences certifiées provenant de variétés améliorées, donc plus chères, est souvent un obstacle pour des agriculteurs qui n’ont pas beaucoup de moyens financiers. On se trouve alors dans un cercle vicieux où les semences utilisées sont des semences de ferme issues de la récolte précédente ou des semences bon marché, parfois contrefaites ou qui ne respectent pas des normes de germination et de pureté acceptables. Les rendements obtenus sont médiocres, ce qui ne permet pas aux producteurs de dégager une marge suffisante pour acheter des semences pour la récolte suivante.
Il faut donc briser ce cercle. A titre d’exemple, les gouvernements de plusieurs pays de la SADC[2], en Afrique australe, ont mis en place des programmes de subvention grâce auxquels les agriculteurs peuvent obtenir gratuitement, pour une partie de leur exploitation, des semences certifiées pour des variétés de leur choix, ainsi que d’autres intrants (le plus souvent des engrais). Ces subventions sont dégressives dans le temps, mais elles permettent d’encourager et accompagner, pendant les premières étapes, l’utilisation de semences certifiées. Les ministères de l’Agriculture et des Finances achètent directement auprès des sociétés de semences les quantités nécessaires pour la campagne. Les résultats sont probants : dans les pays de la SADC, le taux d’utilisation des semences certifiées est élevé et les rendements des cultures sont souvent supérieurs à ceux obtenus dans le reste de l’Afrique. On initie ainsi un cercle vertueux. Cependant, ces aides sont coûteuses et dépendent de la santé financière des Etats.
Il existe une autre voie, qui passe par le développement de filières intégrées à travers des agro-industriels ou des coopératives. Les semences sont alors fournies, au moment des semis, aux agriculteurs qui s’engagent à vendre leur récolte à leur partenaire dans la filière. Le prix de semences est défalqué au moment de la livraison de la récolte. Ce système, largement pratiqué en Europe de l’Est, évite aux producteurs d’emprunter avant la campagne pour financer leurs intrants.
[1] Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, qui regroupe quinze pays.
[2] Southern African Development Community (Communauté de développement d’Afrique australe), qui regroupe quinze Etats membres.