Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a annoncé, le 13 janvier, un fort accroissement du budget dédié à l’assurance récolte. En 2018/19, le gouvernement central et les Etats fédérés devraient consacrer à ce dispositif l’équivalent de quelque 1,14 milliard de dollars U.S., soit plus du double de l’enveloppe actuelle. Les primes d’assurance payées par les producteurs de grains seront fixées à un faible niveau (2 % pour les cultures de printemps, 1,5 % pour les cultures d’hiver), identique pour tous les producteurs et très inférieur au taux actuariel permettant de couvrir les indemnités, ce qui correspond à une subvention d’environ 80%. En outre, les indemnités versées en cas de sinistre devraient augmenter, car le capital assuré par les agriculteurs sera déplafonné. L’objectif officiel est que l’assurance récolte couvre, à terme, 50 % de la surface cultivée, contre 23 % actuellement.
Il faut bien sûr saluer l’implication accrue des autorités indiennes dans la protection des agriculteurs contre les aléas climatiques. Les énormes pertes de récolte subies ces dernières années à cause de la sécheresse, de la pluie ou de la grêle, et leurs répercussions dramatiques pour des millions de petits agriculteurs, criblés de dettes, ont montré les limites du dispositif d’aide existant. Celui-ci repose sur deux piliers : un fonds de garantie contre les calamités naturelles, financé par les pouvoirs publics, et un système d’assurance récolte, cofinancé par les agriculteurs et les pouvoirs publics. Les aides versées par le fonds de garantie sont limitées (même si leur budget global est substantiel) : elles visent seulement à permettre aux agriculteurs d’acheter des intrants pour la prochaine récolte. L’assurance est censée fournir la majeure partie des compensations des pertes de récolte.
Un rapport récent d’une ONG indienne, le Center for Science and Environment (CSE)[1], révèle les failles du dispositif. Elles sont béantes. Le fonds de garantie contre les calamités naturelles repose sur des procédures d’évaluation des pertes très rudimentaires. Ses critères d’indemnisation varient selon les Etats, sans autre justification que les priorités des administrations locales. Surtout, le fonds est miné par la corruption et manipulé par les politiciens pour se constituer une clientèle. Quant à l’assurance récolte, la lecture de l’analyse du CSE est hautement recommandée pour tous ceux qui s’intéressent à la construction dans les pays en développement, notamment en Afrique, de systèmes efficaces de gestion des risques, incitant les agriculteurs à investir sur leur exploitation. Manque de transparence dans l’évaluation des pertes – là encore, objet de corruption -, « risque de base » dû au fait que les pertes sont estimées à un niveau très agrégé (celui d’une unité administrative), lenteur de l’indemnisation… autant de facteurs qui expliquent le mécontentement des agriculteurs à l’égard du système. Les mesures annoncées par Narendra Modi le 13 janvier répondent partiellement à ces critiques, car elles promettent de recourir aux images satellitaires pour l’évaluation des pertes et au téléphone mobile pour le paiement des indemnités. Encore faut-il disposer pour cela de l’infrastructure technique et financière adéquate, ce dont doutent certains observateurs[2].
Un point du rapport du CSE retient particulièrement l’attention. L’assurance récolte est obligatoire pour les agriculteurs qui contractent un prêt dans le cadre du programme Kisan Credit Card, principal outil de crédit à court terme. De fait, la quasi-totalité des agriculteurs assurés sont engagés dans ce programme. La prime d’assurance est collectée par la banque, qui la transmet (si elle « n’oublie pas ») à la compagnie d’assurance. Ce dispositif permet de réduire les coûts de gestion, mais le producteur ignore très souvent quel est le montant de la prime, à quelle culture elle s’applique et surtout à combien d’indemnités il peut prétendre en cas de sinistre. Cette opacité se double du fait que l’agriculteur ne peut guère choisir son assureur, celui étant généralement en position de monopole. Il est ainsi complètement déresponsabilisé dans sa gestion des risques. Cela n’a peut-être pas d’importance pour les petits paysans qui vivent sur moins de un hectare (et qui constituent deux tiers du nombre de ménages agricoles en Inde), dans la mesure où la plupart d’entre eux produisent essentiellement pour leur propre consommation et ont peu de marges de manœuvre. Mais cette situation est regrettable pour les producteurs insérés dans les circuits commerciaux, qui, quelle que soit la taille de leur exploitation, sont amenés à raisonner en entrepreneurs. En Inde, comme dans beaucoup d’autres pays du Nord et du Sud, la sensibilisation des agriculteurs à l’assurance est un chantier immense.
[1] Centre for Science and Environment, Lived Anomaly. How to enable farmers in India cope with extreme weather events, 2015
[2] Ashok Gulati, A harvest-time gift, The Indian Express, January 18, 2016