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ème Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) s’est tenu à Johannesburg, en Afrique du Sud, les 4 et 5 décembre 2015. Ce sommet a été l’occasion de la publication du second document sur « La politique de la Chine à l’égard de l’Afrique », après celui de 2006
[1]. Les orientations plaident pour une coopération qui se veut gagnant-gagnant, qui concerne tous les domaines (santé, éducation, agriculture, mines etc.) et qui aborde les questions de sécurité. A priori rien de très original comparé aux déclarations politiques que l’on peut trouver lors des sommets France-Afrique ou Japon-Afrique, si ce n’est une volonté marquée de lever ce que les autorités considèrent comme des « goulots d’étranglement du développement », à savoir le retard d’investissement dans les infrastructures, le manque de qualifications et une insuffisance dans l’accès à l’énergie. Le document insiste aussi sur la nécessaire industrialisation, la sortie d’une trajectoire trop dépendante des produits primaires.
Au-delà des considérations assez générales, ce document et les déclarations lors du sommet confirment la complexification du paysage de la coopération en Afrique, à laquelle la Chine participe en prenant une place majeure. Les engagements à conditions préférentielles de la Chine vis-à-vis de l’Afrique s’élèvent à 20 milliards $US par an en moyenne pour les années 2016-2018 (dont 8 % seraient versés à taux zéro, 60 % à taux préférentiels et 8 % destinés aux PME africaines notamment). C’est un montant significatif comparé aux engagements des pays du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE à destination de l’Afrique qui ont atteint 55,7 milliards $US en 2013 ou à ceux de la France qui étaient de 3,2 milliards $US cette même année. Dans beaucoup de pays d’Afrique, la Chine restera ou deviendra le premier bailleur de fonds. Certes, l’aide de la Chine dans le secteur agricole représente moins de 4 % de l’aide totale de la Chine en Afrique, et se situe assez loin derrière les aides bilatérales ou multilatérales du CAD/OCDE. Mais il faut aussi tenir compte des multiples présences chinoises privées et publiques. Les investissements publics et privés chinois sont conséquents dans les secteurs de l’hévéa, du coton, du bois ou encore du cacao, en particulier en Côte d’Ivoire et au Cameroun pour ne citer que ces deux pays.
La coopération entre la Chine et l’Afrique articule trois niveaux[2] : un partenariat de coopération stratégique globale soutenu par cinq piliers (politique, économie, culture, sécurité et rôle sur la scène internationale) et dix plans sectoriels. Un de ces plans sectoriels concerne la modernisation du secteur agricole.
Les orientations de ce plan de modernisation ne sont actuellement pas très précises. Elles incluent la mise à disposition d’équipes d’experts agricoles et de formateurs, la poursuite de recherches et l’innovation agricole. Les Centres de démonstration agricole seront les supports de cette recherche, avec pour vocation notamment de proposer des variétés sélectionnées de riz irrigué et de vulgariser des pratiques agricoles sur la base de l’expérience chinoise. Même si les modalités de mise en œuvre de cette coopération agricole diffèrent selon les pays, plusieurs études menées aussi bien par des chercheurs chinois que français[3] ont montré les atouts et limites de cette coopération. Le principal point faible relevé est celui d’une quasi absence de coordination dans les pays d’Afrique avec les bailleurs de fonds dits « traditionnels » ainsi qu’avec les centres nationaux de recherche agronomique. Ce manque de coordination, qui s’explique essentiellement par un manque de confiance de part et d’autre, nuit à la construction d’une coopération tripartite féconde. D’autre part, plusieurs observateurs[4] estiment que ce plan de modernisation est davantage un plan de soutien aux entreprises chinoises qu’un réel plan de développement de l’agriculture africaine.
Il devient donc urgent de croiser les réflexions et savoirs des équipes chinoises avec ceux des équipes nationales en Afrique (les centres nationaux de recherche agronomique), des équipes régionales (comme par exemple AfricaRice) et des centres internationaux (les institutions membres du CGIAR
[5]), ainsi que des équipes étrangères (comme le CIRAD). Le secteur agricole ayant été trop largement négligé par les bailleurs de fonds du CAD ainsi que par les Etats africains eux-mêmes depuis plusieurs années, le regain d’intérêt actuel de l’ensemble des acteurs nécessite la construction d’une cohérence politique. A trop vouloir pousser son propre agenda sans tenir compte des actions engagées par les autres, le risque est grand de voir une déperdition des moyens et de nombreux investissements agricoles dépourvus de financement. Il faut donc créer les conditions pour que des rencontres aient lieu, que les savoirs accumulés soient mutualisés, afin que les coopérations tripartites France-Chine-Afrique, qui sont annoncées, puissent se concrétiser. Mais il revient aux Etats africains eux-mêmes de prendre de telles initiatives.
[1] http://www.focac.org/fra/zfgx/dfzc/t1321596.htm
[2] He Wenping, chercheuse à l’Académie chinoise des sciences sociales parle d’une structure 1+5+10
[3] Voir document
[4] http://pairault.fr/sinaf/index.php/15-references/745-60-milliards-de-dollars-d-aides-1
[5] Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR de par son acronyme anglais)