Il arrive que les nouvelles se télescopent et produisent du sens. Ainsi a-t-on appris quasi simultanément que l’indice des prix alimentaires mondiaux calculé par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) a reculé de 19 % en 2015 et que 64 pays, soit un sur trois dans le monde, ont désormais dans leur législation des objectifs ou des obligations d’incorporation de biocarburants dans l’essence ou le gazole[1]. Un nombre qui n’a cessé de croître depuis quinze ans.
Les marchés agricoles sont très instables. En 2011, l’indice des prix alimentaires de la FAO, mesuré à partir d’un panier de denrées englobant céréales, sucre, huiles végétales, viandes, produits laitiers…, avait atteint en termes réels (c’est-à-dire après déduction de l’inflation) son plus haut niveau depuis 1975 (graphique). Ce point culminant d’une décennie de hausse avait engendré de vives préoccupations sur la capacité à assurer la sécurité alimentaire de la planète, eu égard notamment à l’augmentation de la population et à la demande croissante de produits animaux dans les pays en développement.
Source : FAO
Naguère présentés comme une solution à la lutte contre le changement climatique, les biocarburants tombaient brusquement de leur piédestal. Ils se voyaient accusés d’être un des principaux moteurs de l’emballement des prix alimentaires mondiaux, au point que le Groupe d’experts de haut niveau (HLPE) sur la sécurité alimentaire et la nutrition leur consacrait, en 2013, un rapport alarmiste[2].
Mais la prévision est un art difficile : alors que la production de bioéthanol et de biodiesel continue de progresser, les prix des denrées diminuent depuis quatre ans. En 2015, l’indice de la FAO est tombé, en termes réels, à son niveau le plus bas depuis 2007, inférieur à celui du début des années 1960. Tous les produits alimentaires sont pris dans une spirale baissière, causée essentiellement par une offre pléthorique, un ralentissement de la demande et une appréciation du dollar U.S., qui renchérit les importations. Ces facteurs l’emportent largement sur la pression haussière exercée par l’utilisation accrue de céréales, de plantes sucrières et d’huiles végétales pour la production de biocarburants.
Le principal sujet d’inquiétude aujourd’hui n’est plus la cherté des denrées, c’est la chute du revenu des agriculteurs liée à l’effondrement des cours. Car l’avantage de prix bas, en termes de sécurité alimentaire, est compromis voire annulé par le risque d’une aggravation de la pauvreté[3].
Les prix alimentaires rebondiront tôt ou tard, et les biocarburants seront à nouveau sur la sellette. Plus que jamais, la priorité est à la recherche d’une forte amélioration de la productivité de l’agriculture, en particulier celle des millions de petits paysans des pays du Sud, seule capable de concilier, dans la durée, les intérêts des producteurs et des consommateurs de produits alimentaires.
[1] Biofuels Mandates Around the World: 2016, http://www.biofuelsdigest.com/bdigest/2016/01/03/biofuels-mandates-around-the-world-2016/
[2] HLPE, 2013. Biofuels and food security. A report by the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security, Rome 2013.
[3] Derek Headey, Food Prices and Poverty Reduction in the Long Run, IFPRI Discussion Paper 01331, March 2014.