Responsabilité sociétale des entreprises : une opportunité pour un développement durable en Afrique

17 novembre 2015
Odile Conchou, responsable de la division Environnement, Social, Gouvernance et Impact de PROPARCO et coordinatrice du numéro de la revue Secteur Privé et Développement consacré à l’émergence de la RSE en Afrique, paru en juillet 2015. 

Odile Conchou interviendra au colloque « Investissement privé et développement durable : débats pour l’agroalimentaire en Afrique », organisé par FARM et Pluriagri le 14 décembre à l’OCDE, à Paris.


Responsabilité sociale et environnementale, responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE), responsabilité sociétale des organisations… autant de sigles pour parler d’une notion similaire : la déclinaison au niveau des entreprises (et plus généralement des organisations) des principes du développement durable.
En pratique, il s’agit de concilier développement économique, protection de l’environnement et équité sociale, en développant une organisation adéquate en relation avec ses parties prenantes et pour les générations futures. Cela peut paraître un grand défi dans des pays dont la plupart ont plus de 50 % de leur population en dessous des seuils de pauvreté…

Il est incontestable que l’urgence de la plupart des pays africains est la lutte contre la pauvreté d’une grande partie de leur population et le besoin d’une croissance qui permettra de pallier les nombreux manques de ces pays. Mais est-ce pour autant incompatible avec la responsabilisation des entreprises sur les sujets environnementaux, sociaux, de droits des hommes et des femmes ? Ne pourrait-on pas imaginer que de bonnes pratiques environnementales et sociales deviendront un levier de développement nécessaire pour le pays et d’amélioration importante de la performance des entreprises et qu’une croissance qui ne prend pas en compte ces aspects ne serait pas pérenne ?

Parmi les bénéfices apportés à l’entreprise par une démarche responsable, l’expérience montre en particulier la diminution des risques de réputation, légaux et financiers, l’ouverture des marchés internationaux, de meilleures performances et rentabilité, une meilleure acceptabilité sociale, la diminution des charges, le bien-être des salariés, de meilleures relations avec les communautés avoisinantes…

Si les bénéfices semblent convaincants, le chemin est semé d’embûches pour les entreprises implantées en Afrique. En effet, dans de nombreux pays africains, l’instabilité politique ou les conflits, l’absence de réglementations et de contrôles, le manque d’infrastructures publiques de qualité (stations d’épuration par exemple), le manque de main d’œuvre qualifiée, de consultants spécialisés et le foisonnement de normes internationales ne favorisent pas l’émergence de bonnes pratiques dans les entreprises. Si certaines s’en accommodent, nombreuses sont celles qui le déplorent et doivent faire face seules à ces défis. Il faut aussi être conscient que le coût d’entrée est significatif pour les entreprises (études, audits, certifications, formation, investissements) et que les aides ne sont pas aussi développées qu’en Europe (exonération d’impôts, subventions, allègement de charges…). Néanmoins les initiatives fleurissent : les réseaux d’entreprises comme le réseau RSE Sénégal, le réseau Kilimandjaro favorisent les échanges entre entreprises et la diffusion de savoir-faire. Nombre d’universités et écoles d’ingénieurs sur le continent dispensent depuis plusieurs années des enseignements spécialisés. Les chambres de commerce (Tunisie, Cameroun..) s’emparent du sujet et quelques « labels RSE » apparaissent au Maroc, au Sénégal. Au-delà des réglementations environnementales, les Etats commencent à développer des cadres règlementaires pour inciter les entreprises à évoluer dans ce domaine.

La société civile africaine se structure et certaines banques et fonds d’investissement commencent également à accompagner leurs clients sur ce chemin. Les bailleurs de fonds, enfin, accompagnent ce mouvement en apportant conseils et assistance technique en complément de leurs financements.

Il y a donc de bonnes raisons d’espérer que ce phénomène s’amplifie et accompagne la croissance africaine. Plusieurs exemples récents d’entreprises volontaires confirment ces propos. L’implication de tous les acteurs est un gage d’une plus grande diffusion de la RSE dans le tissu économique africain, que l’on constate lorsque des entreprises industrielles mettent en place des stations d’épuration des eaux pour réduire la pollution autour des usines, ou recensent les zones de travail dangereuses pour leurs employés et améliorent la sécurisation de ces zones à risque pour réduire les accidents du travail, ou encore font pression sur leurs fournisseurs pour améliorer les conditions de travail de leurs ouvriers.

Toutes ces pratiques ne pourront toutefois changer d’échelle sans un engagement fort des Etats africains pour promouvoir la RSE, notamment par la création d’un cadre législatif efficace, et des mécanismes et mesures de contrôles d’application adéquats. De fait, toutes les parties prenantes, des entreprises aux bailleurs de fonds et aux organisations de la société civile, auront un rôle à jouer au cours des prochaines années pour soutenir cette démarche tant publique que privée en faveur d’un développement durable de l’Afrique.

 


3 commentaire(s)
Il est évident que la RSE n’est pas une priorité pour la population africaine, qui a besoin d’abord de se nourrir, d’accéder à l’eau potable, à l’électricité, à la santé et à la scolarité. Ses milliers et milliers de villages nécessitent d’être désenclavés et connectés aux réseaux routier, télécom et autres.
Ceci ressort clairement quand on analyse l’indice de développement social 2014 dans le monde où l’Afrique se retrouve dans son ensemble et à quelques pays près, dans le dernier tiers des pays de la planète, avec des indices inférieurs à 50%. De même, parmi les 30 pays les plus pauvres au monde, 25 sont africains. Leur PIB moyen mensuel par habitant est de 200 $usd contre 3000 $usd dans les 30 pays les plus riches. Ces 200 $usd vont à 90% à la consommation alimentaire contre moins de 10% dans les pays du Nord … Un continent qui souffre d’un grand déficit politique, économique et sociale aura du mal à épouser les thèses de la RSE, pas dans les principes, mais dans la réalité quotidienne. La dimension temps est importante à prendre en considération. Le Nord a mis des siècles pour construire son système politique, ses modèles économiques et sociaux, son arsenal juridique et réglementaire … Il a aussi commencé par subvenir aux besoins de base de sa population (alimentation, santé, scolarité, eau, énergie, logement …) avant de se pencher sur de nouveaux besoins comme la qualité, l’environnement, la responsabilité sociale, l’administration virtuelle … La majorité des états africains, à part des pays séculaires comme le Maroc et d’autres, présente à peine 50-60 ans d’existence en tant qu’état – nation et état de droit. Le déploiement des institutions politiques et d’un état de droit n’est pas encore totalement stabilisé. La RSE en Afrique avancera au rythme et au niveau de développement politique, socioéconomique et juridique propre chaque pays. De même, le tissu économique africain est composé à près de 90% de TPE dont une partie importante exerce dans le secteur informel, souvent sans aucune comptabilité. Leur demander d’intégrer aujourd’hui des éléments comme la traçabilité, la RSE, la comptabilité environnementale … me parait prématuré et déconnecté de la réalité socioéconomique et culturelle de ces entreprises. Ceci ne veut pas dire pour autant que le monde des entreprises en Afrique, notamment les grandes organisations et les PME ayant un minimum de structuration, n’est pas sensible à l’environnement et au développement durable . En effet, une étude prospective menée en 2014 par « UN Global Compact and Accenture » auprès de 1000 directeurs généraux d’entreprises de 103 pays et 27 industries, a démontré que, en Afrique, 68% des chefs d’entreprises questionnés à ce sujet jugent « très important » la dimension de l’environnement et du développement durable contre seulement 45% à l’échelle mondiale. Mais la réalité socioéconomique et culturelle est plus dure que les intentions, bien que plusieurs entreprises africaines font traditionnellement de la RSE, plutôt sociale, sans formalisme. C’est ce qui explique que la RSE dans sa version globale et universelle, sur le plan opérationnel : - a été portée principalement par quelques multinationales, dont des entreprises françaises comme Lafarge, Total, Areva, Rougier … - est resté limitée à quelques initiatives, souvent de personnes militantes de la RSE (Réseau Kilimandjaro, Institut RSE au Cameroun, Réseau RSE Sénégal, Livre blanc de la RSE …) - est relativement plus avancée dans quelques pays, notamment en Afrique du Sud (BEE, NDP et King Code III) et au Maroc (Label RSE et Charte Nationale de l’Environnement et du Développement Durable) Le modèle du Maroc me parait intéressant à examiner et à partager avec les pays africains, dans la mesure où il s’appuie, outre un grand label RSE opérationnel depuis 2006, sur une forte composante environnementale portée par le Charte Nationale de l'Environnement et du Développement Durable. Le Maroc est aussi parmi les rares pays africain a disposer d'un Ministère dédiée à l'Environnement.
Ecrit le 17 novembre 2015 par : Ben El Ahmar Mustapha mbenelahmar@gmail.com 2935

Le sujet abordé est très intéressant, parce qu'il porte sur la responsabilité sociale et environnementale (RSE); une préoccupation essentielle du développement durable. Mais, j'ai l'impression que l'accent n'a pas été bien mis sur les fonctions économiques et sociales de la préservation de l'environnement. Car lorsque ces fonctions sont prises en compte, on doit pouvoir exiger le comportement responsable avec la même rigueur tant pour un pays développé que pour un pays pauvre. C'est une nécessité pour toute nation. En effet, l’environnement remplit pour toute communauté, des fonctions de production, de protection et de régulation; toutes choses indispensables à la viabilité continue de ses activités économiques et à la stabilité de son bien-être. Agir contre la sauvegarde de cet environnement, c’est opter pour la prospérité immédiate (peut-être même de moindre qualité) pour s’en priver dans le futur; c’est préférer le court terme au long terme. C'est pourquoi, j'indique désormais aux apprenants de présenter la question environnementale plus dans ses dimensions positives et déterminantes pour la vie que de le présenter comme un idéal (à la limite irréaliste) à atteindre dans la mesure du possible. Vu que la RSE est d'un intérêt général vital, il est nécessaire que les approches environnementales d'intervention soient imposées à tous les pays. Ainsi, l'étude d'impact environnemental (EIE) et l'Analyse stratégique de l'environnement (ASE) doivent être prises comme une charge des gouvernements des Etats. Tous les Etats devront prendre des dispositions législatives pour que l'EIE des projets à mettre en oeuvre soit plutôt à la charge des gouvernements comme c'est le cas aux USA. On ne doit plus continuer de mettre le financement des EIE à la charge des promoteurs de projets. C'est une question de responsabilité nationale et planétaire.
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Ecrit le 17 novembre 2015 par : Dr Emile N. Houngbo enomh2@yahoo.fr 2936

Excellent article!
Ce qui manque pour les pays africains, à l'instar de notre pays (Madagascar), ce sont les infrastructures qui doivent accompagner les régulateurs. Nous avons de très bon texte pour faire respecter l'environnement en parallèle avec les investissements. Il s'agit du décret MECIE. Malheureusement, l'autorité de régulation ne dispose pas de suffisamment de ressources pour effectuer les monitoring, même pas un laboratoire pour vérifier les qualités de l'eau, pas d'instrument pour vérifier les qualités de l'air, etc. Je ne pense pas que le RSE pourrait être un handicap ou une pénalisation pour les pays africains si bien appropriés à leurs activités, étant donné que les principes tendent vers la durabilité de leurs opérations économiques. C'est à l'autorité de régulation de bien identifier les impacts négatifs, de bien cerner les mesures à appliquer et surtout d'accompagner les entreprises et les opérateurs économiques comme les agriculteurs. Enfin, ce qui serait mieux serait d'aller par étape, nous ne pouvons pas faire tout de suite exactement comme ce qui se passe en Europe ou aux Etats Unis.
Ecrit le 26 novembre 2015 par : Randrianarison aro.ratovonomenjanahary@gmail.com 2937

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