En matière d’assurance agricole contre les aléas climatiques, la situation de l’Afrique est paradoxale. Elle exploite en effet près de 20 % des terres cultivées de la planète et est soumise à des événements extrêmes en termes de températures et de précipitations, qui devraient encore s’accentuer avec le dérèglement du climat. Pourtant, selon un rapport récent rédigé pour le G20[1], sur les 178 millions d’agriculteurs dans les pays en développement ayant souscrit une assurance indicielle en 2014, l’immense majorité (97 %) sont indiens ou chinois. Moins de 450 000 sont africains, soit une part insignifiante du nombre total d’agriculteurs sur le continent.
Débattre des raisons qui expliquent cette situation, et surtout identifier des pistes d’action pour lever les obstacles au développement de l’assurance agricole, tel était l’objectif du side-event que la fondation FARM a organisé le 13 octobre, à Rome, en marge de la réunion annuelle du Comité de la sécurité alimentaire mondiale. Avec trois intervenants : Emily Coleman, du Fonds international de développement agricole (FIDA) ; Olga Speckhardt, de la Fondation Syngenta pour une agriculture durable, directrice intérimaire d’ACRE Africa, dispositif assuranciel le plus répandu en Afrique de l’Est ; Gideon Onumah, du National Research Institute, University of Greenwich, qui participe au projet de recherche FARMAF[2] sur la gestion du risque agricole en Afrique.
S’interrogeant sur la faible pénétration de l’assurance indicielle, sur laquelle reposent la plupart des projets pilotes en Afrique, les experts ont souligné les conditions à réunir pour aller de l’avant : disposer de données climatiques fiables pour élaborer des produits assuranciels efficaces, minimisant le « risque de base » (dû au décalage entre le montant des dommages subis par les agriculteurs et la valeur des indemnités versées – ou non – au titre de l’assurance) ; s’appuyer sur un réseau de distribution privilégiant les « agrégateurs » d’agriculteurs, comme les coopératives ; instaurer un cadre juridique et réglementaire solide, harmonisé entre pays ; sensibiliser les agriculteurs au fonctionnement de l’assurance, afin de répondre à leurs préoccupations légitimes sans susciter de leur part des attentes infondées… Il existe bien d’autres leviers. En outre, les promesses de l’assurance indicielle ne doivent pas occulter l’intérêt de certains dispositifs d’assurance récolte conventionnels, c’est-à-dire indemnisant les pertes individuelles de rendement, commercialisés à des prix abordables car couvrant un petit nombre d’aléas climatiques ou offrant des garanties limitées[3].
Si l’enjeu est de créer des marchés de l’assurance, accessibles aux petits agriculteurs, avec une forte implication du secteur privé, les Etats et les bailleurs de fonds ont néanmoins un rôle crucial à jouer. Mise à disposition aux assureurs de données publiques de qualité, investissement dans des stations météo, subventionnement « intelligent » des primes d’assurance, offre de réassurance complétant celle des réassureurs privés… Autant de domaines où l’intervention publique peut s’avérer déterminante pour le lancement et l’adoption de systèmes assuranciels.
Le fait est là : dans les pays développés (Etats-Unis, Canada, Espagne…) comme dans les pays émergents (Inde, Chine, Mexique…), aucune assurance agricole ne s’est développée à grande échelle sans une action forte de l’Etat. Même si le volume de fonds publics injecté dans l’assurance agricole ne garantit nullement, à lui seul, la pertinence et la viabilité des dispositifs proposés.
L’enjeu, en réalité, est que les gouvernements changent leur regard sur l’assurance et, plus largement, sur la gestion des risques agricoles. Pour investir sur leur exploitation, accéder au crédit et acheter des intrants, les agriculteurs ont besoin d’un cadre politique qui leur garantisse un minimum de stabilité. Il revient à l’Etat de prendre en charge les risques les plus élevés - d’origine climatique, mais aussi sanitaire ou économique -, que les exploitations agricoles et les assureurs privés peuvent difficilement couvrir seuls. Si l’une des fonctions essentielles des politiques agricoles est de réduire ces risques, alors l’assurance climatique doit être considérée comme un outil de politique agricole.
Le paradoxe évoqué au début de cet article n’est donc qu’apparent. La faiblesse de l’assurance agricole en Afrique est le reflet de la faiblesse générale – malgré quelques exceptions et de timides progrès – des politiques agricoles mises en œuvre sur le continent.
[1] Ulrich Hess et Peter Hazell, Agricultural Insurance: Emerging Trends and Innovations, document de travail préparé pour giz et BMZ, septembre 2015.
[2] Voir notamment Marcel van Asseldonk et al., Is there evidence of linking crop insurance and rural credit and its potential benefits?, Policy Brief, Farm Risk Management for Africa Project (FARMAF).
[3] Ainsi, en Zambie, une assurance récolte conventionnelle sur le maïs, couvrant seulement le montant du crédit lié à l’achat d’intrants, affiche un taux de prime de 4 % contre 9,5 % pour une assurance indicielle au Burkina Faso. Voir Marcel van Asseldonk et al., op. cit.