Continent vaste et aux climats contrastés, l’Afrique peut tirer pleinement profit de l’utilisation des satellites pour la mise en œuvre et le contrôle des politiques publiques dans le domaine de l’agriculture en particulier.
Un premier enjeu est de disposer d’une cartographie à jour afin de pouvoir identifier les terres cultivables. Les images des satellites d’observation sont mises à profit pour réaliser des cartes d’occupation des sols. Grâce à des traitements appropriés de ces images, il est possible d’extraire des informations sur les types de cultures, les types de sol, les forêts, les zones en eau ou humides, les zones bâties et les routes. Un suivi dans le temps permet, par différence avec des situations passées, de voir l’évolution de ces différentes zones. Ces produits d’information peuvent être utilisés par les gestionnaires de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de la planification de l’agriculture pour organiser la production agricole, en gérant au mieux la répartition entre terres bâties et terres cultivables ou le suivi de la croissance des cultures. La production agricole en Afrique étant souvent vivrière, les parcelles cultivées sont de petite taille. Les satellites actuellement en orbite permettent aux décideurs de disposer d’un panel d’outils d’observation pertinent pour la mise en œuvre et le contrôle de leur politique agricole depuis le niveau national, jusqu’au niveau local. En effet, les satellites d’observation Sentinel-1 et Sentinel-2 du programme européen COPERNICUS permettent de réaliser des observations avec respectivement une résolution de 5 m (radar) et de 10 m (optique). Les satellites de très haute résolution (THR) de type Pléiades permettent de voir des détails de l’ordre de 70 cm.
L’eau est un autre enjeu majeur. Les satellites de météorologie fournissent des observations qui alimentent les modèles de prévisions de pluie, en Afrique en particulier. Ces prévisions sont utilisées par les décideurs pour anticiper les productions agricoles, d’éventuels problèmes de sécheresse ou de fortes pluies. Via EUMETSAT[1], l’Europe facilite l’accès aux données de satellites Météosat, conjuguant ses efforts à ceux de l’Union européenne, de l’Union africaine et de l’Organisation de la météorologie mondiale. Les satellites d’observation optique (SPOT, Pléiades, Sentinel-2), radar (Sentinel-1, Cosmo-Skymed, Terra-SARX) et d’altimétrie (JASON1&2, SWOT en 2020) contribuent à mieux connaître les réserves en eau des fleuves, des lacs et des grands réservoirs fournissant aux gestionnaires des politiques publiques des informations essentielles pour leur stratégie de développement et de sécurité alimentaire.
Les pays africains se dotent eux aussi de moyens d’observation par satellites. En Afrique du Nord, des pays comme l’Algérie ou le Maroc disposent d’une agence spatiale et/ou de satellites qui leur fournissent les informations d’aide à la gestion des enjeux agricoles. En Afrique subsaharienne, l’Agence spatiale du Nigéria (NASRDA)[2] s’est dotée des satellites d’observation optique NigeriaSat-1 (lancé en 2003, retiré en 2012) et NigeriaSat-2 (lancé en 2011, résolution 2,5 m) et d’un satellite d’observation radar NigeriaSat-X (lancé en 2011, résolution 22 m). Ces satellites sont utilisés en particulier pour la gestion des catastrophes naturelles (suivi des essaims de criquets). En 2010, le Gabon a créé son agence spatiale l’AGEOS. En 2011, il s’est doté d’une plateforme technologique SEAS-Gabon de réception en temps réel d’images satellitaires sur laquelle s’appuie le centre de surveillance de l’environnement EarthLab Gabon[3] créé en 2013. Les objectifs de ce centre sont d’élaborer des produits d’information nécessaires aux enjeux de gestion forestière, de gestion des ressources naturelles et d’occupation des sols, ainsi que de surveillance des zones propices au développement de moustiques et autres vecteurs de maladies tropicales. L’Afrique du Sud a créé en 2010 sa propre agence spatiale, la SANSA[4], et s’était doté d’un microsatellite d’observation pour détecter les catastrophes naturelles et surveiller les ressources en eau du continent africain (ce satellite n’est plus opérationnel).
Enfin, le développement de l’agriculture « raisonnée », pour la gestion des produits phytosanitaires et des engrais, avec l’utilisation de tracteurs guidés par GPS, se développe lentement. Mais compte tenu de son potentiel de développement économique, des acteurs majeurs[5] de la fourniture d’équipements et de services ont fait le pari de s’implanter sur le continent africain pour y promouvoir leurs solutions.
En Afrique, les enjeux de sécurité alimentaire et de développement agricole restent considérables et mobilisent les efforts des organisations internationales : ONU[6], PAM[7], FAO[8], UN-OCHA[9] et WMO[10]. Les images satellites acquises par ces organismes alimentent le portail d’information GeoNetwork[11] sur lequel elles peuvent être partagées librement. Des outils « open source » sont mis à disposition afin que les utilisateurs puissent réaliser les produits d’information dont ils ont besoin.
Le développement de l’agriculture en Afrique passe non seulement par l’accès à l’eau, mais aussi par l’accès aux semences améliorées et aux engrais, à l’accès aux informations sur les marchés. Aussi, le FIDA[12], la FAO et le PAM ont entrepris d’aider le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) à élaborer une stratégie pour développer l’agriculture et le commerce.
Les communautés spatiales se mobilisent autour des enjeux liés à l’agriculture, la gestion de l’eau et la sécurité alimentaire en Afrique dans le cadre du Group for Earth Observation, avec les projets AfriGEOSS et GEOGlam, qui mobilisent les experts des agences spatiales, environnementales et météorologiques internationales.
Enfin, notons que depuis 1974, 13 pays du Sahel[13] ont mis en commun leur expertise et ont créé le centre régional AGRHYMET, situé au Niger, dont la mission est de contribuer à la sécurité alimentaire, à la gestion des ressources et de l’environnement par le renforcement des capacités de formation, de recherche et de diffusion des informations des institutions nationales.
L’utilisation des satellites en Afrique pour l’agriculture est une réalité. Les pays africains ont bien compris le potentiel des informations satellitaires. A ce titre, ils se dotent des nouvelles technologies qui leur permettront non seulement d’accéder aux informations indispensables à la mise en œuvre et au contrôle de leurs politiques de développement agricole, mais aussi de tirer le meilleur parti de leurs ressources pour leur développement économique.
La création au CNES d’une Direction de la Science de l’Innovation et des Applications devrait poursuivre et amplifier les efforts visant à ce que les données issues des missions spatiales et les produits issus des travaux scientifiques soient utilisés par des organismes et des entreprises fournissant des services adaptés aux besoins des citoyens et des décideurs des politiques publiques. Les différents secteurs de l’agriculture, qu’il s’agisse de l’aide à la gestion de l’exploitation, du renseignement agricole ou de l’assurance agricole, secteurs économiquement porteurs, pourraient bénéficier de cette dynamique et voir, d’ici quelques années, la création de services et de start-ups françaises dans ces domaines.
[1] EUMETSAT: Organisation européenne pour l’exploitation des satellites de météorologie : http://www.eumetsat.int/website/home/index.html
[2] NASRDA : National Space Research & Development Agency: http://services.gov.ng/fr/nasrda
[3] Earthlab Gabon est issu d’un partenariat entre Telespazio France et la République du Gabon, représentée par l’Agence Gabonaise d’Etudes et d’Observation Spatiale (AGEOS) et le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS) : http://www.earthlab-galaxy.com/gabon/
[4] SANSA : Agence spatiale d’Afrique du Sud) : http://www.space.gov.za/
[5] GARMIN s’est implanté en Afrique
[6] ONU : Organisation des Nations unies : http://www.un.org/fr/index.html
[7] PAM : Programme alimentaire mondial : http://fr.wfp.org/
[8] FAO : Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : http://www.fao.org/home/fr/
[9] UN-OCHA: Bureau des Nations unies pour la coordination de l’aide humanitaire: http://www.unocha.org/
[10] WMO: Organisation météorologique mondiale: https://www.wmo.int/pages/index_fr.html
[11] GeoNetwork : http://geonetwork-opensource.org/
[12] FIDA: Fonds international de développement agricole: http://www.ifad.org/
[13] AGRHYMET rassemble les efforts de 9 pays : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.