L’agriculture urbaine en Afrique : un potentiel vivrier sous-exploité face à l’insécurité alimentaire

5 novembre 2014
Abou BA, doctorant en sciences de l’environnement à l’université de Genève ; il est actuellement en stage de recherche au Laboratoire d’agriculture urbaine de l’université du Québec à Montréal (LAU/LAB/UQAM). Ingénieur des travaux d’aménagement du territoire, il a travaillé à l’Agence nationale de conseil agricole et rural (ANCAR) au Sénégal. Il est aujourd’hui très impliqué dans des activités de recherche-action, notamment sur les problématiques liant l’agriculture urbaine, le changement climatique, l’environnement et leurs incidences sanitaires.


Aujourd’hui, la moitié de la population mondiale est concentrée dans les centres urbains. Cette forte croissance urbaine est encore plus perceptible en Afrique particulièrement en Afrique subsaharienne. Certes, ce boom démographique est un atout majeur pour les économies locales mais il pose de véritables enjeux de développement. En effet, plongée depuis plusieurs décennies dans des crises agricoles majeures et récurrentes, l’Afrique subsaharienne est marquée, en ce début de 21ième siècle, par une situation d’insécurité alimentaire généralisée, aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Et cette situation risque d’aller de mal en pis à cause de la faiblesse des ressources des États et la forte croissance démographique enregistrée ces dernières années.

Malgré tout cela, l’Afrique subsaharienne a les moyens de sortir de cette spirale de crises économiques dont les causes sont à chercher dans l’inexistence de politiques et programmes agricoles adéquats au sein des différents États d’une part et à l’échelle du continent d’autre part. Ceci se traduit par la non prise en compte de plusieurs secteurs d’activités qui sont en mesure de participer à l’autosuffisance alimentaire dans ces pays. C’est le cas de l’agriculture urbaine qui, contrairement à son caractère de mouvement social auquel elle est assimilée dans les grandes métropoles des pays riches, est une véritable économie dans les villes d’Afrique subsaharienne. C’est ainsi que l’agriculture urbaine est définie en Afrique comme une variété d’activités agricoles et pastorales pouvant prendre place dans les limites ou en périphérie des agglomérations urbaines (Smith et al., 2004). Et c’est dans cette proximité avec la ville que cette activité tire ton son potentiel économique dont les impacts vont au-delà même des frontières des grandes agglomérations africaines.

En effet, l’agriculture urbaine occupe aujourd’hui une place prépondérante dans l’économie des pays africains. En plus de participer à la réduction de la pauvreté en procurant d’importants revenus aux exploitations familiales et à la réduction de la balance commerciale des pays concernés grâce aux exportations de ses productions, l’agriculture urbaine constitue de nos jours le principal grenier agricole de plusieurs villes africaines en dehors des céréales en assurant une part importante de leurs besoins en légumes et autres produits agricoles. C’est le cas à Dakar (Sénégal) où cette activité assure à hauteur de 70 % la demande en légumes et où sa composante avicole représente 33 % de la production nationale soit entre 65 % et 70 % de la demande du pays (Mbaye, 1999). C’est la même tendance qu’on observe dans d’autres villes d’Afrique subsaharienne. À Dar-es-Salam (Tanzanie) tout comme à Bissau (Guinée Bissau), c’est 90 % de la demande en légumes feuilles qui est assurée par l’agriculture urbaine contre 100 % de la demande tous légumes confondus à Bamako (Mali) (Akinbaminjo, 2002). À Kampala (Ouganda), c’est 70 % de la demande en viandes de volailles et œufs qui est satisfaite par l’agriculture urbaine contre 50 % à Bamako (idem) et 60 % à Cotonou (Bénin) (Guèye & al., 2009).

Par ailleurs, l’agriculture urbaine est un secteur avec un fort potentiel d’emplois dans un continent où la moitié de la population âgée de moins de 25 ans est confrontée à un chômage endémique. Les emplois créés aujourd’hui par l’activité agricole en milieu urbain se chiffrent à des dizaines de milliers à l’échelle du continent et ceux-ci ne cessent d’augmenter à cause d’une part du fort taux de chômage dans toutes les villes africaines et d’autre part de l’attractivité économie de cette activité. C’est ainsi qu’à Ouagadougou (Burkina Faso), 45 000 emplois directs et indirects sont attribués à l’agriculture urbaine (Ouedraogo et al., 2009) contre 15 000 emplois directs et 35 000 emplois indirects à Dakar (Mbaye, 1999). En Afrique centrale, 12 500 familles actives dans le maraîchage sont dénombrées à Yaoundé au Cameroun (T. Dongmo & al., 2004) contre 10 000 maraîchers à Kinshasa (R.D du Congo) (Dieudonné & al., 2011).

Ces chiffres révèlent toute l’importance économique et sociale de l’agriculture urbaine en Afrique. Malheureusement, le poids de cette activité dans l’économie des pays africains est manifestement sous-coté au détriment de l’agriculture rurale. Et cela se manifeste par la non-prise en compte de cette activité d’une part dans les politiques publiques agricoles et d’autre part dans les politiques d’aménagement urbain. Ainsi, pour faire face à l’explosion des projets immobiliers au détriment des zones agricoles urbaines, il est urgent d’élaborer des politiques publiques visant à encadrer le développement et la pérennisation des activités agricoles dans les villes africaines. Sinon, malgré les fortes productions et les milliers d’emplois générés, l’agriculture urbaine risque de disparaître un jour dans la plupart des grandes métropoles africaines. Ce qui ne fera qu’amplifier les crises agricoles dans lesquelles l’Afrique subsaharienne est empêtrée depuis plusieurs décennies. Et à l’heure où on cherche des réponses à la question: comment nourrir les populations africaines?, l’agriculture urbaine offre à coup sûr de véritables pistes de réflexion.

Bibliographie :

Akinbamijo, O., & Smith, O. B. (2002). « Useful wastes » in urban agriculture for crop-livestock systems. In Akinbamijo, O., Fall, S. T., Smith, O. B. (eds) 2002. Advances in crop-livestock integration in west Africa cities Grafisch Bedrijf ponsen and looijen, the Netherlands.
Dieudonné E. Musibono, E.M. Biey, M. Kisangala, C.I. Nsimanda, B.A. Munzundu, V. Kekolemba et J.J Palus, « Agriculture urbaine comme réponse au chômage à Kinshasa, République Démocratique du Congo », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Volume 11 Numéro 1.
Guèye, N. F., Wone, S. S., & Sy, M. (2009). Agriculteurs dans les villes ouest-africaines:
Enjeux fonciers et accès à l’eau (IAGU, KARTHALA, CREPOS.) Dakar.
Mbaye, A. (1999) « Vers une gestion concertée des ressources naturelles en zone périurbaine. Le cas de la région de Dakar ». Montpellier: CIRAD/CORAF.
Ouédraogo. D, Sangaré. D, Tougmat. A (2009) «Gestion des risques en agriculture urbaine irriguée et consentement à payer pour une amélioration de la qualité de l’eau pour le maraîchage dans les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso au Burkina».
Smith, O. B., Moustier, P., Luc J.A Mougeot, & Fall,, A. (2004). Développement durable de l’agriculture urbaine en Afrique de l’ouest francophone : Enjeux, concepts et méthodes (CIRAD, CRDI.). Dakar, Ottawa.
T. Dongmo, J. Gockowski, S. Hernandez, L.D.K Awono & R. Mbang (2004) « L’agriculture périurbaine à Yaoundé : ses rapports avec la réduction de la pauvreté, le développement économique, la conservation de la biodiversité et de l’environnement » in Tropicultura, Numéro 23.


 


3 commentaire(s)
Bien vu, article intéressant.
Ecrit le 10 novembre 2014 par : Yacine 2912

Article très bien rédigé et très pertinent. Cette agriculture doit être sauvegardée, développée et pérennisée vue son importance qui n'est plus à démontrée. Merci ptit frère.
Ecrit le 6 mai 2015 par : Sada sadamaw@yahoo.fr 2923

Très bel article concis et pertinent! Malheureusement cette agriculture est méprisée et même condamnée suivant des considérations normatives qui la considère comme étrangère à la ville. Pourtant elle fait partie du métabolisme urbain
Ecrit le 15 février 2020 par : Narcisse 3828

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