Le 27 septembre, les ministres en charge de l’agriculture dans l’espace de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) se sont réunis à Lomé dans le cadre de la réunion du Comité ministériel spécialisé agriculture, environnement et ressources en eau. Cette réunion portait principalement sur l’état d’avancement des Programmes nationaux d’investissement agricole (PNIA) et du Programme régional d’investissement agricole (PRIA) et devait aboutir à la formulation de nouvelles initiatives pour accélérer la mise en œuvre de ces programmes. Le
communiqué final révèle que les ministres et leurs représentants se sont, entre autres, engagés à
« renforcer les efforts pour réaliser les engagements de Maputo en termes d’allocation des ressources au secteur agricole ».
Cette résolution se réfère à la Déclaration sur l’agriculture et la sécurité alimentaire adoptée par les chefs d’États de l’Union Africaine à Maputo en 2003, et notamment à l’engagement des États d’allouer au moins 10 % des budgets nationaux au secteur agricole dans un délai de cinq ans. Plus généralement, la déclaration de Maputo engageait les États africains à la mise en œuvre d’urgence du Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA), le volet agricole du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Pour leur part, les États de l’Afrique de l’Ouest ont cherché à atteindre les objectifs du PDDAA à travers la politique agricole régionale de la CEDEAO, l’ECOWAP, et des plans d’investissement aux niveaux national et régional (PNIA et PRIA).
À la réunion des fonctionnaires pour préparer la rencontre des ministres, le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l'Afrique de l'Ouest (ROPPA) a présenté les conclusions d’un dialogue multi-acteurs sur les progrès réalisés dans le secteur agricole à travers la région depuis la Déclaration de Maputo. Ce dialogue, qui a eu lieu à Monrovia du 9 au 14 septembre 2013, marquant ainsi le 10ième anniversaire de la Déclaration de Maputo, a réuni un grand nombre de membres du ROPPA, des chercheurs, des représentants du secteur agro-alimentaire et de la société civile, des représentants des États de la CEDEAO, des institutions régionales et des partenaires au développement. Au cours de cette rencontre, les discussions se sont appuyées principalement sur des études menées par le ROPPA dans dix pays de la région, en partenariat avec des chercheurs ouest-africains du réseau REPAD et avec l’appui de l’ECDPM. Ces études ont porté sur l’évolution de plusieurs aspects du secteur agricole dans ces pays depuis 2003, en particulier les politiques, les aspects institutionnels de la politique agricole, les dépenses publiques et la performance de la production agricole. Voici quelques constats clés, relatifs aux dépenses publiques dans le secteur agricole, qui sont ressortis de cette initiative du ROPPA :
-
La quantité des dépenses. Le constat n’est pas nouveau, la grande majorité des États de l’Afrique de l’Ouest (comme ailleurs sur le continent) jusqu’à ce jour ont dédié moins que le seuil auto-imposé de 10 % de leurs budgets à l’agriculture. Selon les chiffres fournis par les États au Système régional d'analyse stratégique et de gestion des connaissances (ReSAKSS), un dispositif de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre du PDDAA, quatre des quinze pays de la région ont alloué au moins 10 % du budget de l’état à l’agriculture au cours de la période 2003−2010, à savoir le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le Sénégal. Les autres pays sont en dessous du seuil, jusqu’à un niveau de moins de 2 %. Néanmoins, le niveau moyen de la région au cours de cette période est au-dessus de la moyenne de l’ensemble des pays de l’Union Africaine (8 % contre 5.3 %). Au delà des dépenses publiques pour l’agriculture, les participants à la conférence de Monrovia ont relevé le fait que « la facture est payée par l’extérieur ». En d’autres termes, ils ont signalé comme particulièrement problématique le fait que la part des ressources domestiques dans les dépenses publiques pour l’agriculture est faible par rapport aux financements extérieurs. À titre d’exemple, au cours de la période 2004−2012, les financements extérieurs représentaient 71 % du total des dépenses publiques agricoles au Burkina Faso. Suite à ces constats, la Déclaration finale de la conférence appelle les décideurs à mobiliser davantage de ressources internes.
-
La qualité des dépenses. Il n’y a pas que la quantité des dépenses qui compte, la nature et la structure des investissements sont aussi des facteurs importants de réussite du PDDAA. Les études ont démontré que dans certains pays les coûts de fonctionnement occupent une part importante du budget affecté à l’agriculture par rapport aux investissements (par exemple, 42 % pour les coûts de fonctionnement au Togo pour la période 2002−2010 ; 39 % au Bénin pour la période 1996−2011). Aussi, les études ont noté un sous-investissement dans les filières de l’élevage et de la pêche par rapport à la contribution de ces secteurs au produit intérieur brut dans certains pays. À la conférence de Monrovia, les membres du ROPPA ont mis l’accent sur le manque des dépenses bénéficiant aux exploitations familiales, comme cela a été rapporté dans un blog récent de l’ECDPM sur ce sujet.
-
La transparence des dépenses. Les études pays ont montré la difficulté de récolter des données fiables et désagrégées sur les dépenses publiques agricoles. Ainsi, les participants au dialogue ont appelé à un meilleur dispositif de suivi, permettant aux parlements nationaux et aux organisations non-gouvernementales, y compris les organisations paysannes, de mieux jouer leur rôle de surveillance.
-
Au-delà des dépenses publiques. Il n’y a pas que les dépenses publiques mais également les investissements privés qui sont importants pour atteindre les objectifs de l’ECOWAP/PDDAA. Dans cet esprit, les études notent quelques efforts naissants des États pour mobiliser des ressources privées pour la mise en œuvre des PNIA. Au-delà des investissements publiques et privés, la mise en œuvre d’une politique agricole nécessite des lois, réglementations et procédures créant un environnement favorable au développement des exploitations agricoles et du secteur agro-alimentaire. Dans ce cadre, les études ont noté par exemple, la nécessité d’éliminer les entraves au développement des marchés nationaux et régionaux.
Généralement, en Afrique de l’Ouest, il est reconnu que des efforts notables ont été faits depuis l’adoption de la Déclaration de Maputo, notamment en ce qui concerne la formulation de l’ECOWAP/PDDAA en 2005, et des PNIA et du PRIA par la suite. Fait à souligner, les participants à la conférence de Monrovia n’ont pas critiqué l’ECOWAP/PDDAA, preuve s’il en faut que la formulation de cette politique a été réellement participative. Pour citer le Président honoraire du ROPPA, Mamadou Cissokho,
« Il n’y a rien à inventer. Si on s’engage à mettre en œuvre l’ECOWAP/PDDAA, on pourra relever les défis auxquels est confrontée la région ».
Effectivement, il y a un consensus selon lequel c’est la mise en œuvre aux niveaux régional et national qui est défectueuse, empêchant une réelle transformation de l’agriculture et une amélioration significative de la sécurité alimentaire. En effet, les études du ROPPA indiquent qu’au cours des 10 dernières années le taux de croissance de la productivité agricole pour l’ensemble de la région n’a quasiment pas changé par rapport à la période pré-Maputo. L’insécurité alimentaire et la pauvreté restent endémiques. Il était donc opportun que les ministres réunis à Lomé renouvellent les engagements de Maputo et qu’ils confirment leur volonté de mobiliser les ressources nécessaires pour les réaliser.
(*) Le Centre européen pour la gestion des politiques de développement (ECDPM) est un laboratoire de réflexion et d’action. L’objectif principal du Centre est de faciliter des partenariats de développement entre l’UE et l’hémisphère Sud, principalement l’Afrique. ECDPM combine une connaissance solide sur les façons de formuler des politiques de développement efficaces avec une expérience pratique de leur mise en œuvre afin de renforcer les capacités de gestion des institutions dans les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et d’améliorer les relations entre l’Union européenne et les pays ACP.