(Cet article a été publié dans une version plus courte dans le numéro Afrique Agriculture 397 de novembre/décembre 2013.)
Contrairement à l’an dernier, les principaux pays producteurs de céréales de l’hémisphère nord auront été épargnés par la météorologie en 2013. Ainsi, selon le Conseil international des céréales, le monde devrait connaître un bond de la production de céréales de plus de 10 % par rapport à 2012.
Cependant, la reconstitution des stocks s’annonce modeste (particulièrement en blé), et si, au cours des derniers mois, les prix ont suivi une tendance baissière, ils demeurent nettement plus élevés qu’au début des années 2000. Dans ce contexte mondial apaisé sur le marché des céréales, quelles sont les perspectives alimentaires dans l’une des régions où cette préoccupation est la plus forte, l’Afrique sahélienne(1) ?
La situation y apparaît encore incertaine. Alors que la FAO a récemment alerté(2) sur une période de soudure inter-campagne très délicate, les perspectives quant aux prochaines récoltes céréalières demeurent favorables… mais dépendent fortement des évolutions de la météorologie jusqu’aux récoltes, qui se dérouleront en novembre. Dans un rapport publié conjointement en octobre(3) la FAO et le PAM (Programme alimentaire mondial) tablent sur des récoltes moyennes. En cause, le retard et le déficit de pluie du début de saison, et la poursuite tardive de celles-ci en octobre. En effet, des excès d’eau pourraient provoquer des pertes de récolte (pourriture et germination des grains).
En outre, il faut intégrer le fait que la capillarité entre les marchés mondiaux et ceux de la région sahélienne est toute relative. En effet, alors que dans la majorité des pays importateurs, un défaut de production est compensé par un volume d’importation accru, en Afrique sahélienne c’est la consommation qui constitue la principale variable d’ajustement. Lorsqu’on observe les bilans offre-demande de céréales et de tubercules dans cette région du monde(4), il est étonnant de constater que la consommation intérieure est très étroitement liée à la production. Les importations – presque uniquement du riz et du blé – n’absorbent pas la différence entre production et demande : alors que les variations des productions atteignent jusqu’à 26 % d’une année sur l’autre, les importations ne viennent compenser ces variations qu’à hauteur de 4 % au maximum. Au Sahel, les infrastructures de stockage, hormis celles des ports d’importation, sont nettement insuffisantes pour pouvoir permettre de reporter un éventuel surplus d’une campagne sur la suivante. Sur le terrain, on observe que le cheptel animal absorbe seulement en partie les variations de production, par une augmentation ou une diminution de sa taille en fonction des surplus ou déficits. C’est donc finalement la consommation humaine qui doit s’adapter. Ce constat se vérifie tout particulièrement pour les pays les plus enclavés ; ceux qui disposent d’une façade maritime, comme le Sénégal, peuvent plus facilement recourir aux marchés internationaux en cas d’insuffisance de leur production domestique.
La transmission des prix internationaux aux prix intérieurs est plus ou moins prononcée, en fonction du produit concerné et de la distance aux zones d’importation. La problématique logistique est majeure et l’on observe que les mécanismes « classiques » de marché ne permettent pas de répartir les produits des zones où il y en a trop, vers celles où il n’y en a pas assez, des endroits où les prix sont les plus bas vers ceux où ils sont plus élevés.
Aujourd’hui, un marché mondial des céréales apaisé ne présage que marginalement du niveau de sécurité alimentaire que l’on aura dans les prochains mois en Afrique sahélienne. Celle-ci restera dictée essentiellement par le niveau des productions locales et l’alimentation humaine demeurera la principale variable d’ajustement.
(1) Par Afrique sahélienne on entend les pays suivants : Burkina Faso, Cap Vert, Gambie, Guinée Bissau, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Tchad.
(2)
http://www.fao.org/news/story/fr/item/195932/icode/
(3)
FAO PAM Note conjointe Sécurité Alimentaire n°50
(4) D’après les chiffres établis par le département américain de l’Agriculture pour les céréales (blé, maïs, sorgho, mil et riz) et par la FAO pour les tubercules (igname, manioc).