Le nouvel Acte uniforme de l’OHADA sur le droit des sociétés coopératives : une transition à haut risque

10 juillet 2013
Fabrice Larue, Chef de projet financement et filières agricoles, FARM


Les 18 et 19 juin 2013, j’ai participé au premier colloque international sur l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), organisé conjointement par l’université du Luxembourg et l’université de Yaoundé, dans la capitale camerounaise.

Le colloque était consacré à l’insertion de l’Acte uniforme dans le droit coopératif africain et à ses conséquences pour le fonctionnement des coopératives dans les dix-sept Etats membres de l’OHADA (1). Il ne traitait pas spécifiquement des coopératives agricoles, mais le bilan qu’il a permis de dresser sur la mise en œuvre de l’Acte uniforme dans ces Etats soulève de nombreuses interrogations pour les organisations de producteurs agricoles.

L’OHADA vise essentiellement à faciliter les échanges et les investissements et à garantir la sécurité juridique et judiciaire des activités des entreprises dans le but de créer un vaste marché intégré. Alors que les huit premiers Actes uniformes étaient principalement destinés aux investisseurs étrangers (pays hors OHADA), l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, adopté en décembre 2010, après dix ans de concertation, concerne plus directement les populations africaines. Il édicte différentes dispositions ayant pour but d’unifier le statut et le fonctionnement des coopératives, unions et fédérations de sociétés coopératives, agricoles ou non agricoles, existantes ou en voie de création dans les Etats membres. Conformément à l’article 10 du Traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, adopté le 17 octobre 1993, « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ».

Les grandes difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du neuvième Acte, qui depuis le 15 mai 2011 se substitue aux lois nationales sur les coopératives, montrent combien les Etats membres peinent à appliquer des politiques publiques d’envergure. Alors que les gouvernements avaient deux ans pour mettre les statuts des coopératives existantes en conformité avec les dispositions de l’OHADA, les résultats, au 15 mai 2013, sont très en deçà des attentes. De plus, les niveaux d’implication des Etats sont très variables.

Un autre objectif de l’Acte uniforme est de déléguer directement aux coopératives le pouvoir de rédaction de leurs statuts juridiques, en favorisant leur autonomisation par rapport aux Etats. Ainsi, au Cameroun, les coopératives ont été créées en 1956 dans les secteurs du café, du cacao et du coton. Elles étaient conçues par les pouvoirs publics comme un outil d’application de leur politique. Aujourd’hui, le développement des coopératives dépend de plus en plus de la capacité des administrateurs à les intégrer dans l’économie de marché, ce qui exige flexibilité et réactivité, mais les Etats rechignent à se départir de leur pouvoir de contrôle.

Certains responsables gouvernementaux ont sans doute sur-interprété la portée de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives en élargissant son champ d’application à d’autres types d’organisations, notamment dans le secteur agricole, rendant ainsi sa mise en œuvre encore plus confuse. En outre, le projet initial d’uniformisation des pratiques juridiques dans tous les Etats membres est mis à mal par certains pays qui tentent d’ajouter des dispositions non conformes à l’Acte uniforme. Les mises en application sont hasardeuses et impliquent plusieurs ministères, ce qui complique le processus. Alors qu’au Mali, le ministère de tutelle des coopératives est celui du développement social, au Bénin, c’est le ministère de l’agriculture, pour les coopératives, et le ministère de l’intérieur, pour les associations. Plus encore, certains ministères font leur propre interprétation de l’Acte, sans toujours se référer aux « points focaux » des Etats, chargés de la mise en application du droit de l’OHADA (l’Acte a été signé principalement par les ministères de la justice, de l’économie et des finances, et de l’industrie). Or, l’Acte uniforme est une sorte de loi-cadre, qui laisse aux administrateurs des coopératives une certaine souplesse pour rédiger de nouveaux statuts, à condition de respecter les dispositions de l’OHADA.

Le période de transition pour la mise en conformité des statuts des coopératives existantes avec les règles de l’Acte uniforme était de deux années et trois mois après la publication au journal officiel des Etats membres. Elle a été sous-estimée et nécessiterait d’être réévaluée pour ne pas pousser dans l’illégalité les nombreuses organisations qui ne sont pas encore des coopératives au sens de l’OHADA, notamment dans le secteur agricole. En outre, il faut souligner qu’avant le 15 mai 2013, la majorité des organisations de producteurs (OP) agricoles ne remplissaient pas les obligations imposées par leurs anciens statuts juridiques, sans réellement en subir de conséquences. Depuis cette date, dans certains pays, les ministères de l’agriculture ont reçu l’ordre de ne plus appuyer les OP qui ne sont pas immatriculées selon les dispositions de l’OHADA, soit en suspendant les services de conseil agricole soit en supprimant les soutiens octroyés pour l’approvisionnement en intrants. Cela interroge sur les intentions réelles des gouvernements qui veulent étendre l’application de l’Acte uniforme aux OP qui ne sont pas des coopératives et sur l’impact potentiel de cette situation pour les exploitations familiales, déjà très fragiles.

Les groupes d’agriculteurs qui cherchent à se mettre en conformité avec la nouvelle législation OHADA sur les coopératives se heurtent au manque de préparation des administrations. Dans plusieurs pays, les fonctionnaires ne sont pas encore formés sur la législation OHADA et les registres d’immatriculation des coopératives font souvent défaut. Le projet louable des Etats d’engager les nouvelles coopératives sur la voie d’une plus grande professionnalisation contraste avec les moyens déployés pour favoriser la transition juridique de ces organisations. Les gouvernements devraient mieux communiquer pour rassurer les agriculteurs et bien délimiter le champ d’application de l’Acte uniforme.

Comme l’a mis en lumière l’étude réalisée pour FARM par Roger Blein et Célia Coronel, « Les organisations de producteurs en Afrique de l’Ouest et du Centre : attentes fortes, dures réalités » (février 2013), un nouveau cadre juridique ne résoudra pas, à lui seul, les problèmes auxquels sont confrontées les OP et qui expliquent leurs nombreux échecs. La transition juridique qui découle de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives doit s’inscrire dans des politiques publiques globales de développement de l’agriculture et de renforcement des organisations de producteurs agricoles. Si elle était bien menée, cette transition pourrait constituer une étape importante vers la mise en œuvre effective d’une ambitieuse politique agricole communautaire. On en est loin.

(1) Les dix-sept Etats membres de l’OHADA : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

 


11 commentaire(s)
Merci Fabrice pour cette contribution à laquelle j'adhère. Je pense que l'un des problèmes d'effectivité de l'AUSCOP est comme tu le dis un problème d'information voire de formation car la majorité des personnes notamment les paysans à qui cet instrument est destiné (non pas que les autres soient exclus puisque aux dires du législateur OHADA, la coopérative concerne toutes les sphères de l'activité humaine) ne sont pas au courant de son existence d'où l'intérêt d'ailleurs du Colloque international qui a eu lieu à Yaoundé sur les sociétés coopératives, les 18 et 19 juin dernier. L'autre problème à mon sens est celui d'une trop grande "extroversion" de l'AUSCOP qui tente de se rapprocher autant que possible du droit des sociétés commerciales alors que l'idée de base était de distinguer ces deux sortes de groupements l'un s'intéressant à l'économie de profit et l'autre à l'économie sociale . La raison de ce rapprochement est certes compréhension-recherche d'une efficacité économique- mais problématique car la société coopérative diffère de la société commerciale tant par son objectif que par son mode de fonctionnement. Osons gager que des correctifs vont être très rapidement apportés.
Ecrit le 11 juillet 2013 par : Patrice 2840

La problématique que soulève cet article est très cruciale pour le developpement des coopératives agricoles en Afrique de l'Ouest. Pour le cas du Mali par exemple les services de tutelle des coopératives qui relèvent du Ministère du développement social, sont bien conscients de la situation, mais il faut se rendre à l'évidence que les textes de l'OHADA ainsi que les différents outils qui les soustendent ne sont pas mis à la disposition de ces services; Pire aucune initiative d'envergure pour la dissémination de ces textes n'a été entreprise pour mieux outiller les agents et meme les coopérateurs sur le terrain. Est-ce que la Fondation FARM pourrait soutenir une telle initiative, cela nous interesserait, en effet la Direction Régionale du Developpement Social de Sikasso a élaboré un programme de formation de ses agents et de l'ensemble des responsables des coopératives de la région sur les textes de l'OHADA, malheureusement nous sommes à la recherche d'un appui financier pour mettre en oeuvre ce programme! Je pourrais vous transmettre ce programme en espérant que la Fondation aiderait à son financement.
Ecrit le 11 juillet 2013 par : Issifou DADO DOKO idadoko@yahoo.fr 2841

Je suggère à cet effet de consacrer une part significative des investissements de la part des agriculteurs privés locaux dans le but de définir une ligne de conduite et se donner des conventions permettant de jouer sur les questions ressources humaines et ressources financières en des périodes précises... cela dit ce sont beaucoup plus des initiatives coordonnées entre détenteurs privés de capitaux et professionnels informatiques pour traiter la partie communication interactive... de quoi créer un certain nombre d'emplois d'amont en aval des stratégies d'émergence des activités agricoles face à certaines contraintes culturelles locales qui aliènent l'émergence des facultés de productivité en réponse aux besoins réels des administrations de base... l'initialisation d'un tel lancement n'aura pas pour objectif d'intégrer les populations en majeure partie rurale dans des formes d'administrations modernes, mais plutôt de déterminer des formes d'organisations administratives susceptibles de répondre aux réalités locales des ces populations généralement déshéritées... ainsi des centres d'organisations administratives ne dépendront que de l'émergence de ces formes d'organisations administratives de base qui devront se multiplier en vue de forcer les barrières de l'aliénation culturelle voire structurelle de ces populations déshéritées... puisque ne disposant pas de statistiques significatives pour déterminer la nature de leur survie alimentaire et surtout leur conservation alimentaire... en foi de quoi seules des administrations de base ne serviront que d'interfaces structurelles pour produire un système administratif moderne adapté à leur mode d'émergence... Le Coordinateur de l'ASBL Matthias K.
Ecrit le 11 juillet 2013 par : Matthias K. rhcriterium2009@gmail.com 2843

Si la plupart des Etats n'ont pas encore mis en place les instruments juridiques devant permettre aux cooperatives existantes d'adapter leurs statuts aux exigences des dispositions du traite OHADA portant sur les cooperatives, sur la base de quels textes pourront se créer de nouvelles cooperatives?
Ecrit le 16 juillet 2013 par : Li bi Valentin liabivalentin @Yahoo.fr 2844

Merci Fabrice pour ta clairvoyance. Patrice a fait un commentaire pertinent lorsqu'il parle des services de tutelle des coopératives. Chez nous au Bénin, ce fut le premier blocage qui, selon des responsables de la promotions agricole, a faillit verrouiller ce chantier. Deux ministères se seraient disputé la tutelle cette loi. D'un coté le ministère de l'intérieur et de l'autre celui de l'Agriculture. Il paraît que par un décret le PR a pu calmer les esprits pour que la tutelle soit laissée au ministère de l'agriculture, mais ceci après plusieurs mois d'attentes. Cette longue attente est défavorable aux structures pré-coopératives existantes qui avait un délai trop cours pour se mettre à jour. Nous attendons de voir ce qui va se passer.
Ecrit le 25 juillet 2013 par : David DANSOU davidurizop@gmail.com 2834

Pour Patrice : Il semble en effet que la stratégie de mise en œuvre de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives ait été négligée par certains pays membres de l’OHADA. Le ministère en charge de l’immatriculation des sociétés coopératives n’a pas toujours été clairement et rapidement identifié. Par manque de volonté et/ou de moyens, la vulgarisation et la communication de ce texte de loi communautaire n’a pas permis d’informer de façon adéquate les organisations agricoles. En outre, on peut se demander si des représentants des organisations paysannes étaient associées à l’élaboration de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Pour Issifou DADI DOKO : Le mise en œuvre d’une législation communautaire nécessite une stratégie et des moyens humains et financiers qui semblent avoir été sous-évalués en ce qui a trait à l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives. Pour Li bi Valentin : La question que vous posez est très importante. Que la mise en œuvre de la nouvelle législation OHADA réclame du temps se comprend. Par contre, que cela empêche des groupes d’hommes et de femmes de s’organiser sous forme coopérative est un non sens et fait courir plusieurs risques. D’une part, cela ralenti la professionnalisation d’un secteur agricole en voie de structuration et le renforcement des filières agroalimentaires dans leurs ensembles. (A noter que cet Acte uniforme ne concerne pas uniquement le secteur agricole. Les difficultés soulevées par votre commentaire concerne également plusieurs autres secteurs dans lesquels des coopératives existent). D’autre part, c’est la confiance dans la capacité de l’Etat à mettre en place des politiques communautaires qui est ébranlée et cela interroge plus largement sur le rôle et l’efficacité de l’OHADA. La création de nouvelles coopératives est donc compromise dans certains pays tant que le dispositif gouvernemental n’est pas fonctionnel. C’est encore plus préoccupant pour les organisations agricoles existantes qui sont sommées dans certains pays de se convertir en coopérative sous statuts OHADA, sans que cela leur soit possible. Ces organisations agricoles deviennent de fait illégales et risquent d’être inéligibles aux politiques publiques de soutien à l’agriculture. Par contre, ces difficultés ne doivent pas remettre en cause le potentiel des coopératives qui peuvent permettent à des femmes et d’hommes de trouver ensemble des solutions à leurs préoccupations quotidiennes. Or, il faut rappeler que toute organisation ne peut pas devenir une coopérative. Leur gestion et leur fonctionnement sont exigeants. C’est pourquoi, il m’apparaît nécessaire que les coopératives, leurs membres et les administrateurs soient accompagner par des appuis spécifiques.
Ecrit le 29 août 2013 par : Fabrice Larue fabrice.larue@fondation-farm.org 2848

Bonjour Quelles sont les dispositions de l'ACTE Uniforme qui portent sur les coopératives rurales ?
Ecrit le 2 septembre 2013 par : Moustapha ngaide@gmail.com 2849

Pour Moustapha : L'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) a produit le neuvième Acte uniforme, nommé « Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives ». Cette article de blog traite de cet Acte uniforme que je vous invite à parcourir et qui concerne les coopératives dans différents secteurs, en milieu rural comme en milieu urbain. La mise en œuvre de cet Acte uniforme semble cependant diverger d’un pays membre à l’autre.
Ecrit le 2 septembre 2013 par : Fabrice Larue fabrice.larue@fondation-farm.org 2850

Bonjour, nous sommes le 03/09/2013 et je côtoie depuis quelque temps un responsable du MINADER, ministère en charge de l’agriculture au Cameroun, qui détient des statuts de certaines coopératives en création et il m'a rassurer de ce que tout est à présent mis en marche, nous pouvons donc un peu nous féliciter, même si la mise en œuvre de cette loi reste très lente et limite les initiatives des producteurs et des structures d'encadrement. comme toute nouvelles initiatives, il y en a et y aura encore des difficultés d'application effective de cette loi. un travail d'information, de formation et de vulgarisation relative à cette loi s'impose dans beaucoup de pays au regard de diverses réactions sur ce blog
Ecrit le 3 septembre 2013 par : KENFACK MBOKEM kenfack_mbokemr@yahoo.fr 2852

Sur l'Ohada, lire dans la Recma, Revue internationale de l'économie sociale Recma 330 "La coopérative financière et la politique d’uniformisation du droit Ohada" http://recma.org/node/2359 Un compte rendu du colloque de Yaoundé, http://recma.org/sites/default/files/recma330_007013.pdf Une présentation du traité et des exemples de statuts coopératifs : http://recma.org/node/2359
Ecrit le 15 novembre 2013 par : Recma recma@recma.org 2857

En RDC, le MINAGRIDER set chargé de l'enregistrement des coopératives mais depuis 2002 certaines lois du ont confiés la tutelle des certaines catégories des coopératives dans d'autres institutions, à titre exemplatif nous avons les coopératives d'épargne et de crédit à la Banque Centrale rendant ainsi ce secteur flou. Il me parait dans ce cas difficile pour que l'acte unifié soit appliqué sans problème dans notre pays.
Ecrit le 14 juin 2014 par : Albert Muamba almuamba@yahoo.fr 2892

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