La dernière livraison de
Monitoring Agri-trade Policy, publié par la Commission européenne, contient deux informations révélatrices de l’évolution profonde du commerce mondial de produits agricoles, bruts et transformés. L’Union européenne (UE), premier importateur agricole, est devenue, de manière structurelle, un exportateur net de ces produits. Et la Chine, premier importateur net, est en passe de rattraper les Etats-Unis comme deuxième acheteur mondial de produits agricoles.
Les USA et l’UE sont depuis longtemps les premiers exportateurs agricoles. Ils vendent pratiquement le même montant sur les marchés mondiaux (respectivement 117 et 114 milliards d’euros en 2012). Contrairement à une opinion répandue, le Brésil vient loin derrière (65 milliards d’euros). Et les exportations agricoles brésiliennes progressent à peine plus vite que celles de l’UE (+ 35 % contre + 31 % depuis 2010).
Jusqu’en 2009, l’UE importait plus de produits agricoles, en valeur, qu’elle n’en exportait. La situation s’est inversée en 2010. L’excédent agricole communautaire enregistré en 2012 (12,6 milliards d’euros) est triple de celui observé en 2010.
Quant aux importations chinoises de produits agricoles, elles ont crû fortement ces dernières années, dopées par la hausse des revenus, l’expansion et la diversification de la demande alimentaire, ainsi que par le boom des achats de coton. Avec un bond de 30 % en 2012, elles ont atteint 82 milliards d’euros, niveau certes inférieur à celui des importations de l’UE (102 milliards d’euros), mais presque équivalent à celui des USA (85 milliards d’euros). Devenue importatrice nette de produits agricoles en 2003, deux ans après son accession à l’OMC, la Chine a vu son déficit augmenter de près de moitié à 47 milliards d’euros en 2012. Elle est devenue un moteur majeur des échanges internationaux de produits agricoles.
Un autre rapport éclaire cette évolution. Les
Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2013-2022, publiées le 6 juin, indiquent que, durant la dernière décennie, la production agricole chinoise a progressé à un rythme annuel (3,2 %) légèrement inférieur à celui de la consommation (3,4 %), ce qui a entraîné une croissance des importations. Encore ces chiffres ne concernent-ils que les principaux produits agricoles. Ils ne comprennent pas les fruits et légumes, les vins et spiritueux, ni les produits alimentaires transformés, dont la demande explose.
Selon ce rapport, l’écart entre la hausse annuelle de la production (+ 1,7 %) et celle de la consommation des principaux produits agricoles (+ 1,9 %), en Chine, devrait se poursuivre dans les dix prochaines années. On peut donc prévoir, à moyen terme, un creusement du déficit chinois de produits agricoles bruts et transformés, surtout si le yuan continue de se réévaluer.
D’où quelques réflexions sur le plan politique. Dès lors que l’UE dégage un excédent dans ses échanges agricoles, la justification primordiale de la politique agricole commune (PAC) - assurer la sécurité alimentaire des Européens -, semble s’estomper. Mais la mesure des échanges agricoles en valeur, et incluant les produits agricoles non comestibles, est un piètre indicateur de la sécurité alimentaire. Selon une étude du Cirad pour Pluriagri, l’Europe de l’Ouest produisait 87 % de sa consommation alimentaire, exprimée en calories, en 2007. Ce chiffre demande à être actualisé.
On note également que le solde des échanges agricoles communautaires s’est amélioré bien que, selon l’OCDE, le soutien à l’agriculture dans l’UE ait sensiblement diminué depuis le début de la réforme de la PAC, au début des années 1990. Inversement, le déficit agricole de la Chine s’accroît alors que le soutien à l’agriculture, dans ce pays, a fortement augmenté et dépasse désormais, en pourcentage des recettes des producteurs, le niveau observé aux Etats-Unis.
La relation entre politique agricole, commerce extérieur de produits agricoles et sécurité alimentaire est complexe. L’un des objectifs du programme européen
FoodSecure, auquel participe Mathilde Douillet, chef de projet Politiques et marchés agricoles à FARM, en collaboration avec le Cirad, est d’en démêler l’écheveau.