Depuis quelques années, les acteurs des filières agricoles en Afrique de l’Ouest, les Etats et les bailleurs de fonds s’intéressent de plus en plus à la mise en place d’organisations interprofessionnelles. Celles-ci visent à créer un cadre de concertation entre les différents opérateurs au sein des filières (producteurs, transformateurs, commerçants, transporteurs, etc.) pour renforcer les échanges, organiser le marché (diffusion d’informations stratégiques, gestion de l’offre, normes de qualité des produits, partage de la valeur ajoutée), mettre en œuvre des actions de recherche et de promotion et faciliter les relations entre le secteur privé et les pouvoirs publics. Si elles fonctionnent correctement, les interprofessions peuvent contribuer à réguler le marché, en atténuant les chocs dus notamment aux fluctuations des prix.
Des interprofessions souvent impulsées de l’extérieur
A la différence de ce qui s’est passé historiquement en France, les acteurs des filières agricoles, en Afrique de l’Ouest, n’ont généralement pas été les moteurs de la création des organisations interprofessionnelles. En effet, ces dernières ont été mises en place au sein des « grandes » filières d’exportation, suite aux plans d’ajustement structurel lancés au début des années 1990. Les missions des sociétés étatiques étant remises en question, les Etats ont dû trouver les moyens de continuer à faire fonctionner ces filières, qui jouaient un rôle stratégique pour le financement du budget et la balance commerciale, et d’améliorer leur compétitivité. Plusieurs gouvernements ont donc proposé et accompagné la mise en place d’interprofessions, comme par exemple dans la filière coton au Burkina Faso et au Bénin, qui regroupe les organisations de producteurs, les égreneurs et les fournisseurs d’intrants. Cependant, certaines interprofessions africaines ont bénéficié d’une mobilisation relativement forte des professionnels : c’est le cas, au Sénégal, du Comité national de concertation sur la filière tomate industrielle, né au début des années 1990. Il est vrai que les producteurs et les transformateurs de tomates devaient trouver un cadre d’entente sur les prix, pour assurer le bon fonctionnement du secteur.
Depuis peu, avec l’intérêt croissant pour le développement du secteur agricole, dans un contexte marqué par des préoccupations sur la sécurité alimentaire, la question des interprofessions comme mode d’organisation des filières vivrières (dites «domestiques») est à l’ordre du jour. Là encore, les raisons tiennent moins à la mobilisation des acteurs locaux qu’à la volonté de partenaires extérieurs (Etat, bailleur de fonds) d’organiser les marchés. Le Comité interprofessionnel du Burkina Faso a été impulsé par l’Etat burkinabè au début des années 2000 pour mettre en œuvre son plan d’action céréalier. Au Mali, la Banque mondiale a initié, en 2008, un programme qui a abouti à la mise en place de l’interprofession de l’échalote et de l’oignon (IFEO).
Au sein des filières exportatrices ou intégrées, telles que la tomate d’industrie au Sénégal, il y a un nombre d’acteurs limités, bien identifiés et un point de passage obligé du produit, ce qui facilite les discussions entre les différentes parties prenantes. A l’inverse, les filières céréalières sont longues, toute la production n’est pas commercialisée, l’offre est atomisée et les nombreux acteurs ne sont pas toujours très bien organisés : il est donc plus difficile de trouver des convergences d’intérêts entre professionnels.
Depuis 2009, certains acteurs des filières céréalières, en Afrique de l’Ouest, s’intéressent au potentiel des interprofessions pour l’organisation de leur secteur au niveau sous-régional. Avec l’appui du programme Agri Trade Promotion (ATP) de l’USAID, l’agence américaine de développement international, le Réseau ouest-africain des céréaliers (ROAC) est sur le point de voir le jour.
Un voyage d’étude sur les interprofessions en France
C’est dans ce contexte que la fondation FARM a organisé en décembre 2012, en partenariat avec Inter-Réseaux Développement rural, un voyage d’étude en France pour cinq présidents d’interprofessions agricoles ouest-africaines (voir liste ci-dessous). Les participants ont pu partager leurs expériences et débattre avec des représentants et des artisans de la création des interprofessions françaises des semences (Gnis), des céréales (Intercéréales), des oléagineux et des produits laitiers. Les discussions ont fait ressortir quelques enjeux du développement des interprofessions en Afrique de l’Ouest.
Trois défis
Le cadre législatif des interprofessions agricoles ouest-africaines est soit relativement récent, soit inexistant. Les lois d’orientation agricole du Sénégal et du Mali, qui évoquent les interprofessions, datent respectivement de 2004 et 2005 (le gouvernement malien a publié un décret d’application en 2008). Au Burkina Faso, l’interprofession céréalière existe depuis près de dix ans, mais la loi régissant les interprofessions n’a été promulguée qu’en octobre 2012. Surtout, peu d’interprofessions ouest-africaines possèdent ce qui fait la force du dispositif français, à savoir de réelles délégations de pouvoir de l’Etat, qui permettent d’imposer à tous les opérateurs les règles édictées par l’organisation interprofessionnelle. Il semble qu’en Afrique le principe de représentativité des interprofessions ne soit pas acquis, notamment dans le secteur céréalier.
De même, le système de financement des interprofessions « à la française » ne peut pas se mettre en place sans une forte concertation avec les pouvoirs publics. Ce système repose sur le principe de « cotisations volontaires obligatoires » (CVO), qui implique de réaliser des prélèvements financiers auprès de certains acteurs de la filière selon des modalités bien définies et reconnues par la loi. Pour les filières intégrées, le point de prélèvement est identifiable ; certaines filières africaines dégagent ainsi des financements, même si l’on ne peut parler de CVO à part entière. Dans l’interprofession tomate d’industrie au Sénégal, le prélèvement est fait par kilo de tomate livré aux usines de transformation. En revanche, dans les filières céréalières, il n’y a pas de point de passage obligé du produit ; les marchés plus ou moins formels, qui comptent un grand nombre d’intermédiaires, rendent beaucoup plus difficile la mise en place des prélèvements. Il se pose donc la question de la reproductibilité des CVO, souvent citées en exemple en Afrique de l’Ouest, et plus globalement du modèle de financement des filières. En Afrique de l’Est, après sept années d’existence, l’interprofession céréalière dépend encore lourdement de fonds extérieurs : les cotisations des membres ne fournissent que 2 % des recettes ; 19 % proviennent des prestations des services fournis et 79 % de l’aide des partenaires techniques et financiers. A l’évidence, de nouveaux modes de financement doivent être envisagés.
Enfin, les interprofessions agricoles ouest-africaines reposent sur des organisations en cours de structuration, plus ou moins dynamiques. Une interprofession regroupe au minimum deux à trois groupes d’acteurs d’une filière. La plupart du temps, ce sont les organisations agricoles qui jouent un rôle moteur (comme d’ailleurs on l’observe aussi en France). Les autres membres - transporteurs, commerçants, etc. - sont plus ou moins actifs dans les discussions et ne sont pas toujours aussi structurés que le monde agricole. Ainsi, l’interprofession échalote/oignon au Mali a du mal à regrouper les commerçants représentatifs de la filière. Le ROAC, pour sa part, mobilise des commerçants et des transformateurs, mais sera constitué dans une première phase par des interprofessions et des organisations nationales à vocation interprofessionnelle, compte tenu de l’absence, dans certains pays, de législations qui définissent et encadrent les interprofessions.
Sans constituer un modèle de référence d’organisation des marchés, les expériences françaises en matière de création et de fonctionnement des interprofessions présentent des points forts et des points faibles qui méritent d’être partagés avec les interprofessions ouest-africaines, en phase de développement. Loin d’imposer un modèle, notre rôle d’acteur du développement agricole accompagnant ces organisations est de susciter débats et réflexions pour trouver des réponses aux défis de la structuration des filières agricoles.
Liste des participants
-
Ablaye DIENG, président du Comité national de concertation sur la filière tomate industrielle du Sénégal (CNCFTI)
-
Lionel GUEZODJE, président de la Fédération des unions de producteurs du Bénin (FUPRO)
-
Bintou GUINDO, présidente de l’Interprofession de la filière échalotes/oignon du Mali (IFEO)
-
Salif Ayéfoumi OLOU ADARA, président de la Centrale des producteurs de céréales du Togo (CPC)
-
Soumaïla SANOU, président du Comité interprofessionel des filières céréales et niébé du Burkina Faso (CICB)