L’accroissement de la productivité de l’agriculture est un facteur clé du développement. Réduire la quantité de ressources consommée par unité produite, dans le secteur agricole, permet à la fois d’augmenter le revenu des producteurs et de diminuer le coût des aliments pour les consommateurs. Cela peut aussi alléger l’empreinte environnementale de l’agriculture.
D’où l’intérêt du constat établi par le
2012 Global Agricultural Productivity (GAP) Report, récemment publié aux Etats-Unis, selon lequel la productivité agricole dans le monde a crû ces dernières années à un rythme supérieur à celui nécessaire pour doubler la production agricole, à ressources constantes, d’ici à 2050 (1,84 % contre 1,75 % par an).
Ces chiffres font référence à la productivité globale des facteurs, définie comme le volume total de produits agricoles (cultures, produits animaux) obtenu par unité de facteur de production (terre, travail, intrants, équipements). Ils semblent balayer les inquiétudes des experts, relayées par les gouvernements et les organisations internationales, qui s’interrogent sur la capacité de l’offre agricole à suivre la croissance de la demande, compte tenu de l’expansion démographique, de la hausse des revenus dans les pays émergents et du boom des utilisations non alimentaires de produits agricoles.
Mais les auteurs du GAP Report avertissent : le défi ne pourra être relevé que si d’énormes investissements sont réalisés et si des politiques favorables sont mises en œuvre. Car de nouvelles menaces pèsent sur l’agriculture : le changement climatique, la concurrence pour les ressources en terres et en eau, le renchérissement des intrants. Surtout, il existe de grandes disparités régionales entre la hausse de la demande et le potentiel de production agricole.
Entre 2000 et 2030, la consommation alimentaire devrait augmenter, en moyenne annuelle, de 3,64 % en Asie de l’Est et de 2,75 % en Asie du Sud et du Sud-Est. Même si les taux de croissance de la productivité agricole, relativement élevés, enregistrés dans ces régions durant la dernière décennie (respectivement 3,05 % et 2,48 % par an) se poursuivent, le déficit alimentaire ne pourra être comblé que par une progression des importations.
Le diagnostic est comparable pour la région Afrique du Nord/Moyen-Orient, où la croissance de la demande alimentaire prévue d’ici à 2050 (2,14 % par an) est nettement supérieure au taux d’augmentation de la productivité agricole (1,9 %). Encore ce taux ne pourra-t-il être maintenu que si de nouvelles technologies d’irrigation, économisant l’eau, sont appliquées.
Le cas le plus préoccupant est celui de l’Afrique subsaharienne. Le taux de croissance de la demande alimentaire anticipé entre 2000 et 2030 (2,83 % par an) est dû essentiellement à l’expansion démographique. Il dépasse très largement le rythme d’augmentation actuel de la productivité agricole (0,5 % par an). Si cet écart perdure, les agriculteurs africains ne satisferont que 13 % des besoins en nourriture du sous-continent en 2030.
En revanche, indique le GAP Report, l’Amérique latine et l’ex-URSS devraient accroître sensiblement leurs exportations agricoles à moyen terme. Quant aux pays développés, où la productivité globale des facteurs en agriculture atteint les niveaux les plus élevés, ils seront en mesure de continuer à dégager des excédents
« si leurs investissements dans la science et la technologie sont suffisamment robustes ».
C'est le point crucial : les taux actuels de croissance de la productivité agricole sont la conséquence de décisions d’investissement prises il y a au moins dix ans. Les efforts consentis aujourd’hui pour la recherche et le développement (R&D) dans l’agriculture porteront leurs fruits dans les prochaines décennies. Or les dernières statistiques en la matière suscitent quelques inquiétudes.
Selon le rapport
ASTI Global Assessement of Agricultural R&D Spending, publié peu après le 2012 GAP Report, les dépenses publiques de recherche-développement en agriculture, financées par les Etats et les bailleurs internationaux, se sont accélérées dans les pays en développement entre 2000 et 2008. Mais l’accroissement de ces investissements est principalement le fait des pays à revenu intermédiaire, notamment la Chine, l’Inde et le Brésil (+ 4,4 % par an). Dans les pays à faible revenu, qui comprennent la majorité des pays d’Afrique subsaharienne, les dépenses publiques de R&D agricoles ont progressé deux fois moins vite (+ 2,1 % par an). Elles ont même diminué dans plusieurs pays d’Afrique francophone, comme le Burkina Faso et le Togo.
Situation paradoxale, car dans les pays les plus pauvres, l’agriculture fournit près de 30% du produit intérieur brut et contribue donc de manière décisive à la croissance économique et à la réduction de la pauveté.
« Nous sommes très préoccupés par le fait que, à moins que les dépenses augmentent de manière spectaculaire, les petits agriculteurs dans les pays plus pauvres continueront de manquer des connaissances et des technologies essentielles pour subvenir à leurs besoins et pour soutenir la résilience de la production face aux défis à venir », déplore un des auteurs du rapport ASTI.
La situation économique de l’Afrique s’améliore, comme en témoignent la forte croissance et le désendettement de nombreux pays. Mais le délaissement de la recherche agricole menace d’aggraver l’insécurité alimentaire et de creuser les inégalités sociales, au détriment du monde rural.