Augmenter la productivité agricole : l’ampleur du défi

19 novembre 2012
Jean-Christophe Debar, directeur de FARM


L’accroissement de la productivité de l’agriculture est un facteur clé du développement. Réduire la quantité de ressources consommée par unité produite, dans le secteur agricole, permet à la fois d’augmenter le revenu des producteurs et de diminuer le coût des aliments pour les consommateurs. Cela peut aussi alléger l’empreinte environnementale de l’agriculture.

D’où l’intérêt du constat établi par le 2012 Global Agricultural Productivity (GAP) Report, récemment publié aux Etats-Unis, selon lequel la productivité agricole dans le monde a crû ces dernières années à un rythme supérieur à celui nécessaire pour doubler la production agricole, à ressources constantes, d’ici à 2050 (1,84 % contre 1,75 % par an).

Ces chiffres font référence à la productivité globale des facteurs, définie comme le volume total de produits agricoles (cultures, produits animaux) obtenu par unité de facteur de production (terre, travail, intrants, équipements). Ils semblent balayer les inquiétudes des experts, relayées par les gouvernements et les organisations internationales, qui s’interrogent sur la capacité de l’offre agricole à suivre la croissance de la demande, compte tenu de l’expansion démographique, de la hausse des revenus dans les pays émergents et du boom des utilisations non alimentaires de produits agricoles.

Mais les auteurs du GAP Report avertissent : le défi ne pourra être relevé que si d’énormes investissements sont réalisés et si des politiques favorables sont mises en œuvre. Car de nouvelles menaces pèsent sur l’agriculture : le changement climatique, la concurrence pour les ressources en terres et en eau, le renchérissement des intrants. Surtout, il existe de grandes disparités régionales entre la hausse de la demande et le potentiel de production agricole.

Entre 2000 et 2030, la consommation alimentaire devrait augmenter, en moyenne annuelle, de 3,64 % en Asie de l’Est et de 2,75 % en Asie du Sud et du Sud-Est. Même si les taux de croissance de la productivité agricole, relativement élevés, enregistrés dans ces régions durant la dernière décennie (respectivement 3,05 % et 2,48 % par an) se poursuivent, le déficit alimentaire ne pourra être comblé que par une progression des importations.

Le diagnostic est comparable pour la région Afrique du Nord/Moyen-Orient, où la croissance de la demande alimentaire prévue d’ici à 2050 (2,14 % par an) est nettement supérieure au taux d’augmentation de la productivité agricole (1,9 %). Encore ce taux ne pourra-t-il être maintenu que si de nouvelles technologies d’irrigation, économisant l’eau, sont appliquées.

Le cas le plus préoccupant est celui de l’Afrique subsaharienne. Le taux de croissance de la demande alimentaire anticipé entre 2000 et 2030 (2,83 % par an) est dû essentiellement à l’expansion démographique. Il dépasse très largement le rythme d’augmentation actuel de la productivité agricole (0,5 % par an). Si cet écart perdure, les agriculteurs africains ne satisferont que 13 % des besoins en nourriture du sous-continent en 2030.

En revanche, indique le GAP Report, l’Amérique latine et l’ex-URSS devraient accroître sensiblement leurs exportations agricoles à moyen terme. Quant aux pays développés, où la productivité globale des facteurs en agriculture atteint les niveaux les plus élevés, ils seront en mesure de continuer à dégager des excédents « si leurs investissements dans la science et la technologie sont suffisamment robustes ».

C'est le point crucial : les taux actuels de croissance de la productivité agricole sont la conséquence de décisions d’investissement prises il y a au moins dix ans. Les efforts consentis aujourd’hui pour la recherche et le développement (R&D) dans l’agriculture porteront leurs fruits dans les prochaines décennies. Or les dernières statistiques en la matière suscitent quelques inquiétudes.

Selon le rapport ASTI Global Assessement of Agricultural R&D Spending, publié peu après le 2012 GAP Report, les dépenses publiques de recherche-développement en agriculture, financées par les Etats et les bailleurs internationaux, se sont accélérées dans les pays en développement entre 2000 et 2008. Mais l’accroissement de ces investissements est principalement le fait des pays à revenu intermédiaire, notamment la Chine, l’Inde et le Brésil (+ 4,4 % par an). Dans les pays à faible revenu, qui comprennent la majorité des pays d’Afrique subsaharienne, les dépenses publiques de R&D agricoles ont progressé deux fois moins vite (+ 2,1 % par an). Elles ont même diminué dans plusieurs pays d’Afrique francophone, comme le Burkina Faso et le Togo.

Situation paradoxale, car dans les pays les plus pauvres, l’agriculture fournit près de 30% du produit intérieur brut et contribue donc de manière décisive à la croissance économique et à la réduction de la pauveté. « Nous sommes très préoccupés par le fait que, à moins que les dépenses augmentent de manière spectaculaire, les petits agriculteurs dans les pays plus pauvres continueront de manquer des connaissances et des technologies essentielles pour subvenir à leurs besoins et pour soutenir la résilience de la production face aux défis à venir », déplore un des auteurs du rapport ASTI.

La situation économique de l’Afrique s’améliore, comme en témoignent la forte croissance et le désendettement de nombreux pays. Mais le délaissement de la recherche agricole menace d’aggraver l’insécurité alimentaire et de creuser les inégalités sociales, au détriment du monde rural.

 


13 commentaire(s)
There are other powerful external forces that will have negative impact on food security in subsahara Africa. Just to mention two; i) privatization/industrialization of land and ii) the push of agrofuels as an opportunity to develop energy security and alleviate poverty in rural areas. Large companies or in some cases nations are depraving farmers with productive lands. Farmers in subsahara Africa are being told that agrofuels are good for development, good the local economy and good for the environment. Badoul Sow, Ottawa- Canada.
Ecrit le 19 novembre 2012 par : Abdoul A. Sow, Ottawa, Canada 2778

En vous souhaitant chaleureusement beaucoup de blog-trotters jm b
Ecrit le 19 novembre 2012 par : jm b 2779

To Abdoul A. Sow: There are definitely many forces that have negative impacts on food security in Africa. I know it's fashionable to accuse biofuels (or agrofuels), because they divert edible products to non-food uses, but I think the problem is more related to the economic model under which biofuels are produced and sold. After all, this is an industry that creates value. Problem is, what is the farmers' share in this value?
Ecrit le 19 novembre 2012 par : Jean-Christophe Debar 2782

Bonjour, Merci de cette synthèse eclairante sur la situation et les défis relatifs à l'accroissement de la productivité notamment en Afrique subsaharienne. Les données globales par grandes regions recouvrent sans aucun doute de grandes disparités et de voies empruntées par les pays et en matière de politiques agricoles. Concernant l'Afrique du Nord/Moyen Orient, je n'ai pas très bien compris : "...pour la région Afrique du Nord/Moyen-Orient, où la croissance de la demande alimentaire prévue d’ici à 2050 (2,14 % par an) est nettement inférieure au taux d’augmentation de la productivité agricole (1,9 %). " Bien cordialement JJ. Boutrou
Ecrit le 20 novembre 2012 par : Jean-Jacques Boutrou 2777

bonjour pour moi toujours le meme leitmotiv: avant de produire plus gaspillons moins , en Afrique sub-saharienne 40% du maraichage et du lait sont produits mais non consommes la solution existe : les chambres froides solaires et les tanks a lait solaires et l amortissement de l investissement se fait en 3 ans je developpe et commercialise cette technologie et j apporte en plus la formation avec des partenaires francais sur quelle adresse mail je peux vous envoyer des documents ? merci
Ecrit le 20 novembre 2012 par : CHRISTIAN CESBRON cesbron.christian@gmail.com 2780

Merci à Jean-Jacques Boutrou d'avoir relevé cette erreur. Le texte a été corrigé.
Ecrit le 20 novembre 2012 par : Jean-Christophe Debar 2781

A : Christian Cesbron. Réduire les pertes à tous les niveaux du système de production et de distribution de produits alimentaires est bien sûr essentiel. Les auteurs du 2012 GAP Report l'évoquent mais sous-estiment sans doute cet enjeu. Cependant, il ne faut pas confondre production et productivité, qui soulèvent chacun des questions différentes. Il ne s'agit pas seulement de produire suffisamment, en quantité et en qualité. Il faut aussi produire plus efficacement, pour réduire les coûts et minimiser l'impact environnemental.
Ecrit le 20 novembre 2012 par : Jean-Christophe Debar 2783

Il me semble important de développer les biocarburants qui après fabrication restituent 1/3 de coproduit riche en protèine et réduisent de plus de 30% les émissions de CO2. Le dévelopement industriel et par conséquent économique permettra à ces populations d'augmenter leur faible pouvoir d'achat pour se nourrir. Il faut profiter de ces capitaux investis pour former les paysans avec la création de coopérative. Le jour où la production alimentaire sera insuffisante, il sera facile de convertir ses surfaces en production alimentaire. En année de forte productivité, on prévilègera la production d'énergie; et les mauvaises années la production alimentaire comme au Brésil entre le sucre et l'éthanol produit à partir de la canne à sucre. mais la question que l'on peut se poser est de savoir pourquoi il est plus rentable d'investir dans les biocarburants que dans l'alimentaire ! en tout cas, si l'on veut produire, il faut que le paysan, qui est le maillon faible de la filière, soit justement rémunéré afin de pouvoir vivre dignement avec la capacité d'investir dans son outil de travail.
Ecrit le 21 novembre 2012 par : DOMINIQUE OUACHEE 2784

A : Dominique Ouachée. D'accord avec vous pour souligner que la production de biocarburants ne présente pas que des aspects négatifs pour la sécurité alimentaire. Il faut cesser d'examiner cette question en termes de tout ou rien. Chaque situation présente des avantages et des inconvénients : ni diabolisation, ni angélisme. L'important est que les agriculteurs locaux en tirent profit.
Ecrit le 21 novembre 2012 par : Jean-Christophe Debar 2785

To: Dominique Ouachee Agrofuels expansion is likely to push up the price of food. hence poor farmer and marginalized who suffer the worst impacts. Abdoul Sow, Ottawa-Canada
Ecrit le 21 novembre 2012 par : Abdoul A. Sow, Ottawa-Canada 2786

Merci pour cet article; le défis est grand et nous devons penser à une économie verte en agriculture.
Ecrit le 16 octobre 2013 par : Ambaliou OLOUNLADE, Agroéconomiste à la FSA/UAC-Bénin 2866

Au début fut ce Verbe.
Ecrit le 24 juin 2018 par : j-m blogtrotter 3596

Sept ans et 10 mois plus tard, du défi de la productivité au défi à la productivité. Sic transit.
Ecrit le 23 septembre 2020 par : jm bouquery 3930

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