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Financement de l’agriculture et développement rural dans les pays ACP

Bruxelles, le 15 sept. 2010

L’accès au financement et au crédit par les agriculteurs du Sud constitue un des thèmes prioritaires pour FARM. La Fondation suit donc les innovations tant dans les approches que dans les outils dans ce secteur névralgique et tente de favoriser une intensification des financements adaptés à l’agriculture, notamment à destination des organisations de producteurs et de productrices. La conférence intitulée « Financement de l’agriculture et développement rural dans les pays ACP » organisée par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA), à Bruxelles le 15 septembre dernier, a permis une mise à jour des dernières initiatives en la matière. Le second panel « Au-delà de l’aide : nouveaux mécanismes de financement » permet de dégager les grandes tendances et soulève un certain nombre de questionnements.

1. Pour un financement à la hauteur des enjeux

1.1 L’appui aux coopératives remis en question ?

Les fonds d’investissement innovants, dont il a été question lors de la rencontre, sont principalement dirigés vers le développement des entreprises agricoles tout au long de la chaîne de valeur des filières agricoles et vers la mise en place de conditions favorables au développement économique de l’agriculture. Les interrogations de FARM concernent l’appui à la structuration et au développement des organisations paysannes qui ont connues une effervescence depuis les années 1990 en Afrique. Dans quelles mesures ces organisations mutualistes sont-elles intégrées dans les nouvelles politiques de financement de l’agriculture en Afrique ? En effet, il n’a pas été fait mention du financement de ces organisations lors de la présentation des financements innovants à Bruxelles. Est-ce que la terminologie « entreprise agricole » les inclut ? Comment les fonds d’investissement dont il est question pourront-ils appuyer ces coopératives au statut légal spécifique, puisqu’ils ne peuvent pas prendre de positions financières dans ces organisations comme il est question pour les entreprises agricoles ?

1.2 L’émergence du mouvement coopératif agricole ouest-africain

La revue Spore rappelle à ce sujet le dynamisme des organisations paysannes (OP) en Afrique de l’ouest. Des organisations professionnelles nationales, comme le CNCR au Sénégal, la CNOP au Mali, la plateforme paysanne au Niger ou l’ANOPACI en côte d’ivoire regroupent de nombreuses filières dans leurs pays respectifs. La revue Spore souligne que l’ANOPACI, par exemple regroupe la totalité des filières agricoles ivoiriennes et la grande majorité des producteurs ivoiriens et qu’elle est devenue l’interlocuteur incontournable du ministère ivoirien de l’agriculture. Ces organisations nationales regroupent des OP de plus en plus dynamiques, qui fédèrent un nombre croissant de producteurs et de productrices. Au Mali, depuis 2005-2006, le statut légal des anciennes associations villageoises a été abandonné au profit du statut de coopérative agricole. Des coopératives et des unions de coopératives prennent le relais des anciennes structures étatiques et se renforcent pour offrir des services de plus en plus diversifiés à leurs membres. Au Burkina Faso, le secteur cotonnier repose également sur des structures coopératives. Au Sénégal, la Société de l’Aménagement et d’Exploitation des terres du Delta de la Vallée du fleuve Sénégal (SAED), accompagne depuis 15 années les coopératives de la région à se structurer et à s’autonomiser.

1.3 Structuration des pouvoirs publics

FARM se questionne également sur les appuis nécessaires au renforcement financier et de capacité des ministères de l’agriculture des pays dans lesquels ses projets se développent. Ils sont souvent sous-équipés et déjà très sollicités par des acteurs internationaux. Comment s’assurer qu’ils restent chef de file du développement agricole de leurs pays tout en assurant le suivi, la coordination et la cohérence de toutes ces nouvelles initiatives internationales de développement agricole sur leurs propres territoires ?

La crise alimentaire majeure de 2007-2008 et les craintes de nouvelles crises mondialisées ont obligé les organisations internationales à reconsidérer le potentiel de l’agriculture comme vecteur de développement. Plus encore, les estimations des organisations spécialisées comme la FAO et l’IFPRI, montrent qu’une augmentation de 100% de la production agricole mondiale sera nécessaire d’ici à 2050 pour nourrir la population mondiale. Or, les financements ne sont pas encore à la hauteur des enjeux, comme l’a rappelé le représentant de la BAD (5 milliards par années sont investis contre les 16 milliards qui seraient nécessaire rien que pour l’Afrique) et les résultats d’étape affichés lors de la dernière évaluation des Objectifs Du Millénaire (septembre 2010) montrent un recul dramatique pour combattre la faim dans le monde, puisque le nombre de personnes vivant avec la faim a atteint le triste record du milliard d’individus. Aussi ingénieux que seront les nouveaux mécanismes de financement de l’agriculture dans le monde, ils ne pourront se substituer à la nécessité d’augmenter massivement les financements destinés à soutenir la relance de la production agricole mondiale.

2. Les réflexions et les initiatives présentées lors du panel

2.1 Taxation et financement du développement

L’analyste de l’OCDE Gregory De Paepe aborde la question du financement du développement en Afrique en rappelant la contribution relative des ressources fiscales (400 milliards d’euro par année) de l’ensemble des pays africains et de l’aide internationale (40 milliards par année) qu’ils reçoivent. Il rappelle que l’Afrique perçoit plus à travers son mécanisme fiscal que l’aide reçue et propose de renforcer l’efficacité de la politique fiscale des pays africains pour accroître les ressources des gouvernements. D’après ses recherches, 0,12 cents d’euro investi dans l’administration fiscale d’un pays africain « produit » 1 euro en recette fiscale. Parallèlement il rappelle que seulement 2% (OCDE, 2008) de l’aide technique financée par la coopération internationale est attribuée au renforcement de la gestion des finances publiques et invite les pays donateurs à considérer la fiscalité comme un levier important d’accroissement des ressources des états africains. Selon lui, grâce à des revenus accrus, les gouvernements pourront mettre en place des politiques de développement plus efficaces et respecter, par exemple, leur engagement pris lors du sommet de Maputo en 2003, d’attribuer 10% de leur budget national au développement de l’agriculture. Il souligne également les inégalités au sein des pays africains et appelle l’aide internationale à augmenter son financement envers les pays qui manquent de moyens financiers pour prélever l’argent des taxes.

Selon M. De Paepe, il convient également d’élargir la base imposable tout en considérant le retour sur investissement de nouveaux prélèvements. En effet, une nouvelle politique fiscale qui inclurait le secteur informel du monde rural serait très difficile et coûteuse à mettre en œuvre. Pour la même raison, l’élargissement de la base imposable ne devrait pas non plus inclure les artisans ou les plus petites PME du secteur formel. Il rappelle que les progrès les plus significatifs, au cours des 10 dernières années, concernent la fiscalité appliquées au secteur des matières premières et l’identifie comme un potentiel important pour augmenter les recettes des gouvernements africains. Il reconnaît cependant que ces ressources sont inégales dans le temps et qu’une politique de développement durable peut difficilement être financée uniquement par l’industrie de l’extraction des matières premières. C’est pourquoi il encourage les gouvernements africains à développer des politiques fiscales mettant plus à contribution les transactions des multinationales. Il les invite aussi à mettre en place des outils visant à limiter l’évasion fiscale de leurs ressortissants.

Son intervention permet de rappeler que le développement des pays africains dépend avant tout des politiques mises en place par leurs gouvernements et que l’aide internationale doit également les appuyer à augmenter l’efficacité de leurs politiques fiscales. La crise économique mondiale a notamment eu comme impact la réduction de l’aide internationale ce qui renforce la nécessité d’appuyer les gouvernements à développer leur capacité de financement interne. Cela permettra à la fois d’augmenter leurs recettes mais aussi de mettre en place des politiques fiscales simplifiées et prévisibles qui réduiront le risque perçu et favorisera les investissements étrangers.

2.2 Partenariats publics-privé novateurs : les couloirs de croissance agricole

La notion de « couloir de croissance » : Il s’agit de concentrer un ensemble d’investissements, publics et privés, sur une zone géographique précise, selon des modalités particulières. Dans un premier temps, les financements publics permettent la mise en place d’infrastructures qui facilitent le développement des activités économiques. Ensuite les investisseurs privés lancent leurs premières activités, qui doivent ensuite servir de catalyseur pour d’autres investisseurs.

Monsieur De Cleene est vice-président, développement mondiales des entreprises et affaires publiques chez Yara. Il est également vice-président du Comité exécutif des couloirs de croissance de Kilimo en Tanzanie. Il présente deux plans d’investissement innovants, le Southern Agricultural Growth Corridor of Tanzania (SAGCOT) et le Mozambique Beira Agricultural Growth Corridor (BACG), financés par des agences internationales de développement et des entreprises privées. Les projets d’investissement se concentrent sur deux couloirs géographiques, l’un en Tanzanie, l’autre au Mozambique et montrent le potentiel de développement de « grappes » d’entreprises agricoles profitables. Ces grappes agricoles soutenant la professionnalisation des petites et moyennes exploitations nécessitent un investissement simultané et bien coordonné des secteurs public et privé. Il s’agit d’une approche visant à renforcer les chaînes de valeur agricoles spécifiques. L’approche novatrice s’appuie sur un fonds Catalyseur qui supporte les risques de départ de développement de nouvelles entreprises agricoles. Un second fonds – Capital Patient – finance des infrastructures, notamment les routes d’alimentation, l’électrification et l’irrigation, spécifiquement dans le secteur privé. Le financement novateur est apporté par les gouvernements et les agences de donateurs à un coût de capital faible. Chaque dollar de financement novateur peut générer plus de 10 dollars d’investissement privés dans des entreprises agricoles socialement responsables. Le pari est donc de participer à la mise en place d’une zone favorable, d’un rayon de 25 kilomètres, afin que le secteur privé juge les risques acceptables et décèle des opportunités d’affaires. Concrètement, le projet agricole du couloir de Beira au Mozambique devrait permettre d’ici 2030 d’augmenter la superficie agricole commerciale irriguée (de 20000 ha. en 2010 à 210000 en 2030), de passer d’une production de subsistance à des productions irriguées et commercialisables sur les marchés, et de changer d’échelle en accroissant le compétitivité tant de la production que de la commercialisation. Des contraintes existent, comme les coûts de fonctionnement et de lancement élevés, l’absence d’infrastructure « de dernier kilomètre » jusqu’à l’entrée des l’exploitations et la difficulté d’accès à des financements de lancement faisant le lien avec le financement traditionnel. Cependant, la présentation des deux plans d’investissement montre que ces contraintes peuvent être surmontées.

2.3 International Finance Corporation (IFC) Agribusiness

L’IFC, qui fait partie du Groupe Banque mondiale, investit et fournit des services de conseil dans le monde entier pour promouvoir, dans ses pays membres en développement, des projets durables qui sont profitables sur le plan économique, solides sur les plans financier et commercial et viables sur les plans environnemental et social. Le portefeuille d’IFC Agribusiness, correspondant à la part de son portefeuille financier, investi dans le secteur agricole, s’élève à 3,9 milliards de dollars pour l’exercice fiscal 2009.

En 2009, le G8 a annoncé à L’Aquila le lancement d’un programme en faveur de la sécurité alimentaire et de l’amélioration des revenus des pays. C’est dans ce cadre que le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (GAFSP) a été créé. Il est constitué de deux composantes : une partie de ses financements est destiné au soutien des actions publiques, l’autre partie finance des acteurs privés. L’IFC a été sélectionné pour développer et gérer directement le volet privé du programme. La Banque mondiale s’est vue confier la gestion du volet public. Les objectifs affichés du programme sont d’améliorer la production des petites exploitants et des PME du secteur agricole, d’améliorer l’accès au financement et de favoriser les innovations technologiques et scientifiques. Le programme tentera également d’apporter des réponses concrètes aux impacts causées par le changement climatique. Alors que 50 millions de dollars ont déjà été versé par le Canada, l’objectif cumulé pour 2011 est de mobiliser 500 millions, qui, pour le volet privé ciblera les petits exploitants, les agriculteurs et les PME, directement ou indirectement via les banques, des intermédiaires, des institutions de micro finance, des entreprises privées et des fonds d’équités.

2.4 Facilité d’équité et de garantie pour les entreprises agricoles africaines (EGFAA)

Monsieur Niang, un représentant de la Banque africaine de développement (BAD) estime que la demande totale projetée de financement des entreprises agricoles, dans les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, investissements publics et privés confondus, doit atteindre 620,4 milliards USD d’ici 2050, soit 16 milliards par an. Les niveaux actuels n’atteignent qu’environ 5 milliards par an. Il en déduit que le secteur des entreprises agricoles nécessite une augmentation conséquente du financement et de l’investissement par le secteur privé.

Pour répondre à cette demande croissante de financement et encourager le secteur privé à investir dans les entreprises et les industries agricoles, la BAD développe une solution financière avec un groupe d’agences de l’ONU, de banques commerciales et d’institutions nationales, visant à proposer une facilité continentale. Selon le représentant de la BAD, « cette facilité complèterait des initiatives et des programmes publics au niveau national, afin de créer les conditions propices à la prospérité des entreprises et des industries agricoles ». La capacité comprendra une série de fonds régionaux répartis sur la chaîne de valeur des entreprises agricoles et/ou selon la taille des financements (grandes entreprises, PME ou micro-entreprises). La facilité financière de 1,5 milliards USD, dont 80% pour le système de garantie des financements commerciaux, permettrait, considérant l’effet de levier du fonds, un financement d’environ 12 milliards USD, sur un cycle de prêt.

En conclusion , les initiatives qui furent présentées dans la rencontre de Bruxelles confirment que des financements plus importants sont en cours de mobilisation et que de nouveaux modèles vont être expérimentés pour stimuler le développement agricole en Afrique. On constate également que le secteur privé répond favorablement à l’appel des organisations internationales, des agences de développement et des gouvernements et participe à alimenter financièrement des initiatives, preuve qu’un partenariat public-privé émerge. De nouvelles politiques fiscales plus efficaces sont envisagées, sous certaines conditions, comme un potentiel important de financement pour l’agriculture par les états eux-mêmes. Des innovations tant dans les modèles de financement, que dans l’approche d’appui, comme le développement de « grappes agricoles », se concrétisent et participent au nouvel élan international pour le développement de l’agriculture.

Pour tout contact : Fabrice Larue fabrice.larue@fondation-farm.org

Publié le : 28 juin 2011

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