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Quelles conséquences de la hausse des prix du blé pour l’Afrique de l’Ouest ?

25 août 2010 - Depuis le mois de juillet, les prix du blé sur le marché international ont fortement augmenté, traduisant une tension croissante sur ce marché. Le pic a été atteint le 5 août, le boisseau de blé (27 kg environ) était coté à 7,8 dollars (soit environ 289 dollars la tonne, en moyenne journalière) sur le marché de Chicago, marché de référence pour les cotations internationales ; le boisseau valait 4,44 dollars le 29 juin. Depuis le 5 août, les prix sont redescendus, avec un minimum le 17 août à 6,55 dollars (6,8 dollars le 19 août). Pour mémoire et comparaison, lors de la crise de 2008, les prix du blé avaient atteint les 13 dollars le boisseau.

Quelles sont les raisons de cette hausse soudaine ? Cette hausse se transmet-elle aux prix en Afrique de l’Ouest ? De nouvelles émeutes de la faim se profilent-elles ?

La récolte mondiale de blé en baisse

Le ministère de l’agriculture américain (USDA) a publié le 16 août dernier ses prévisions pour les récoltes mondiales de blé. La récolte 2010 devrait atteindre les 645,7 millions de tonnes et sera plus faible que la récolte record de 2009, qui avait culminé à environ 683 millions de tonnes.

La raison de cette baisse est principalement liée aux événements climatiques récents qui ont eu lieu en Russie : le centre de la Russie et la région de la Volga ont été victimes d’une pluviométrie faible (jusqu’à -50% par rapport aux moyennes) et de températures élevées, au dessus des 35°C, température au-dessus de laquelle le développement du blé est impacté. Ces conditions climatiques extrêmes ont également été à l’origine d’importants incendies qui ont détruit une partie des récoltes. Les autres bassins russes de production ont été touchés par la sécheresse et la canicule mais sans que cela atteigne de façon importante les récoltes, celles-ci ayant lieu plus tôt dans ces régions. Ainsi, la production russe devrait atteindre 45 millions de tonnes cette année, soit presque 17 millions de tonnes de moins par rapport à l’année dernière et 8,5 millions de tonnes de moins que la moyenne des récoltes sur les 5 dernière années. En gros, la récolte russe de 2010 retombe au niveau de la moyenne des récoltes des années 1996-2000.

La production de blé de l’Union européenne devrait baisser également, d’environ 4,3 millions de tonnes, elle aussi du fait de mauvaises conditions climatiques : sécheresse qui a touché l’Europe de l’Ouest et précipitations excessives en Europe de l’Est. La production augmente dans d’autres régions, en particulier en Australie et en Inde, mais sans que cela ne compense complétement les baisses dans les autres parties du monde.

Les incertitudes des opérateurs à l’origine de la volatilité des prix

Les stocks de blé dans le monde sont à des niveaux importants, en légère augmentation par rapport à l’année dernière. Les niveaux de demande ne sont pas en forte hausse. Ainsi, malgré une baisse de la production mondiale de blé, les différents observateurs, qu’il s’agisse de la FAO ou de l’USDA, ne font pas état de rareté du blé sur les marchés ou de forte tension entre offre et demande, ni actuellement ni dans les mois à venir.

Ainsi, la volatilité des prix actuellement observée serait principalement à lier aux annonces d’interdiction des exportations de blé. L’Ukraine songe depuis le début du mois d’août à limiter ses exportations à 3,5 millions de tonnes de blé d’ici décembre prochain, sans toutefois arrêter cette décision. Depuis le 15 août, la Russie interdit ses exportations de blé, et ce jusqu’au 1er janvier 2011. Le 1er octobre prochain, elle annoncera si elle maintiendra cette interdiction plus longtemps. La Russie et l’Ukraine sont les troisième et quatrième exportateurs mondiaux de céréales. La raison invoquée pour justifier la limitation des exportations est la volonté de maintenir des prix domestiques à des niveaux peu élevés malgré la diminution de la récolte nationale. Les analystes de l’USDA voient les choses différemment : ils considèrent que les niveaux de production russes ne sont pas faibles au point de causer des hausses excessives des prix intérieurs. La raison de l’interdiction des exportations serait une autre : elle constitue un cas de force majeure qui autorise la rupture des contrats de livraison de blé. Les opérateurs russes peuvent ainsi annuler leurs contrats et les renégocier dans quelques mois à des prix bien plus élevés.

Au delà des différentes interprétations, il ressort des analyses que la volatilité du marché du blé est due à une inquiétude des opérateurs liées aux incertitudes que provoque l’interdiction d’exportation russe, et non pas à un décalage entre offre et demande.

En Afrique de l’Ouest, la hausse des prix ne se transmet pas aux produits locaux mais ses premiers effets peuvent être ressentis par les consommateurs urbains

La situation du marché international du blé est aujourd’hui assez différente de celle de 2008 : les niveaux de prix restent bien en dessous des records atteints il y a deux ans, il semble que la production et les stocks soient suffisants pour répondre à la demande, le prix du riz (produit à la base des régimes alimentaires dans de nombreux PED) n’augmente pas. Ainsi, les conditions à l’origine des crises alimentaires de 2008 ne semblent pas pour l’instant réunies aujourd’hui.

Néanmoins, la hausse des prix du blé, si elle se confirme et se maintient, peut avoir des impacts sur les PED qui dépendent des marchés internationaux pour répondre à leur demande. En Afrique de l’Ouest, le blé n’est pas cultivé, il est exclusivement importé. Il est principalement consommé dans les villes, le pain ayant pris une place de plus en plus importante dans l’alimentation des urbains. Par contre, la consommation de blé est très faible en milieu rural, où les céréales locales (mil, sorgho, maïs) sont à la base des régimes alimentaires. Ainsi, un premier impact direct de la hausse du prix du blé peut être l’augmentation du prix du blé pour les consommateurs urbains, qui étaient à l’origine des « émeutes de la faim » en 2008. Mais aujourd’hui, il n’est pas possible de prévoir les niveaux et les délais de cette répercussion, les importateurs et les États pouvant en absorber une partie. En outre, les prix actuels sont encore loin du pic atteint en 2008.

Toutefois, à titre d’exemple, une augmentation du prix des importations égyptiennes à déjà eu lieu. La Russie est un des principaux fournisseurs de blé de l’Egypte. Face aux incertitudes récentes, le 9 août l’Egypte a conclu un contrat pour acheter du blé français au prix de 285 dollars la tonne, alors que le mois précédent des importations depuis la Russie avaient été négociées à 184 dollars la tonne.

Se pose aussi la question de la transmission de la hausse du prix du blé aux marchés locaux. Les études que FARM a commandées en 2008 et en 2009 montrent que, en dessous d’un certain seuil des prix internationaux, la transmission ne se fait quasiment pas entre les marchés internationaux et les marchés locaux de consommation, et pas du tout aux prix payés aux producteurs. Pour l’instant, il semblerait que cette absence de transmission se poursuive. En effet, les prix aux consommateurs des céréales produites localement dans les pays d’Afrique de l’Ouest continuent à suivre une évolution dictée par des phénomènes locaux : cycles de culture et conditions climatiques. Les hausses des prix des céréales sèches constatées dans les capitales, en particulier au Mali et au Burkina Faso, sont liées à la soudure (période précédant les récoltes, au cours de laquelle les stocks sont au plus bas et la demande se maintient), les observateurs s’attendent à une baisse des prix dans les prochaines semaines, à la faveur de la mise sur le marché de la nouvelle récolte. Par ailleurs, les prix des céréales sèches se sont maintenus à des niveaux historiquement élevés pendant toute l’année, ce qui semble résulter des déficits de pluviométrie qui ont touché les zones de culture au début de la campagne agricole.

Enfin, une propagation de la hausse des prix depuis le marché du blé à ceux d’autres céréales, en particulier le maïs et l’orge n’est pas à exclure. En effet, au niveau international, l’USDA prévoit, malgré une hausse des prix, un niveau d’utilisation de blé constant. L’utilisation pour l’alimentation humaine devrait augmenter, au détriment de l’utilisation pour l’alimentation animale. Ainsi, un jeu de substitution devrait avoir lieu avec le maïs et l’orge, céréales qui remplaceront le blé dans les rations d’alimentation du bétail. Par ce jeu de substitutions, la hausse du prix du blé pourrait se propager à d’autres cultures, sans que cela ne soit le cas pour l’instant.

Conclusion : affaire à suivre...

La situation actuelle du marché du blé ne semble pas être excessivement inquiétante pour les PED. Néanmoins, des incertitudes restent et appellent un suivi attentif des marchés :
- la hausse va-t-elle se poursuivre ? Les prix atteindront-ils des niveaux proches de ceux de 2008 ?
- Si c’est le cas, comment seront touchés les consommateurs urbains ? La transmission de la hausse aux produits locaux finira-t-elle par se produire ?
- Par les jeux de substitution entre céréales, ou par d’autres effets, des marchés fondamentaux pour les PED, tels que celui du riz, risquent-ils d’être touchés par la hausse des prix ?


Sources

- USDA Wheat Outlook
- Point sur la situation alimentaire au Sahel, Afrique Verte, juillet 2010
- Burkina Faso Price Bulletin, FEWSNET, juillet 2010
- Mali, Evaluation des marchés, FEWSNET, février 2010
- Cotations des prix du blé : http://bourse.lesechos.fr/bourse/ma...
- Quotas à l’exportation de céréales : l’Ukraine reporte à nouveau sa décision, Les Echos, 25 août 2010

Pour plus d’informations contactez Cecilia Bellora

Publié le : 25 août 2010

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