Accueil FARM
rss LinkedIn Facebook Twitter Youtube Abonnement/Subscribe

Accueil > Archives > TIC > Documentation TIC

Projets indiens d’application des TIC au développement rural

L’Inde est un des pays les plus avancés en ce qui concerne l’utilisation des TIC pour le développement. L’objectif de la visite d’avril 2009 était d’approfondir la compréhension des modèles indiens d’application des TIC au développement rural, et ainsi enrichir la réflexion au sein de FARM à propos de l’intégration des TIC aux projets que la fondation supporte en Afrique. Ce compte-rendu présente de façon résumée les différents projets visités en Inde.

La Fondation Swaminathan et les Centres Villageois de Connaissance (VKC)

La Fondation Swaminathan (MS Swaminathan Research Foundation) animée par l’éminent professeur Swaminathan, père de la Révolution Verte en Inde, a été la première institution indienne à se lancer dans l’utilisation des TIC pour le développement rural de façon structurée. Leur engagement dans ce sens date de 1992 avec les premiers sondages sur la notion d’info village en Inde du Sud et plus tard, en 1998, avec la création des premiers Centres Villageois de Connaissance (les VKC, de l’anglais Village Knowledge Centres) dans la région de Pondicherry.

JPEG - 18 ko
Mme Sathinyavami, animatrice du VKC de Kalitheerthalkuppam, près de Pondicherry

Ce projet est basé à la fois sur la conviction que l’accès à des informations pertinentes peut donner du pouvoir de choix aux villageois, et aussi sur le compromis d’assurer cet accès aux plus pauvres des pauvres. L’approche développée par la Fondation Swaminathan priorise la participation de la communauté, non pas simplement dans l’opération des centres – les animateurs sont des membres de la communauté –, mais aussi dans leur gestion – un comité de gestion est établi entre des représentants publics du village et des membres des différents groupes sociaux de la communauté. Une attention toute particulière est faite sur l’appropriation du VKC par la communauté, ainsi dès le début le village doit fournir un espace public exempt de loyer pour héberger le centre et aussi couvrir les charges mensuelles d’électricité. Les équipements ainsi que le support technique et manageriel sont fournis gratuitement par la Fondation Swaminathan. Cohérent avec l’objectif de toucher les plus pauvres des pauvres, le principe de l’inclusion est central dans le modèle des VKC : l’équipe de la fondation a déjà été amenée à rejeter des demandes de mise en œuvre de VKC dans des circonstances où l’accès au centre n’était pas assuré à tous les membres de la communauté. Garder la centralité du principe d’inclusion est un défi d’autant plus important que la tradition sociale et religieuse indienne détermine souvent une stratification assez rigide de la société.

Le succès des VKC en Pondicherry de 1998 à 2002 a inspiré le lancement en 2003 d’une initiative nationale, appelée Mission 2007, dont l’objectif était de créer, selon le modèle des VKC, un centre de connaissance dans chaque village indien avant 2007. Plusieurs organisations indiennes, des secteurs public et privé, ont joint l’initiative, notamment le groupe Tata depuis 2003 et l’agence spatiale indienne (ISRO, de l’anglais Indien Space Research Organization) depuis 2004. Même si l’objectif d’atteindre chacun des plus de six-cents milles villages indiens n’a pas été accompli dans le délai prévu initialement, la Mission 2007 s’est transformée dans le Mouvement des Centres de Connaissances Ruraux, regroupant plus de 400 partenaires qui continuent à déployer des centres d’information dans les zones rurales indiennes. Les centres sont mis en œuvre et gérés par diverses institutions. En ce qui concerne la Fondation Swaminathan, elle compte actuellement une centaine de VKC, dans six états. Les services offerts dans ces centres sont très diversifiés et surtout définis selon les besoins locaux en information, ils comprennent des campagnes de sensibilisation dans le domaine de la santé, des informations techniques et commerciales agricoles, des formations techniques et managerielles pour des micro-entreprises, des informations administratives et liées à la citoyenneté, des programmes d’éducation pour les enfants, et même des systèmes d’alerte en cas de catastrophe. Quelques services sont gratuits, d’autres comme l’accès à internet ou les cours d’informatique sont payants, une source de revenu potentiellement importante dans la quête de l’équilibre financier des centres – une des principales préoccupations actuelles de l’équipe de la Fondation Swaminathan.

L’agence spatiale indienne (ISRO) et le réseau des Centres Villageois de Ressources (VRC)

En 2004 l’agence spatiale indienne (ISRO, de l’anglais Indien Space Research Organization) s’est engagée dans un projet pilote en partenariat avec la Fondation Swaminathan pour créer des Centres Villageois de Ressources (VRC, de l’anglais Village Resource Centres) dans la région de Tamil Nadu. Le modèle des VRC s’est inspiré de celui des VKC de la Fondation Swaminathan dans le sens qu’il se base dans les même prémisses pratiques de mise à disposition d’un espace par la communauté pour accueillir le centre, de prise en charge par la communauté des dépenses avec l’électricité, et de participation de la communauté dans l’opération et la gestion du centre. L’équipement et le support technique sont, de cette fois-ci, fournis par l’ISRO et comprennent la mise à disposition d’un canal de communication haut débit par satellite. Cette configuration a permis notamment l’exploration d’une nouvelle forme de communication entre les différents acteurs : des visioconférences.

JPEG - 16.5 ko
VRC au centre de recherche de la fondation BAIF, Urili Kanchan

L’ISRO déploie actuellement le réseau des VRC dans tout le territoire indien en établissant des partenariats avec d’un côté des institutions de liaison avec le terrain (des ONG, des associations communautaires, etc.), et de l’autre côté des centres d’expertise, comme la Fondation Swaminathan à Chennai, l’Université des Sciences Agricoles à Bangalore, la Fondation BAIF à Pune, l’ICRISAT (Institut international de recherche agricole pour les tropiques semi-arides) à Hyderabad, entre beaucoup d’autres. L’Inde compte déjà 460 de VRC. Dans le cas du réseau des VKC de la Fondation Swaminathan, les VRC correspondent à un niveau intermédiaire de renseignement et de liaison entre les VKC dans les communautés rurales et les différents centres d’expertise. Dans cette configuration, la Fondation Swaminathan joue à la fois le rôle de coordinateur de quelques VRC et aussi le rôle de centre d’expertise.

La principale vocation des VRC est donc de faire la liaison de communautés rurales entre elles et avec des sources d’information et d’analyse dans des différents domaines. Les activités développées dans ces centres vont dès l’éducation à distance jusqu’à la télémédecine, passant par des systèmes interactifs de conseil agricole. Les VRC sont aussi bien un ensemble d’équipements assurant la connectivité entre les divers acteurs, qu’un cadre de partenariats permettant la définition et la diffusion de contenus cohérents avec les spécificités de chaque terrain.

L’ICRISAT et la gestion de connaissances agricoles

L’Institut international de recherche agricole pour les tropiques semi-arides (ICRISAT) fait partie du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) et a son siège près d’Hyderabad, en Inde. En plus de jouer le rôle de centre d’expertise pour un certain nombre de VRC du pays l’ICRISAT s’est engagé également dans un projet de gestion de connaissances agricoles appelé Agropedia. Il s’agit d’une plateforme wiki où des savoirs d’experts et de praticiens sont répertoriés selon une structure sémantique, et souvent présentés sous la forme de cartes conceptuelles.

JPEG - 14.9 ko
Mme Lavanya et M Balaji de l’ICRISAT, devant une carte conceptuelle du projet Agropedia

L’objectif est de standardiser la codification d’informations techniques agricoles et d’y faciliter l’accès. Actuellement dans sa phase pilote, le projet se concentre sur des informations à propos de neuf cultures agricoles (pois chiche, arachide, sorgho, canne à sucre, blé, riz, entre autres). Agropedia est un projet collaboratif animé par l’ICRISAT dans le cadre d’une initiative plus ample de gestion de connaissances agricoles appelée AKMIndia.

Un autre projet au sein de l’AKMIndia avec active participation de l’ICRISAT est l’aAqua (acronyme en Anglais pour l’expression "presque toutes les questions répondues"), un forum de questions-réponses et d’échange de suggestions sur des pratiques agricoles et pastorales. L’aAqua fonctionne sur internet mais permet aussi des échanges par téléphone portable. Environ cent-milles messages SMS sont envoyés tous les mois en deux régions de l’Inde et bientôt une fonctionnalité audio sera également disponible : l’agriculteur recevra un message lui invitant à appeler un numéro spécifique pour écouter un fichier audio avec les informations demandées. En plus de répondre à la question de l’analphabétisme les initiateurs du projet veulent ainsi augmenter le taux d’utilisation effective du système – selon des études préliminaires, avec la méthode initiale moins de 30% des messages SMS envoyés donne lieu à une réaction de la part des agriculteurs.

La Fondation BAIF et le contrôle d’inséminations artificielles

La Fondation BAIF est renommée par le support au développement rural en Inde depuis plus de 40 ans. Ses projets actuels touchent plus de trois millions de foyers ruraux dans près de quarante-sept milles villages indiens. Le centre de recherche d’Urili Kanchan, près de Pune, se dédie à trois activités principales : la recherche agronomique appliquée, la formation et la production d’intrants de qualité pour l’activité agricole et pastorale. Dans le cadre de son projet de croisement des races afin d’aboutir à une plus grande productivité de lait, la Fondation BAIF a développé une véritable expertise dans la production de spermes congelés pour la reproduction de bovins.

En plus de jouer le rôle de centre d’experts et d’animateur pour une dizaine de VRC BAIF utilise également des TIC pour mieux contrôler son offre de services dans le domaine d’inséminations artificielles. Le suivi des activités dans ce domaine – dès le recueil des données des éleveurs jusqu’au résultat de chacune des inséminations réalisées – était originalement fait en support papier.

JPEG - 16.2 ko
Le passage au support informatique pour le contrôle d’inséminations artificielles de la fondation BAIF

Avec plus de deux millions d’éleveurs enregistrés au programme d’insémination artificielle de la BAIF, le délai de remontée des informations au centre d’analyse dans le système original est d’environ un mois. Depuis quelques années maintenant la Fondation BAIF développe le passage au support informatique aussi bien pour le recueil que pour la transmission des informations entre le terrain et le centre d’analyse. Le résultat de ce processus est l’utilisation croissante de téléphones portables sophistiqués et d’un logiciel développé spécialement pour le recueil des informations pertinentes au programme.

Si le manque de connectivité dans les zones rurales empêche encore la transmission immédiate des données du terrain au centre d’analyse, l’utilisation du support informatique et de l’interface logicielle facilite la saisie, accélérant ce processus et augmentant sa fiabilité. La transmission des informations est encore faite en partie par le déplacement des agents de terrain à des centres régionaux. Une fois chargées dans les machines des centres régionaux, les informations sont acheminées par internet jusqu’au centre d’analyse BAIF. Pour l’instant le système informatique est utilisé seulement pour une partie des adhérents et encore en parallèle avec les formulaires papier. Les bons résultats obtenus jusqu’à présent permettent néanmoins d’envisager à moyen terme le déploiement du système informatique à la totalité du programme d’insémination artificielle, ce qui permettra une réduction progressive du temps de transmission des informations – l’objectif étant de compiler quotidiennement l’ensemble des informations du terrain.

eChoupal : une initiative privée de centres d’information commerciale agricole

ITC Limited est un grand groupe indien présent dans des domaines si diverses que l’alimentaire, l’hôtellerie, l’industrie du papier, les TIC, l’agro-business, entre autres. Depuis 2000 ITC développe une plateforme de commercialisation agricole appelée eChoupal, permettant à des agriculteurs de commander des pesticides, de suivre les cours et marchés et de vendre leurs produits agricoles via internet. Actuellement, le réseau d’eChoupal compte déjà 6500 centres d’information, touchant près de quarante milles villages et plus de quatre millions d’agriculteurs.

En pratique, ITC installe dans la maison d’un agriculteur un centre d’information équipé d’un ordinateur et d’une connexion internet par satellite, lui permettant d’accéder à la plateforme. Le propriétaire de la maison où le centre a été installé, appelé Sanchalak, prononce un vœu public s’engageant à assurer l’accès au centre à tous les membres de la communauté, indépendamment de leurs origines sociales ou religieuses. Trois principes guident l’utilisation des eChoupal : la gratuité des informations, la liberté de choix des utilisateurs dans les transactions commerciales, et la rémunération du Sanchalak par des commissions sur les transactions commerciales entre les agriculteurs et ITC Limited. C’est-à-dire, tout agriculteur peut venir à l’eChoupal de sa communauté et obtenir des informations commerciales gratuitement ; il est libre en suite pour définir avec quel fournisseur d’intrants ou consommateur il veut commercialiser ; enfin, si l’agriculteur décide de commercialiser avec ITC, le Sanchalak gagne une commission sur la transaction.

La principale innovation du système eChoupal est son approche vis-à-vis des intermédiaires traditionnels : au lieu de vouloir les éliminer de la chaîne de commercialisation agricole, l’équipe ITC les a invités à intégrer le système comme fournisseurs d’informations commerciales. Les marges assurées aux intermédiaires au sein du système eChoupal sont inférieures à celles pratiquées traditionnellement, mais comme la structuration du système augmente le volume des transactions le profit absolu atteint est supérieur. Une fois que cela a été compris dans la pratique, les intermédiaires ont cessé de s’opposer à l’établissement des centres eChoupal.

eSagu : un système de conseil technique agricole personnalisé

Développé depuis 2004 comme un programme de recherche de l’Institut International de Technologie de l’Information d’Hyderabad (IIIT) et financée actuellement par Media Lab Asia, une agence gouvernementale indienne de recherche et application des technologies de l’information au développement, le projet eSagu est un système de conseil technique agricole basé sur l’utilisation de TIC. L’idée générale est de porter le champ au laboratoire au lieu de faire l’agronome visiter les champs, et ainsi permettre à l’expert de dédier son temps à la formulation de conseils techniques plutôt que à des déplacements. Un réseau de coordinateurs est mis en place sur le terrain pour servir d’intermédiaires entre les agriculteurs et les agronomes. D’un côté les coordinateurs recueillent des données sur les exploitations agricoles et leurs problèmes techniques les envoyant au laboratoire, de l’autre coté ils expliquent aux agriculteurs les conseils formulés par les experts. Pour assurer la rémunération de tous les acteurs au long de la chaîne, les agriculteurs payent pour bénéficier des conseils.

JPEG - 19 ko
Un coordinateur du projet eSagu fait une photo d’un problème avec la production d’aubergines, Warangal

En pratique les coordinateurs utilisent soit des appareils photos numériques soit des téléphones portables munis d’appareil photo pour photographier les problèmes rencontrés sur le terrain par l’agriculteur. Ces photos sont ensuite déchargées dans des ordinateurs d’un centre d’information en milieu rural et, une fois que le débit de la connexion internet disponible n’est pas suffisant pour supporter l’envoi des photos, elles sont gravées sur des CDs, qui sont à leur tour envoyés par courrier au laboratoire. Ayant comme base les photos, un expert formule des conseils techniques spécifiques et les enregistre dans une plateforme de communication sur internet. Le coordinateur peut donc accéder à la plateforme et imprimer les conseils pour chacune des exploitations qu’il est sensé accompagner. Muni des conseils imprimés, le coordinateur rend visite aux différents agriculteurs pour expliquer les conseils et récupérer des informations complémentaires sur l’adoption des pratiques suggérées dans les visites antérieures.

Le temps de réponse du système, entre la prise des photos et la réception du conseil, est en moyenne de vingt-quatre à trente-six heurs. L’équipe de l’IIIT explore maintenant l’envoi des photos directement des téléphones portables à la plateforme sur internet et, dans l’autre sens, l’envoi des conseils directement à des téléphones portables des coordinateurs. Dans ce cas le temps de réponse chute à moins de douze heures. Même n’ayant pas encore été déployé en large échelle, il a déjà été possible de constater que le succès de ce système repose beaucoup sur la formation des coordinateurs. La qualité et la pertinence des photos prises par le coordinateur ainsi que son aisance en expliquer les conseils techniques aux agriculteurs sont fondamentales à la fois pour la correcte formulation des conseils et pour son effective application sur le terrain.

Digital Green : des films participatifs pour l’échange de savoirs traditionnels agricoles

Développé en partenariat entre la Fondation Green et Microsoft Research India, Digital Green est un projet qui vise à faciliter l’échange de savoirs traditionnels agricoles entre des agriculteurs indiens. Des petits films, de huit à dix minutes chacun, sont tournés dans les champs pour enregistrer des bonnes pratiques agricoles locales, ayant pour acteurs principaux les propres agriculteurs. Après l’édition faite par l’équipe de la Fondation Green, les films sont enregistrés sur des DVD et distribués aux villages de la région où le tournage a été réalisé. Des visionnages des films sont organisées dans les villages une à deux fois par semaine, et sont accompagnés d’explications et discussions modérées par un médiateur. Ce médiateur fait également des visites aux agriculteurs pendant la semaine pour évaluer le niveau d’adhésion aux techniques présentées dans les films.

JPEG - 17 ko
Visionage d’un film Digital Green à Shetalawadi, près de Bangalore

Dans ce projet, les TIC avec lesquelles les agriculteurs en général sont en contact sont assez simples : un téléviseur et un lecteur DVD. Les images semblent captiver l’attention des téléspectateurs, et sont particulièrement pertinentes dans des contextes de hauts taux d’analphabétisme. Le facteur clé de succès néanmoins semble être le choix de transmettre des messages à travers les propres agriculteurs. Souvent les téléspectateurs connaissent l’agriculteur qui joue le rôle d’acteur dans le film ; ils le côtoient dans leur quotidien. Cette proximité les met à l’aise pour discuter ouvertement à propos des informations et techniques présentées lors de la session, facilitant l’appropriation des messages.

Carte des projets visités

Cliquez sur les repères bleus de la carte ci-dessous pour voir les photos des projets visités. Naviguez sur la carte changeant le niveau de zoom (avec les boutons en haut à gauche) et/ou sélectionnant l’affichage des noms des localités (en haut à droite), selon votre convenance.


Afficher 0904 Inde sur une carte plus grande

Le 8 juin 2009, à Paris, FARM a organisé la conférence-débat "Les TIC au service du développement rural : des modèles Indiens", au cours de laquelle Eric Pasquati, chef de projet NTIC à FARM, a présenté les enseignements tirés de sa mission en Inde. Le compte-rendu de cette conférence est disponible en ligne.


Retour à la documentation TIC

Retour à la page principale TIC

Publié le : 22 février 2010

Pied de page Contact Sites Web Plan du site Mentions légales
Footer Version à imprimer recommander