Article écrit pour le rapport moral sur l’argent dans le monde : "Un exemple de nouvelle philanthropie : la Fondation Pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM)", par René Carron, Président de FARM.
FARM est un exemple de la volonté des acteurs privés du nord, soucieux de l’intérêt général, de lutter contre la faim, la pauvreté et le sous-développement par une approche originale.
Trop d’habitants de la planète pâtissent de la faim, du sous-développe-ment et de la pauvreté. Parmi ceux-ci figurent un grand nombre d’agricul-teurs et de ruraux, dans l’incapacité de trouver seuls les moyens de lutter contre ces fléaux. La vocation de FARM est de les aider, notamment, en contribuant à la réflexion et par des actions ciblées vers les producteurs, leurs organisations professionnelles et les interprofessions.
Une tentative originale de lutte contre la faim et de promotion de l’agriculture
Destinée aux producteurs du sud, à leurs organisations professionnelles et aux interprofessions agricoles, FARM constitue une tentative originale de lutte contre la faim et de promotion de l’agriculture.
Plus de 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. En Afrique, 500 millions de personnes n’ont d’autres ressources que l’agri-culture, 70 % des pauvres vivent en milieu rural. L’agriculture est un des ressorts essentiels du développement économique. Sans elle, on assistera au déclin du tissu rural, à l’urbanisation non maîtrisée, à l’accroissement des déséquilibres sociaux, de la misère, de la violence et à de nouveaux désastres écologiques.
Face à ces dangers, les agriculteurs du sud sont trop souvent isolés. Ils demeurent dans l’impossibilité d’af-fronter les aléas climatiques, d’amélio-rer leur production en introduisant dans leurs exploitations l’innovation technique. Ils ne peuvent d’avantage s’opposer à la baisse tendancielle des prix de leurs productions, ni négocier efficacement avec les autres acteurs économiques le partage de la valeur ajoutée.
Ces défis appellent des réponses fortes et structurées. Il s’agit de soutenir les agriculteurs du sud dans la formation d’organisations professionnelles, le renforcement de celles existantes et l’établissement d’organi-sations de marché et d’environnements favorisant les investissements privés. Cet appui ne saurait, pourtant, négliger la maîtrise des techniques permettant de peser dans la définition des politiques agricoles nationales et internationales.
Notre fondation oeuvre dans ce sens. Elle est un lieu d’échanges et de réflexion, un pôle d’identification, de connaissance et de valorisation des actions engagées par l’ensemble des partenaires. Elle a, aussi, pour mission de contribuer au débat sur la gouvernance environnementale mondiale et de mobiliser la société civile en faveur de la solidarité internationale et du développement agricole, rural et durable.
Ses fondateurs ont donné trois axes d’action à FARM. D’abord, le soutien de la réflexion sur les politiques et les stratégies agricoles dans les pays les plus pauvres et la participation aux débats d’idées en apportant des propositions nouvelles. Ensuite, la contribution à l’approfondissement des connaissances, à l’échange d’infor-mations et aux formations dont les professionnels et les acteurs économiques ont besoin. Enfin, le partage avec les pays en développement des compétences, des savoir-faire et des technologies en matière de production, de transformation et de commercialisation des produits agricoles et agroalimentaires.
Ces objectifs ont été inscrits dans les statuts de la fondation. Mais d’aucuns ne manqueront pas de relever qu’il s’agit de missions qui traditionnellement étaient remplies par l’État, ses émanations ou les organisations internationales. Dès lors, une organisation privée qu’a-t-elle à faire dans ce champ d’activité ? Ne faut-il pas laisser à la puissance publique le soin d’organiser la coopération entre les structures privées des pays du sud et du nord ?
Des entreprises privées soucieuses de l’intérêt général
On observera que l’intérêt général peut se fondre avec l’intérêt privé de l’entreprise et lui permettre de tirer un bénéfice économique d’une œuvre philanthropique. L’entreprise reçoit, d’une part, des retombées en termes de notoriété et d’image interne et publique. Elle bénéficie, d’autre part, d’une contrepartie fiscale en déduisant de son imposition une partie des sommes versées à une fondation d’entreprise ou reconnue d’utilité publique. Il serait, également, envisageable d’évo-quer l’intérêt des entreprises du nord de contribuer à la naissance et à la croissance de celles du sud et de créer des marchés capables d’absorber leurs produits.
Leurs propres histoire et culture, empruntes de la recherche de l’intérêt collectif, ne sont pas, de la même manière, étrangères à la participation d’entreprises privées à une œuvre philanthropique. En ce qui concerne le Crédit Agricole, Limagrain, Vilmorin, le GNIS et Sofiproteol, l’engagement dans FARM pourrait se justifier, également, par leur profond enracinement dans le monde paysan et rural, ainsi que dans la tradition mutualiste et de coopérativisme, où l’on met en commun des moyens pour le bien de tous.
En partant de l’expérience de FARM, il est possible de comprendre que plus généralement pour nombre d’acteurs sociaux et d’entreprises privées, l’État n’est plus le seul garant de l’intérêt collectif. Si bien que les entreprises occidentales souhaitent contribuer elles-mêmes aux causes d’intérêt général de leur choix. Elles estiment qu’on ne saurait refuser la solidarité parce qu’elle serait d’origine privée. De la sorte, elles participent au débat public, mettent en lumière les limites de l’action publique et encouragent la mobilisation sur une question spécifique. L’intérêt général apparaît, partant, comme un espace de liberté où le citoyen et l’entreprise peuvent promouvoir leur esprit d’initiative privée. Ils y participent directement ou par des institutions reconnues d’utilité publique, comme FARM. Ainsi, la philanthropie n’est pas un concurrent de l’action publique, mais un complément utile, voire indispensable.
Je suis, enfin, convaincu qu’en adhérant à FARM, les entreprises ont fondamentalement fait un choix éthique : refuser qu’une partie importante de l’humanité continue à souffrir de la faim et du sousdéveloppement sans que tous les moyens pour y remédier soient mis en œuvre. Force est de constater que les actions publiques, nationales et internationales, si elles ont apporté des contributions essentielles au développement agricole, et continuent de le faire, ne sont pas seules en mesure de répondre aux défis présents. C’est en partie pour ces motifs que des partenaires privés ont dû investir le champ de la philanthropie. FARM, par son originalité, est un exemple de cette nouvelle donne.
Dès lors que les différentes entre-prises privées, initiatrices de FARM, étaient mues par une ambition philanthropique, il leur appartenait de se doter d’un moyen d’action commun et adéquat. Aussi, ont-elles créé une fondation à dotation consomptible et reconnue d’utilité publique.
FARM associe les compétences de différents partenaires disposant d’une grande expérience internationale
L’association de partenaires d’hori-zons différents à l’intérieur de FARM est une originalité à souligner. En effet, l’État dispose d’un nombre considérable d’outils au service du développement et l’AFD est un acteur majeur dans ce domaine. De plus, certaines des entreprises fondatrices ou adhérentes de FARM soutiennent déjà leurs propres fondations et associations, qui aident les pays en voie de développement et ont des activités philanthropiques importantes. Alors pourquoi ces entreprises privées n’ont-elles pas continué dans une voie solitaire ? Pourquoi tous les partenaires ont-ils voulu créer en commun une nouvelle institution ?
Je ne cacherai pas que les moyens financiers à mobiliser face aux enjeux poussent à l’union. Mais, concernant FARM, ce n’est pas le motif principal. Pour preuve, son budget annuel d’in-tervention est d’environ un million d’euros. L’association provient de la constatation que les questions liées à l’agriculture par leur complexité, leur longueur de conception et de mise en œuvre imposent de nombreux intervenants et de compétences multiples. Par exemple, donner accès à l’eau à un agriculteur requiert souvent de financer le réseau d’adduction, et en plus de lui garantir les intrants de campagne, d’établir un système de mutualisation des outils et un circuit de commercialisation du surcroît de production. De la même manière, l’organisation des filières de production dans les pays africains, demande le recours à l’expérience des organisations professionnelles et des interprofessions françaises. Ces illustrations montrent l’utilité d’un travail concerté entre les membres de FARM et toutes les bonnes volontés, qui voudront s’y adjoindre, notamment si elles ont connu des succès dans leurs activités internationales.
Ainsi, l’Agence Française de Développement fera profiter FARM de sa connaissance des territoires et des problématiques propres au développement, qui lui sont familières. Le groupe Casino dispose, quant à lui, d’une expérience incomparable dans la commercialisation des produits agri-coles. Suez pourra mettre au service des projets de FARM son savoir-faire sur la production et le traitement de l’eau et Limagrain et Vilmorin sur la création et le fonctionnement d’un groupe coopératif. Pareillement, le Crédit Agricole S.A. dispose d’une expérience sur le microcrédit, dont il ne manquera de faire profiter FARM. Et le GNIS accompagnera FARM dans la réflexion sur l’organisation financière des filières et interprofessions agricoles.
C’est dans la voie de la mise en commun que FARM s’est engagée depuis sa création. Je citerai quelquesunes de ses réalisations. Dès novembre 2005, l’association de préfiguration de FARM a participé à une manifestation, qui a réuni, à Paris, 400 membres d’organisations professionnelles agri-coles africaines et françaises, et destinée à préparer la réunion de l’Orga-nisation Mondiale du Commerce de Hong Kong. Elle a, aussi, mis en place une formation au management et au lobbying d’entreprise à destination de dirigeants professionnels africains. Ces activités ont, notamment, rappelé les difficultés du secteur cotonnier africain, qui fait vivre 10 millions de personnes et est victime actuellement d’une crise profonde. Ce rappel a conduit FARM et l’école des Hautes Études Commerciales (HEC) à établir un partenariat dans le but de soutenir la filière cotonnière africaine.
FARM a, également, constitué des groupes de travail sur l’eau, la commercialisation, le microcrédit. Elle a élaboré des dossiers sur le coton, la banane, le sucre. Elle participe, en conséquence, aux débats d’idées et à la conception de nouveaux partenariats, en vue d’une approche de l’agriculture mondiale ouverte et équitable. Dans cette optique, elle a contribué à l’édition du « Livre blanc sur le coton » et a été, en décembre 2006, la cheville ouvrière d’un colloque sur « Quel cadre pour les politiques agricoles, demain, en Europe et dans les pays en développement ? », auquel ont participé, pendant trois jours, environ 600 personnes, venant d’Europe et d’Afrique. En faisant siens ces thèmes, FARM a répondu aux demandes des profession-nels du sud et permis des rencontres passionnantes, des échanges de point de vue francs et porteurs d’actions concrètes de terrain. Pour poursuivre dans cette voie, dès aujourd’hui, FARM prépare la tenue à Paris, à la fin de l’année 2007, d’un colloque de taille sur la microfinance agricole.
FARM : moyen d’intégration et de démultiplication d’énergies
D’un point de vue de la connaissance des outils de la nouvelle philanthropie, il convient de mentionner l’utilité de constituer une fondation à dotation consomptible et combien elle est un outil de démultiplication des énergies.
Juridiquement, la fondation est un acte donnant naissance à une personne morale. Elle est, en premier lieu, l’acte par lequel une ou plusieurs personnes juridiques décident d’affecter irrévocablement des biens, droits et ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. La fondation est donc une libéralité sous condition à une personne morale existante ou à créer. FARM a bénéficié d’apports en argent, en nature et en personnel. La fondation est, en deuxième lieu, une personne morale, autonome, disposant d’une volonté propre et indépendante de celle de ses membres. Entourée d’un ensemble de garanties juridiques, comme la participation du conseil d’État dans le contrôle de ses statuts, la présence d’un commissaire du gouvernement dans son conseil d’administration, la transmission de ses comptes aux autorités publiques, qui sont en droit de diligenter des enquêtes des corps de contrôle et de les soumettre au juge financier, la fondation inspire la confiance. Elle est, ainsi, un levier formidable pour mobiliser les bonnes volontés.
L’équipe de FARM est composée de douze personnes. Les missions accomplies, malgré les qualités et le dévouement de celles-ci, n’auraient pas été envisageables sans la contribution active des organes de la fondation et des groupes de travail. Je rappellerai que la participation dans ces instances est bénévole.
La fondation est dirigée par un conseil d’administration. Il réunit à côté des membres fondateurs, des amis et des personnalités qualifiées. Cet organe de gouvernance se transforme en un organe d’action, lorsque ses membres mettent leur influence au service de la fondation. Le rôle du conseil scientifique de FARM apparaît aussi essentiel. Réunissant des personnalités de premier ordre, il est un centre de proposition et d’expertise inestimable. Enfin, les groupes de travail, comme je l’ai dit plus haut, sont le lieu d’une rencontre fructueuse entre des professionnels, des chercheurs et des hommes de terrain.
Partant, la mobilisation d’entre-prises privées, soutenues par l’État et l’AFD, autour d’un projet novateur et porteur de sens, permet d’entraîner de nouvelles énergies de valeur et efficaces.
Pour terminer, il convient de saluer une évolution récente du droit français, dont FARM a tiré parti. Depuis 2003, une fondation dispose de la capacité d’être à dotation consomptible.
Dans le cas de FARM, 70 % de sa dotation initiale de 6 950 000 euros peuvent être employés dans l’espace de cinq ans. Cette particularité a per-mis à ses fondateurs de fixer de façon préalable le montant de leur engagement, de l’étaler dans le temps, d’être certains que les sommes engagées serviront directement à l’action de la fondation. Le caractère consomptible oblige, de plus, l’insti-tution à prouver son utilité pour perdurer, car elle doit obtenir des nouveaux financements de ses propres membres ou d’autres personnes. Il s’agit de soumettre la fondation à la loi de la nécessité et de l’efficacité. Ces éléments ne sauraient être ignorés lorsqu’il faut solliciter la générosité d’entreprises privées, tenues de rendre compte de l’utilisation de leurs fonds à leurs conseils d’administration et à leurs actionnaires.
En conclusion, j’évoquerai un changement considérable dans les pays du sud, notamment africains : l’apparition de nouvelles générations de dirigeants agricoles. Ces porte-parole d’orga-nisations, encore jeunes, aspirent à assumer toutes les responsabilités d’acteurs économiques et d’entrepreneurs et attendent de partager leurs expériences avec des professionnels français. Cette approche est significative du désir de construire une relation originale et respectueuse entre acteurs du secteur privé, sachant utilement faire valoir leurs points de vue aux administrations. Là s’ouvre une voie prometteuse de renouvellement du développement sur laquelle FARM ne manquera de progresser. Elle essaiera, ainsi, d’être un outil moderne et efficace au service d’un des plus grands défis de notre temps : nourrir tous les hommes et lutter contre la pauvreté et le sous-développement.
René Carron
Président de FARM